28/10/2015
Langues régionales : la langue de la République reste le français
Les sénateurs viennent de rejeter le projet de ratification de la Charte européenne des langues régionales (Voir par exemple mon billet "Natacha et moi : langues régionales (VIII)").
Ouf !
Les langues régionales, qu'il faut préserver bien sûr, comme la gastronomie et les paysages, ne vont pas acquérir le statut de langue officielle, qui aurait permis, par exemple, d'exiger des formulaires officiels en breton ou en basque.
L'article 2 de la Constitution de 1958 reste intouchable : la langue de la République est le français.
Toutes les autres - toutes - sont des langues minoritaires qui restent dans la sphère privée.
27/10/2015
Ma vie d'hôtesse (dans une compagnie à bas prix)
Sous le titre "Ma vie d'hôtesse low cost", Marianne a consacré, le 9 octobre 2015, un long article à Sofia Lichani, hôtesse de l'air chez Ryanair pendant cinq ans et qui a démissionné en janvier 2011. Elle a publié ses souvenirs dans "Bienvenue à bord !" en collaboration avec Thomas Rabino (Les Arènes, octobre 2015).
Pas besoin de reproduire le fond de son témoignage ni le contenu de l'article : tout le monde a compris comment ces compagnies aériennes réussissent à proposer des prix bas. "J'ai bossé 1300 heures à l'œil", "Le compteur (des heures de travail) tourne quand l'avion quitte le sol mais pas pendant l'accueil des passagers, le nettoyage de la cabine", etc.
Intéressons-nous plutôt à la langue de ce métier et conséquemment, à la langue de l'article du journaliste Arnaud Bouillin.
Quand Sofia ne travaille pas, on parle de stand-by home ou de stand-by airport.
Ses congés sans solde (si Ryanair manque de clients...) s'appellent unpaid leave.
Les briefings ne sont pas du temps de travail.
Elle doit payer elle-même son Airport ID.
Pendant ses quatre premiers vols, elle était en surnombre, supernumerary.
Sur son planning, on voit la différence entre le flight time et le flight duty period.
Elle trimbale ses affaires personnelles dans son crew bag. Normal, elle fait partie du cabin crew.
Si elle ne répond pas aux convocations sur téléphone mobile, c'est un no-show. Elle sera convoquée à un entretien disciplinaire, gentiment appelé meeting.
Si son average spend n'augmente pas, elle écopera d'un warning. Ou sera demoted.
En ce moment, certains voudraient que l'on ratifie la Charte européenne des langues régionales (voir mon billet à ce sujet) et que donc on puisse exiger des documents administratifs dans une autre langue que le français... Passons sur le fait que les finances du pays sont à plat. Mais c'est inutile. Nous sommes déjà bilingues (français-globish) !
Chez Uber, il y a au moins la créativité qui a consisté à utiliser les nouvelles technologies, maintenant à disposition et permettant la mise en relation, le nomadisme, la mobilité, l'asynchronisme. Chez les compagnies aériennes à bas prix, rien de tout cela : c'est le retour en arrière, à la précarité salariale, au droit de se taire, aux mesquineries patronales (les salaires payés le 10 du mois...), à l'arbitraire (les salaires sont obligatoirement versés sur un compte dans une banque irlandaise, le contrat de travail peut être modifié en cours de route..).
C'est beau la mondialisation et l'avion pour tous... Ce n'est pas une révolte, Sire, c'est une révolution.
09:40 Publié dans Actualité et langue française, Franglais et incorrections diverses | Lien permanent | Commentaires (0)
25/10/2015
Oh, fille de Garcia-Marquez et de la mondialisation !
L'autre jour, en cours, j'arrivai au chapitre du pilotage de projet et, plus précisément, à la nécessité (à l'obligation) de rendre compte au commanditaire de l'avancement des travaux.
J'employai le substantif "reddition de compte", qui correspond au verbe "rendre compte", tout comme on parle de la reddition d'une armée qui s'est rendue... L'histoire personnelle qui me lie à ce terme est en elle-même amusante, puisque je l'avais découvert sur le site de l'office belge de terminologie - à vrai dire, à la rubrique "finances-contrôle de gestion" - comme traduction correcte de l'horrible reporting, dont tout le monde abuse. Mon obstination à l'utiliser dans le langage courant, et en particulier en gestion de projet, a paru curieuse, et je dois dire que je n'ai pas eu beaucoup de succès auprès de mes collègues...
Mais revenons aux étudiants.
Ou plutôt à une étudiante qui m'a demandé ce que signifiait ce mot "reddition de compte". Ce fut pour moi l'occasion d'expliquer son origine, puis d'enchaîner sur l'inutilité d'utiliser le franglais, alors même que, la plupart du temps, des équivalents français existent ("Cherchez et vous trouverez" !).
Les choses en seraient restées là si une autre étudiante, avec un délicieux accent espagnol et un non moins charmant sourire ironique, n'était intervenue pour s'insurger contre cette préoccupation "vaine et dérisoire" (ce ne sont pas ses mots à elle mais c'est ce que j'ai ressenti de son argumentation...), à l'heure de la mondialisation. "Il y a des choses plus graves, quand même !" a-t-elle conclu.
Interruption, échange courtois avec Loréna, qui est Colombienne et parle très bien français. Je rappelle à la classe, en passant, que la Colombie, pour ceux qui ne voyagent pas aussi loin, c'est Gabriel Garcia-Marquez, Prix Nobel de littérature 1980, auteur des inoubliables "Cent ans de solitude" et "L'amour au temps du choléra".
(la Miss Univers 2014, Paulina Vega est Colombienne...)
Que lui répondis-je en mots choisis ? Que, bien sûr, il y a plus grave dans la vie que d'employer le franglais reporting mais que la question est simplement de parler et d'écrire une langue belle et précise, qu'elle soit le français, l'anglais ou l'espagnol... que le parler franglais a pour cause tantôt le snobisme (on veut faire croire...), tantôt la paresse (on répète ce qu'on a entendu sans chercher le mot juste), tantôt l'ignorance (on ne sait pas trop ce qu'il y a derrière, alors on balance un mot à consonance américaine)... et que cela n'a rien à voir avec la mondialisation, puisque, au début du XXème, Proust raillait déjà l'anglomanie à travers Madame Verdurin...
J'ai repensé à cette échauffourée ce matin en écoutant l'excellente chronique d'un philosophe sur France Inter, à propos du succès, en France et dans nombre de pays, des aventures d'Astérix le Gaulois. Il y était dit que cette apologie précoce (1959 !) de l'exception culturelle, bien loin de prôner le repli des cultures sur elles-mêmes, les incitaient au contraire à s'ouvrir et à se frotter aux autres : Astérix va bien en Égypte, en Grèce et ailleurs. C'est ce que diront aussi, d'une autre manière, Claude Lévi-Strauss et plus récemment Mario Vargas-Llosa. Bien sûr, la recherche d'une certaine pureté de la langue peut faire dériver vers l'ethnocentrisme, le protectionnisme, le chauvinisme, le nationalisme ou d'autres positions plus critiquables. Mais, disons-le, vive l'anglais, l'allemand, l'espagnol et les six mille langues qui coexistent encore sur la planète, et à bas les charabias comme le globish et le franglais, fruits pleins de vers que veulent nous imposer les marchands et les néolibéraux obsessionnels ! Et vive aussi les langues régionales (mais sans droits juridiques ni administratifs).
Et honte aussi aux journalistes qui croient attraper les gogos, par exemple en promouvant des cahiers en papier recyclé "au look délicieusement vintage, parfaits pour noter ses bonnes résolutions" (14 euros le carnet XXL, source Marianne du 8 janvier 2011, page 93). Et ces cahiers à quoi ressemblent-ils donc sur les photos ? À des cahiers, dont la couverture est entièrement occupée par les inscriptions en très gros caractères "RESCUED PAPER NOTE BOOK" et "RESCUED PAPER SCRAPBOOK"...
Enfer et damnation !
10:00 Publié dans Actualité et langue française, Franglais et incorrections diverses | Lien permanent | Commentaires (0)