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18/10/2021

"La France n'a pas dit son dernier mot" (Éric Zemmour) : critique (IV)

Est-ce le goût de la provocation ou de l’anticonformisme ou bien l’envie de « déconstruire les déconstructeurs » ? Éric Zemmour aime manifestement les sujets sensibles, comme par exemple, page 148, où il défend Tarik Ramadan, absous au motif qu’il aurait été piégé. Il le fait avec sa dialectique difficile à contrer, en visant un angle particulier avec des arguments qui peuvent sembler spécieux et même désinvoltes eu égard aux enjeux et aux victimes (« Je ne combats pas mes ennemis avec les armes de la guérilla judiciaire ou de troubles affaires de mœurs »). Cette position étonne chez quelqu’un qui réclame, à juste titre, que la France défende ses intérêts à l’aide de toutes les armes à sa disposition ("halte à la tarte à la crème de la démocratie planétaire et des droits de l’homme") et qui réclame aussi une reprise en main et un retour aux anciennes vertus. Et puis, il y a « la phrase de trop », sur les tombes de l’assassin (M. Mérah) et celles des enfants assassinés. É. Zemmour écrit, en faisant référence à une tirade « hilarante » du film « Les tontons flingueurs » : « Les anthropologues nous ont enseigné qu’on était du pays où on est enterré (…) Assassins ou innocents, bourreaux ou victimes, ennemis ou amis, ils voulaient bien vivre en France, faire de la garbure ou autre chose, mais pour ce qui est de laisser leurs os, ils ne choisissaient surtout pas la France. Étrangers avant tout et voulant le rester par-delà la mort » (page 152). Comme l’auteur aurait pu (dû) le craindre, la polémique a enflé immédiatement, en s’attachant à la mise dans le même sac, apparente, et apparemment cynique, du « Barbare » et des innocents ; on peut la comprendre car, parmi d’autres considérations, on peut comprendre que les parents de ces petits martyrs aient eu besoin de marquer une distance avec ce pays qui n’avait pas su les protéger et qui ad vitam aeternam serait pour eux celui de l’horreur et d’une douleur inextinguible. Mais une partie de ceux qui polémiquent ont évidemment des arrière-pensées politiques, quand il s’agit d’un essayiste « qui monte dans les sondages » et pourrait constituer un danger. Ils ne contextualisent pas la citation, évidemment. Le chapitre d’où la phrase est extraite est daté du 22 mars 2012 et s’intitule « La terre et les morts » ; si l’on comprend bien, il a pour sujet l’universalité et l’intemporalité de la violence… Soit. Mais, déjà, cet angle d’approche a une connotation « fataliste » et « relativisante » qui est choquante (« la violence et la cruauté sont le propre de l’homme » ; « Mohammed Merah tue au nom d’une religion de paix et d’amour comme on a tué au nom des droits de l’homme ou des lendemains qui chantent »). Bizarre tout de même d’utiliser un meurtre contemporain pour tacler la Révolution française et le stalinisme (ou le léninisme ?) ! Bizarre de commencer le chapitre par « Ce n’est pas ce massacre des innocents qui me donne le plus à réfléchir ; ni la balle dans la tête, etc. ». On doit le respect aux immenses douleurs et Éric Zemmour connaît la valeur et l’importance des mots. Et quelle mouche a piqué notre auteur pour qu’il retombe à la fin de l’article sur l’un de ses dadas, à savoir le manque d’amour du pays qui les a accueillis chez un certain nombre de nos concitoyens ? Oui, la page 152 mal conçue, mal formulée, aurait vocation à… disparaître.

PS. Peut-être, comme moi, ne savez-vous pas ce que désigne la garbure Le petit livret de Gérald Gambier « Découvrir le Gers », paru chez La Taillanderie en juillet 2003, va nous renseigner : « C’est au XVIIIème siècle que débute une véritable cuisine de ce produit festif (NDLR : le foie gras) et des produits dérivés : gésiers, confits, magrets, cous, rillettes, sans oublier la garbure, le plus célèbre des plats gascons, ce hochepot de légumes et de viande d’oie ou de canard aux multiples recettes toutes meilleures les unes que les autres ». Coïncidence incroyable, à la Jung pourrait-on dire, j’avais récupéré cet opuscule en août 2021 dans un stock de livres et je ne l’avais feuilleté que quelques jours après avoir écrit le présent billet. J’ai donc ajouté ce PS. Coïncidence encore plus incroyable, quelques heures après avoir fait cette mise à jour, en triant des documents que j’avais entassés depuis au moins 2017, je suis tombé sur le N°1 d’une revue baptisée life&farms et sous titrée « le premier magazine 100% lifestyle aux racines rurales », dans laquelle Frédéric Beigbeder confiait son bonheur de rejoindre chaque jeudi sa maison de campagne du Béarn. À la question : « à Guéthary, quelles sont les spécialités du terroir ? », il répondait : « La garbure est une soupe délicieuse de légumes mélangés à du jarret de jambon et des manchons de canard ».

15/10/2021

"La France n'a pas dit son dernier mot" (Éric Zemmour) : critique (III)

Troisième constat : le livre est bien écrit, alerte et, franchement, je l’ai lu d’une traite. On a glosé sur de supposées fautes d’orthographe : par exemple, le Marianne du 24 septembre 2021 note que « dès les premières pages » (non, en fait, c’est dans la première phrase de la première page !), Éric Zemmour écrit : « J’ai pêché, je le confesse. Pêché d’orgueil, pêché de vanité, pêché d’arrogance » et confond ainsi « le péché et la pêche ». La « brève » se conclut par : « Comme tous ceux qui ont un problème d’intégration, Éric Zemmour devrait prendre des leçons d’orthographe ». J’avoue que, ayant toujours du mal moi-même, à mémoriser la graphie correcte de ces mots voisins, je n’avais même pas repéré la faute. En fait, c’est tout simple : tous les mots qui ont rapport à l’activité s’écrivent avec un accent circonflexe (la pêche), alors que tous ceux qui ont rapport à la faute s’écrivent avec un accent aigu (le péché). Cerise sur le gâteau, si j’ose dire, le fruit et l’arbre s’écrivent aussi avec l’accent circonflexe (une pêche, un pêcher).

En revanche, j’ai bien noté, page 107 qu’il aurait dû écrire « je les croisai » et non pas « je les croisais », page 113 que la phrase « En Algérie, les tempéraments ysont rudes » est un pléonasme à cause du « y », même si « En Algérie » est placé en apposition, page 116 qu’il traînait un « à » inutile, page 131 qu’il faut lire « dont je n’ignore pas » au lieu de « que je n’ignore pas », page 175 qu’il faut lire « chambre à gaz » et non pas « chambre ou gaz), page 180 que dans la phrase « Sans doute y ont-ils vu là une bonne occasion » il y a un intrus : soit le « y », soit « là » (pléonasme), page 194 qu’un « du » remplaçait malencontreusement un « le », page 197 qu’un « Je lui lâchais » avait pris la place de « Je lui lâchai » (cf. page 107, décidément…), page 214 qu’il commet un nouveau pléonasme (ce restaurant dont le frère (…) en a fait un rendez-vous à la mode), page 225 qu’il faut lire « ces lieux » et non pas « ses lieux », page 246 qu’un « fais » avait pris la place du « sais » que l’on attendait, page 231 qu’il manque une virgule entre « judiciariser » et « imposer », page 232 qu’il faut lire « qui pourrait », page 259 que le mot « cuisinier » avait perdu (deux fois dans la même phrase) son troisième « i », page 276 que « nous autres Français » s’écrit avec un F majuscule, page 291 que la métaphore « tirer les marrons du feu » était employée à l’envers (en effet, celui qui tire les marrons du feu, c’est celui qui se brûle et qui les donne à quelqu’un d’autre, qui les mange !), page 311 que « la supériorité » aurait dû remplacer « une supériorité » car la phrase se poursuit par « de celui qui s’est arraché », page 314 que « Schulmeister » était écrit « Schulmeisteir » (écriture phonétique typique des non-germanophones), beaucoup de coquilles donc mais pas de quoi parler d’un livre mal écrit.

Plus compliqué, le cas du mot « émule ». É. Zemmour écrit page 259 : « Tous ses émules, de Robuchon à Ducasse, l’ont imité et dépassé ». Sur le coup, je tique ; « émule » est-il bien masculin ? (à notre époque, il faut se méfier…). Je consulte mon Dictionnaire de 1923 et mon Hachette de 1991 : non seulement ils se contentent d’indiquer pudiquement que c’est « un nom », sans plus, mais ils donnent des exemples d’emploi qui ne permettent pas de trancher ! Beaucoup plus complet, le Trésor de la langue française, nous sort de l’horrible doute, à l’aide de deux citations :

  • « La vraisemblabilité (...) chez Bourget, est parfaite. Émule de Balzac, il est profondément enfoncé dans la réalité » écrit GIDE dans son Journal, 1939, p. 992

  • « Les vêtements tombent, tous à la fois et comme liés l'un à l'autre, car cette émule charmante de Fregoli ne conserve que sa chemise de jour (...) et son chapeau » réplique COLETTE dans « Claudine en ménage », 1902, pp. 120-121.

Donc, comme « grand » au XIXème siècle, « émule » est masculin et féminin à la fois ; en linguistique, ça doit avoir un nom… Hermaphrodite ? J’en connais, des apôtres du non-binaire, qui doivent se régaler en découvrant cela…

Faut-il trouver là matière à critique ? On trouve des coquilles dans tous les livres « modernes » et on peut penser que c’est plutôt la faute de relecteurs ou bien de la précipitation à publier.

13/10/2021

"La France n'a pas dit son dernier mot" (Éric Zemmour) : critique (II)

Deuxième constat : le récit n’est pas ce qu’en ont dit les médias ni ce qu’en disent ses adversaires politiques, nombreux, en ce début d’automne 2021, à six mois de l’élection présidentielle. Essentiellement, on lui reproche sa « transgression » sur le rôle de Pétain pendant l’Occupation, sa supposée misogynie (le fameux pamphlet « Le Premier sexe »), sa harangue pour des prénoms « français » (caricaturée en projet de « rebaptiser tous les mal-prénommés ») et ses convictions anti-immigration de masse (caricaturées en projet de « remigration »). C’était prévisible mais horripilant. Passons sur la principale et ridicule critique de M. Laurent Ruquier qui s’est obnubilé sur le nombre de « dîners en ville » que raconte Éric Zemmour… Il y en a beaucoup en effet – son réseau est étendu et il en tutoie la plupart des membres – mais étalés sur quatorze années ! Et on peut comprendre qu’un journaliste politique ne convoque pas ses interlocuteurs dans son bureau mais les rencontre aux moments et lieux où ils sont disponibles, à savoir au cours des repas. M. Ruquier s’est étranglé aussi parce qu’il avait lu, page 19, « Mon triomphe médiatique à CNews n’arrange pas mes affaires »… et évidemment, cela n’arrangeait pas non plus les mesures d’audience de M. Ruquier…

Il en a fait des tonnes également à propos de la phrase suivante, extraite du chapitre « Leur suicide, ma victoire » consacré à son invitation à « On n’est pas couché » du 2 octobre 2014 : « son metteur en scène, un jeune éphèbe qui, si j’en crois le portrait élogieux qu’en fit Ruquier, avait du génie du seul fait qu’il était gay » (page 189). Stricto sensu, cela signifie que le portrait de L. Ruquier (dont É. Zemmour ne reproduit pas le texte mais que L. Ruquier s’est bien gardé de rappeler) était creux et attribuait les qualités du jeune homme uniquement à son orientation sexuelle (que nous n’avons pas à connaître et qui ne nous importe pas, soit dit en passant). Donc É. Zemmour, littéralement, ne prend pas parti, ne donne pas d’avis sur l’artiste en question, et se contente de reproduire ce qu’il a retenu de l’intervention de L. Ruquier. Donc mauvais procès, plutôt ridicule. Mais il est vrai que É. Zemmour, à son habitude, joue parfaitement de son habileté rhétorique pour laisser entendre que…

Et à côté de ces attaques de mauvaise foi, peu ou pas d’argumentations sur le fond. Du moins jusqu’à présent ; le débat avec Michel Onfray, le 3 octobre 2021, a contrario, a permis une confrontation d’analyses argumentées.

Le récit n’est pas non plus ce que certains prétendent qu’ils auraient voulu qu’il soit : un programme électoral. Il s’agit de comptes rendus d’entretien avec la plupart des responsables politiques actuels, de « confidences » sur tel ou tel, de réminiscences sur ce qui l’a enchanté dans le monde d’avant et de portraits de ses très nombreux interlocuteurs, parfois féroces (les portraits) : Serge July, Julien Dray, François Bayrou, Alain Minc, Dominique Baudis, Jean-Luc Mélenchon, Michel Noir, Nicolas Sarkozy, Jean-Christophe Cambadélis, Gérard Longuet, Christophe Guilluy, Hughes Dewavrin, J.-F. Copé, Xavier Bertrand, Christian Vanneste, J.-L. Borloo, Yann Moix, J.-M. Le Pen, Daniel Keller, Alain Madelin, Jean-Claude Mailly, Jacques Toubon, Max Gallo, Gilles Kepel, Patrick Kron, Charles Pasqua, Boualem Sansal, Régis Debray, Frédéric Mion, Nicolas Dupont-Aignan, Emmanuel Todd, Cédric Lewandowski, Édouard Balladur, Pierre Bédier, Gilles Clavreul, Laurent Wauquiez, Marine Le Pen, Patrick Devedjian… comme on le voit une écrasante majorité d’hommes « de droite » selon la catégorisation traditionnelle. Le moindre intérêt de ces comptes rendus d’entretien n’est pas de découvrir l’écart – parfois le grand écart ! – qui existe entre les avis et convictions privés et les déclarations publiques (voir les chapitres sur J.-F. Copé, X. Bertrand et Y. Moix par exemple).