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08/11/2015

Les hommes et les femmes sont-elles belles ?

L'Académie l'a déjà dit et répété : en français, le masculin a aussi, accessoirement, une fonction de neutre, le neutre n'existant pas en tant que tel (contrairement à l'allemand). C'est historique, à défaut d'être rationnel, juste ou optimal ; de toutes façons , c'était l'un ou l'une (même en écrivant cela, élevé au biberon des 0 et des 1 informatiques et de la logique binaire, tout en connaissant l'existence de logiques ternaires et plus, je ne suis plus sûr de rien ; récemment, dans un formulaire, on m'a demandé de décliner mon sexe : M, F ou Autre… Je suis resté perplexe).

Revenons à notre français...

À l'époque où tant de questions importantes, voire dramatiques, nous assaillent, certain(e)s n'hésitent pas à relancer le vieux débat de la féminisation du vocabulaire et de la syntaxe, et, faisant fi des autorités ancestrales chargées de la langue française, à publier un Guide qu'ils (elles) font passer pour un document officiel à adopter de toute urgence.

L'état-civil a déjà fait disparaître - à juste titre selon moi - la civilité "Mademoiselle" qui avait perdu son équivalent masculin (Damoiseau). Plusieurs femmes que j'ai interrogées, non seulement n'étaient pas au courant, mais le regrettaient...

On a déjà laissé une grande latitude sur les titres et les fonctions : Madame le Ministre ou Madame la Ministre, comme on veut. L'auteure et surtout l'écrivaine sont plus contestables mais après tout si ça leur (leure ?) fait plaisir, pourquoi pas ? On ne va pas se chamailler pour si peu.

Les femmes qui dirigent une pharmacie se font appeler depuis longtemps "Pharmacien" pour éviter d'être confondues avec l'épouse du pharmacien. Certaines jusqu'au-boutistes voudraient maintenant que l'on dise "Madame la Préfète", alors que jusqu'alors, cette dénomination faisait penser à l'épouse du préfet. Où est donc le juste respect de l'égalité hommes-femmes (ou plutôt femmes-hommes, excusez-moi…) ? Dans "Madame le Pharmacien" ou dans "Madame la Préfète" ? Les promoteurs (!) du Guide, dont je vais dire quelques mots un peu plus loin, indiquent que le couple de conjoints peut aujourd'hui être constitué de deux hommes ou de deux femmes - par les vertus du mariage pour tous-. Si c'est deux hommes (rien à voir avec Primo Levi), celui qui est pharmacien sera naturellement appelé "Monsieur le Préfet" ; mais quid de l'autre monsieur ? L'appellerait-on "Monsieur la Préfète" ? Non ? Donc, si c'est une femme, on ne doit pas le faire non plus. Voilà ce que j'ai compris de l'argumentation du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes qui vient de publier ses recommandations (une dizaine, mais tout au long de trente pages).

Il veut faire disparaître les expressions "chef de famille" et "nom de jeune fille" des documents administratifs.

Malheureusement, son communiqué de presse, à force de graphies baroques comme "citoyen.ne.s" et "exposé.e.s", est difficilement lisible. Il est dû à Gaëlle Abily, rapporteure (et non rapporteuse… !) du texte.

Le Guide, allez savoir pourquoi, a été présenté au Ministère de la Santé. Ça détraque, le manque de féminisation ?

Les administrations et les collectivités territoriales sont particulièrement visées, qui ne doivent pas reproduire des stéréotypes liés au sexe. Najat a encore frappé.

Mais ne ricanons pas. Je pense qu'on aurait pu ajouter, dans la liste des communicants indignes, la plupart de publicitaires et des entreprises qui les commanditent, et qui produisent 95 % des films publicitaires qui nous bassinent à longueur de soirée et aussi dans la rue pendant la journée. De jeunes femmes plus ravissantes les unes que les autres sont censées faire vendre, mais sans aucune justification rationnelle, des voitures, des shampoings, des cuisines, des tondeuses, j'en passe et des meilleures.

Il paraît que le pompon est à décerner au Conseil général des Yvelines, qui en 2008, avait diffusé des affiches avec une jeune femme à l'épaule dénudée, sans soutien-gorge (il fallait avoir l'œil), avec un maillot portant l'inscription "s'envoyer en l'air". Vulgaire, racoleur, scandaleux.

Voyons donc ces fameuses recommandations.

1) Accorder les noms de métiers et les titres en fonction du sexe

J'ai connu au CNRS une chercheuse de niveau international, responsable(e) de laboratoire, qui ne voulait pas être appelée "Madame la Directrice"… Chère Odile, tu avais tort. Le Haut conseil te dit aujourd'hui qu'il aurait fallu. Exit "Madame le Directeur". Sous Lionel Jospin, il y avait eu en 1999, un "Guide d'aide à la féminisation des noms des métiers". Soit disant que les équivalents féminins existent depuis le Moyen-Âge. Une colonelle, une députée, une officière de la Légion d'honneur. Pourquoi pas… Reste à accepter les femmes à la Légion (je reconnais que ça, c'est de la mauvaise foi).

Encore plus fort, il faudrait écrire "les sénateur.rice.s", "un.e élève"…  Et parler de "cheffes d'entreprise"...

Ridicule. Mes collègues aimaient dire "Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?".

 

2) Éliminer certaines expressions

Je l'ai déjà évoqué plus haut (chef de famille…). Du pinaillage...

 

3) Ne pas réserver les questions de vie privée aux femmes

Évident.

On se souvient du "Qui va garder les enfants ?" de Laurent Fabius. N'importe quoi et indigne de lui. Il aurait pu dire "Qui va accoucher des enfants ?", il aurait alors posé une question plus fondamentale et plus difficile à résoudre, encore que Ségolène avait montré pendant qu'elle était ministre, qu'elle l'avait surmontée.

En passant, je n'aurais pas dû l'appeler "Ségolène" d'après le Guide, parce que c'est dégradant pour les femmes, alors même que je n'avais pas écrit "Laurent".

4) C'est justement la quatrième recommandation...

5) Diversifier les représentations des hommes et des femmes

Ne pas assimiler les femmes à la douceur, les couleurs pastels, la littérature, la blondeur, le rêve, les positions passives, lascives, soumises, ni les hommes à l'ordinateur, le bleu, l'attitude concentrée, l'ambition, l'assurance, la domination. D'accord mais on n'est plus très loin de la théorie du genre.

Remarque : le Figaro, qui diffusait ça dans son info en continu, avait cru bon d'ajouter une mise en garde en italiques à la fin du billet, indiquant qu'il était interdit de faire des commentaires discriminatoires, violents ou diffamatoires… Inquiétant.

Par ailleurs, vu l'inertie et le blocage qui ont accompagné la réforme de l'orthographe de Michel Rocard, même en partie  validée par l'Académie, on peut se dire que ce Guide sera un coup d'épé (j'ai décidé de masculiniser arbitrairement ce substantif, qui décidément associe trop nettement la violence à la féminité) dans l'eau.

Désolé mais je ne peux pas conclure comme cela. J'ai consacré plus d'une heure à écrire ce billet sur un sujet que je considérais comme non prioritaire. Alors voici.

Quelquefois
Si douces
Quand la vie me touche
Comme nous tous
Alors si douces...

Quelquefois
Si dures
Que chaque blessure
Longtemps me dure
Longtemps me dure...

Femmes… Je vous aime
Femmes… Je vous aime
Je n'en connais pas de faciles
Je n'en connais que de fragiles
Et difficiles
Oui… difficiles

Quelquefois
Si drôles
Sur un coin d'épaule
Oh oui… si drôles
Regard qui frôle...

Quelquefois
Si seules
Parfois ell's le veulent
Oui mais… si seules
Oui mais si seules...

Femmes… Je vous aime
Femmes… Je vous aime
Vous êt's ma mère, je vous ressemble
Et tout ensemble mon enfant
Mon impatience
Et ma souffrance...

Femmes… Je vous aime
Femmes… Je vous aime
Si parfois ces mots se déchirent
C'est que je n'ose pas vous dire
Je vous désire
Ou même pire
O… Femmes...

 (Jean-Loup Dabadie, Julien Clerc)

 

Femmes.jpg

 

 

 

 

 

 

 

05/11/2015

La haine de la littérature

Encore une fois, je vais parler d'un article qui parle d'un livre qui parle des livres… C'est l'homme qui a vu l'homme...

C'était dans Marianne, le 2 octobre 2015 ; Alexandre Gefen rendait compte du livre de William Marx "La haine de la littérature" (Éditions de Minuit, 2015), qui retrace, depuis Platon jusqu'à Bourdieu, les critiques, voire les discours enflammés, contre les lettres.

Autodafé.jpg

Heureusement, en général, le combat de ces allergiques à la littérature ne se termine pas par des autodafés !

Platon justifiait l'expulsion des poètes loin de la cité idéale.

François de Malherbe : "Un bon poète n'est pas plus utile à l'État qu'un bon joueur de quilles".

Jean-Jacques Rousseau : "Je hais les livres ; ils n'apprennent qu'à parler de ce qu'on ne sait pas".

Emmanuel Kant : "Cet exercice dans l'art de tuer le temps - lire des romans - et de se rendre inutile au monde (ce qui n'empêche pas après coup de se plaindre de la brièveté de la vie) est, sans parler de l'humeur imaginative qu'il provoque, une des attaques les plus nuisibles qui se puissent infliger à la mémoire".

Renan en faisait une béquille pour l'enfance de l'humanité.

Pour Bourdieu, elle représentait le discours illégitime par excellence, manière de conforter les inégalités sociales.

Que lui reproche-t-on donc ? Elle influence les esprits, elle est immorale, sa vérité ne vaut rien face à la science, le culte de la figure de l'écrivain agace, etc.

Il paraît que le Ministre japonais de l'Éducation nationale (tiens, ça existerait aussi chez eux ?) a demandé aux universités de fermer leurs départements de lettres, au profit d'enseignements "plus directement utiles à la société"… Il est plus fort de Najat et Fleur réunies !

Pour William Marx, nous vivons dorénavant dans "un monde où la littérature a perdu presque tout pouvoir et toute autorité, coquille vide bonne à meubler les heures perdues d'une classe de plus en plus restreinte et accaparée par bien d'autres distractions".

Et pourtant, ces écrivains "créent de nouveaux univers, de nouvelles cités, renomment le réel, le transforment, l'abolissent".

Et pourtant un professeur de Harvard, Deidre Shauna Lynch, a publié il y a quelques mois "Loving Literature : A Cultural History".

Et pourtant le philologue allemand Curtius a écrit "La littérature joue un rôle capital dans la conscience que la France prend d'elle-même et de sa civilisation".

L'article de Marianne est illustré par un montage-photo montrant Nicolas Sarkozy, ancien Président de la République, lisant Oui-Oui...

 

 

 

 

 

29/10/2015

Parlez-vous le Dae'ch ?

Dans Valeurs actuelles du 15 octobre 2015, André Bercoff rend compte d'un livre singulier : "Paroles armées" de Philippe-Joseph Salazar, sous-titré "Comprendre et combattre la propagande terroriste" (Lemieux Éditeur).

(En passant, je concède qu'il vaudrait mieux parler de livres qu'on a lus, plutôt que de retranscrire la substance d'articles qu'on a lus sur les livres qu'on n'a pas lus - et que, sauf exception, on ne lira pas -. Mais l'actualité et la production littéraire des uns et des autres dépassent notoirement mes capacités de lecture).

P.-J. Salazar, après Normale Sup' et une thèse sur Roland Barthes (excusez du peu...), s'est intéressé aux techniques d'éloquence et de persuasion. Il dirige le Centre d'études rhétoriques de l'Université du Cap en Afrique du Sud.

Ses ouvrages ? L'hyper-politique et l'art de parler, l'Afrique du Sud et l'art de la voix, Mahomet et l'art de séduire les électeurs indécis... et aujourd'hui, Dae'ch.

 

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Sa thèse ? si nous n'assimilons pas son langage, nous demeurerons désarmés.

"Son livre traite du problème de l'intégrisme islamique par un biais jusqu'ici pratiquement inédit : celui de la stratégie linguistique et imagière, des valeurs transmises, de l'éloquence et de la persuasion, dévoilant la formidable machine de guerre idéologique et propagandiste de Dae'ch".

"Il montre l'originalité profonde de la parole califale : mélange subtil de force et de persuasion, et synthèse explosive et opérationnelle de la prédication religieuse et de la harangue militaire".

"Ils ne se considèrent pas comme terroristes mais comme des soldats et des partisans de Dieu et de ses valeurs".

"Face à cette détermination d'une violence souvent insoutenable, nous prônons le dialogue, la communication de crise, le management des ressources humaines.

Ils ont des convictions, nous avons des tolérances.

Ils ont un grand dessein, nous voulons vivre au jour le jour.

Ils veulent que les commandements de Dieu soient intégralement appliqués sur la Terre : la soumission ou la mort. Nous prônons la coexistence, le vivre-ensemble, la paix par-dessus tout".

"Le langage et les commentaires des vidéos, des magazines ou des sites sont rédigés dans une langue poétique et lyrique, où les mots sont parfaitement choisis et ressortent (NDLR : j'aurais écrit : ressortissent...) toujours d'un vocabulaire châtié, à mille lieues du wesh des banlieues et autres galimatias pour talk-shows faciles".

"La parole des armes ne suffira pas à pallier l'absence d'armes de la parole".

À travers l'analyse d'une langue et de ses modes d'expression, on arrive à l'examen de nos valeurs, de nos convictions et de notre détermination à les défendre.

Mais P.-J Salazar va plus loin : "Un jour viendra où nous devrons faire ce que fit François Ier... : parler à l'ennemi... Nous devons nous armer rhétoriquement car le moment viendra où nous devrons donc parler au califat et aux maîtres du djihadisme, et réapprendre ainsi la règle de fer des relations internationales, qui ne sont pas des relations au sens apaisant du mot mais des rapports justement de force... Apprendre à contrecarrer l'ennemi sur le terrain de la persuasion...".

Tout est langage (Jacques Lacan)...