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23/09/2014

Savoir causer

J’ai hérité de quelques livres causant de la langue française, dont « La composition et le style » de Monseigneur Grente et le résumé d’orthographe de Berthet, que mes lecteurs connaissent bien, mais aussi du « Nouveau savoir-causer » de Paul Reboux, daté de 1949.

Ce Paul Reboux a publié une cinquantaine de livres : d’histoire, de cuisine… et des romans et des livres pour la jeunesse… et quelques fameux manuels de savoir-quelque chose.

Le « Savoir-causer » est amusant ; il prétend enseigner l’art de la conversation : comment raconter des histoires (drôles) – il en raconte lui-même un certain nombre – , comment intéresser un auditoire, comment dire des méchancetés…

Il prend plaisir à philosopher un peu et certaines de ses remarques font penser à l’André Maurois de « Un art de vivre » (Librairie académique Perrin, 1967).

Il est désuet, sans doute, mais bien écrit et souvent plein de bon sens, à tel point que je vais vous gratifier de quelques passages choisis.

 

Commençons par celui-ci, dissertation sur la disparition des causeries :

«  Causer ? On ne cause plus. C’est fini. Le salon a été, dans nos logis, remplacé par le living-room, la pièce commune. Les mots sont hachés au téléphone (et encore, il ne connaissait pas le hash-tag de Tweeter…), non pas liés et nuancés en de subtiles entretiens. On n’écoute plus. Pas le temps… Auto, métro, avion, radio, stratosphère (sic)… La vie va trop vite. Les bousculades de nos rues symbolisent nos pensées… Au surplus, de quoi parlerait-on ? Nos journaux se chargent de penser pour nous.

Oui, de quoi parler ? Quelles pensées échanger avec sérénité ?

Les théâtres, les cinémas, les libraires nous offrent bien des déceptions. Les seuls romans qu’on lise en France sont anglais ou américains. Ils nous présentent, délayés en huit-cents pages (j’utilise ici la nouvelle orthographe de 1990 pour écrire les nombres) des intrigues du genre de celles d’Octave Feuillet ou d’Ernest Capendu (désolé, je ne connais pas plus que vous…)

Ces romans-fleuves, ces romans estuaires, saumâtres comme le sont les estuaires, les Américains les dédaignent, quoi que prétendent les annonces. Ils ont mieux à faire. Ils nous envoient cette marchandise comme nous envoyons aux nègres de la verroterie. Seuls les snobs ou les nigauds de chez nous se délectent de cette pâture massive et insipide.

On causerait si l’on avait des loisirs. Qui peut se flatter d’en avoir ? La menace de guerre, la guerre, l’après-guerre, provoquent un état économique et social convulsif. On s’agite. À quoi pense-t-on ? à manger. On happe au passage de pauvres plaisirs. On se durcit pour résister à la dépression, à la fringale, au chagrin, au pessimisme, aux assauts du fisc (sic). Il faut profiter de toute circonstance propice à nous détourner de nos maux. On vit en embuscade, épiant sa chance. On ne se dévoue plus qu’à ses intérêts.

La conversation a brillé. Elle s’est ternie. Elle est bien malade…

C’est que l’esprit n’est plus à la mode. La matière – et plus spécialement la matière alimentaire – le remplace. Raison de plus pour proposer en exemple à mes contemporains ce qui a rendu la vie française si alerte, si variée, si brillante et si prestigieuse.

L’esprit de la Cour du Grand Roi, celui des ruelles au temps du Bien-Aimé, l’esprit frondeur du XVIIIè siècle, l’esprit ingénieux du XIXè siècle, l’esprit jovial du Boulevard, c’est de tout cela que vous trouverez ici des exemples.

 

Nos surréalistes et nos existentialistes n’ont pas eu autant de trouvailles verbales que leurs prédécesseurs dans les Lettres Françaises. Je ne le leur reproche pas. Chacun sa spécialité. Mais l’intérêt que je pourrais leur porter ne saurait me détourner des Français qui, de 1700 à 1900, ont maintenu avec éclat la plus aimable des traditions.

C’était ça aussi, l’après-guerre…

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