28/09/2014
Réformes de l'orthographe : chapitre VIII Pluriel et graphie des mots empruntés
C’est ici une illustration de la faculté française d’assimilation : on absorbe les mots d’origine étrangère en leur conférant un singulier et un pluriel réguliers, c’est-à-dire comme les mots français en général. Et on choisit comme forme du singulier, la forme la plus fréquente, même s’il s’agit d’un pluriel dans la langue d’origine. La graphie est « francisée », c’est-à-dire que ces mots perdront certains de leurs signes exotiques à l’occasion de leur assimilation.
On écrira donc :
Un ravioli et des raviolis ; un confetti et des confetti, un scénario et des scénarios ; un jazzman et des jazzmans (encore que, selon moi, on puisse dire tout simplement : des musiciens de jazz…).
Des matchs, des lieds, des solos, des apparatchiks, des maximums, des médias.
Exceptions : les citations comme « des mea culpa ».
Mais : des boss, des kibboutz, des box (car les mots se terminant par s ou x ou z ne prennent pas de « s » au pluriel).
Quand les mots ont été soudés, c’est plus simple : des bluejeans, des weekends…
Et des soudures, il y en a : un apriori, un exlibris, le statuquo, un vadémécum (sur ce dernier exemple, bien sûr c’est plus facile pour les apprenants et pour les personnes n’ayant pas étudié le latin, de l’écrire ainsi avec des accents « à la française » ; mais les autres seront nostalgiques de la graphie et de la prononciation du Bas Empire…).
Allez, encore quelques palanquées de mots soudés usuels : baseball, blackout, cowboy, fairplay (mais évitable et à éviter, selon moi), globetrotteur, harakiri, pipeline, striptease (il faut bien rêver, même avec la réforme de l’orthographe…).
Encore plus fort : l’Académie recommande d’accentuer les mots d’origine étrangère suivants, revenant ainsi à une caractéristique ancestrale du français qui est de conformer la graphie à la prononciation, en particulier grâce aux accents :
Artéfact, critérium, désidérata, facsimilé (dont les Américains ont tiré fax), mémento, mémorandum, référendum (surtout utile pour parler des Suisses car la France ne l’utilise guère…), satisfécit, sénior, véto (mots d’origine latine).
Allégro, braséro, cicérone, diésel, imprésario, pédigrée, pétrestroïka, péséta, révolver, séquoïa (j’ai mis un tréma car il me semble qu’il a été oublié dans le Journal officiel), trémolo…
À ce sujet, on peut regretter que l’Académie et les Commissions de terminologie n’aient pas identifié et dénoncé l’impact désastreux de la « graphie internet », qui oblige jeunes et moins jeunes (ceux qui maîtrisent l’orthographe et ceux qui sont en train de l’apprendre) à éliminer les accents de toutes les graphies (voir par exemple les adresses mél.). Avec leur codage sur huit bits, suffisant pour l’anglais, les Américains nous forcent à désapprendre ce que l’Académie s’efforce de préserver : l’orthographe.
08:00 Publié dans Règles du français et de l'écriture | Tags : réforme de l'orthographe, orthographe | Lien permanent | Commentaires (0)
23/09/2014
Savoir causer
J’ai hérité de quelques livres causant de la langue française, dont « La composition et le style » de Monseigneur Grente et le résumé d’orthographe de Berthet, que mes lecteurs connaissent bien, mais aussi du « Nouveau savoir-causer » de Paul Reboux, daté de 1949.
Ce Paul Reboux a publié une cinquantaine de livres : d’histoire, de cuisine… et des romans et des livres pour la jeunesse… et quelques fameux manuels de savoir-quelque chose.
Le « Savoir-causer » est amusant ; il prétend enseigner l’art de la conversation : comment raconter des histoires (drôles) – il en raconte lui-même un certain nombre – , comment intéresser un auditoire, comment dire des méchancetés…
Il prend plaisir à philosopher un peu et certaines de ses remarques font penser à l’André Maurois de « Un art de vivre » (Librairie académique Perrin, 1967).
Il est désuet, sans doute, mais bien écrit et souvent plein de bon sens, à tel point que je vais vous gratifier de quelques passages choisis.
Commençons par celui-ci, dissertation sur la disparition des causeries :
« Causer ? On ne cause plus. C’est fini. Le salon a été, dans nos logis, remplacé par le living-room, la pièce commune. Les mots sont hachés au téléphone (et encore, il ne connaissait pas le hash-tag de Tweeter…), non pas liés et nuancés en de subtiles entretiens. On n’écoute plus. Pas le temps… Auto, métro, avion, radio, stratosphère (sic)… La vie va trop vite. Les bousculades de nos rues symbolisent nos pensées… Au surplus, de quoi parlerait-on ? Nos journaux se chargent de penser pour nous.
Oui, de quoi parler ? Quelles pensées échanger avec sérénité ?
Les théâtres, les cinémas, les libraires nous offrent bien des déceptions. Les seuls romans qu’on lise en France sont anglais ou américains. Ils nous présentent, délayés en huit-cents pages (j’utilise ici la nouvelle orthographe de 1990 pour écrire les nombres) des intrigues du genre de celles d’Octave Feuillet ou d’Ernest Capendu (désolé, je ne connais pas plus que vous…)…
Ces romans-fleuves, ces romans estuaires, saumâtres comme le sont les estuaires, les Américains les dédaignent, quoi que prétendent les annonces. Ils ont mieux à faire. Ils nous envoient cette marchandise comme nous envoyons aux nègres de la verroterie. Seuls les snobs ou les nigauds de chez nous se délectent de cette pâture massive et insipide.
…
On causerait si l’on avait des loisirs. Qui peut se flatter d’en avoir ? La menace de guerre, la guerre, l’après-guerre, provoquent un état économique et social convulsif. On s’agite. À quoi pense-t-on ? à manger. On happe au passage de pauvres plaisirs. On se durcit pour résister à la dépression, à la fringale, au chagrin, au pessimisme, aux assauts du fisc (sic). Il faut profiter de toute circonstance propice à nous détourner de nos maux. On vit en embuscade, épiant sa chance. On ne se dévoue plus qu’à ses intérêts.
La conversation a brillé. Elle s’est ternie. Elle est bien malade…
…
C’est que l’esprit n’est plus à la mode. La matière – et plus spécialement la matière alimentaire – le remplace. Raison de plus pour proposer en exemple à mes contemporains ce qui a rendu la vie française si alerte, si variée, si brillante et si prestigieuse.
L’esprit de la Cour du Grand Roi, celui des ruelles au temps du Bien-Aimé, l’esprit frondeur du XVIIIè siècle, l’esprit ingénieux du XIXè siècle, l’esprit jovial du Boulevard, c’est de tout cela que vous trouverez ici des exemples.
Nos surréalistes et nos existentialistes n’ont pas eu autant de trouvailles verbales que leurs prédécesseurs dans les Lettres Françaises. Je ne le leur reproche pas. Chacun sa spécialité. Mais l’intérêt que je pourrais leur porter ne saurait me détourner des Français qui, de 1700 à 1900, ont maintenu avec éclat la plus aimable des traditions.
C’était ça aussi, l’après-guerre…
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20/09/2014
Réformes de l'orthographe : chapitre VII Elle s'est laissé séduire
La réforme de 1990 n’aborde l’accord, fameux, du participe passé que par le cas particulier du verbe laisser : « laissé » est rendu invariable quand il est suivi d’un infinitif, de façon identique à « fait », qui est toujours invariable, que ce soit avec l’auxiliaire « avoir », même quand l’objet est placé avant le verbe, ou en emploi pronominal. La raison en est que laisser, comme faire, joue ici un rôle d’auxiliaire.
On écrira donc :
Elle s’est laissé séduire (comme elle s’est fait admirer).
Je les ai laissé partir (comme je les ai fait partir).
La tablette qu’elle a laissé tomber (comme la montre qu’elle a fait changer).
Mais bien sûr : Elle s’est faite toute seule !
On gagne en simplicité mais c’est très loin de régler la question du participe passé, qui est l’un des sommets de la langue française et fera donc l’objet de quelques billets à venir (rappels du Berthet et exemples).
Pour vous appâter, cher public, voici ce qu’on peut lire dans une notice de médicament : « Ne prenez pas de dose double pour compenser la dose que vous avez oubliée de prendre ». Horreur : ici, le complément d’objet direct du sujet « vous » n’est pas « la dose » mais le verbe « prendre », qui n’est pas placé avant le sujet mais après. Donc « oublié » ne s’accorde pas avec la dose (féminin). Il reste invariable !
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