23/05/2015
Cécile, ma sœur (II)
Continuons avec Cécile et sa "Mauvaise langue".
"Le barbarisme préfigure la barbarie. Une syntaxe que l'on malmène, un mot que l'on écorche, est une violence que l'on impose à soi et aux autres. L'approximation et la familiarité sont les manifestations premières d'un glissement progressif vers l'anomie, l'absence de code, c'est-à-dire la négation même de la civilisation, fondée sur les règles de la vie en société...
Or, le drame est que les mots ne manquent pas qu'aux enfants. Trop souvent les adultes leur tournent le dos, persuadés que l'essentiel se joue ailleurs, à travers d 'autres évidences, et ils tirent parfois une réelle fierté de cette infirmité. Mal parler, cela fait bien".
Nous n'en sommes qu'à la page 13 d'un livre publié en 2007, quand Mme Ladjali écrit ces phrases que l'on croirait sorties d'un article contre la réforme du collège de 2015 : "Or il semble que le monde n'a jamais autant infantilisé les adultes, en pariant sur les logiques du pire qui sont celles du nivellement par le bas et du relativisme culturel".
Et plus loin, page 123 : "Au vu des noms successifs ayant affublé ce même ministère, il semble que la mission de l'École ait sensiblement dévié. Si les mots ont un sens, l'actuelle dénomination (NDLR : l'Éducation nationale) donnerait à entendre que l'École se doit de fournir des règles de vie et de comportement aux enfants avant de leur offrir un savoir théorique. En d'autres termes, les professeurs doivent, en plus de leur rôle de maître, endosser celui des parents, lesquels ont la charge de l'éducation de leurs enfants.
J'ai le sentiment que les sciences de l'éducation incitent à délaisser l'apprendre pour le faire, afin que l'amusement supplée au travail. Je redoute ces pratiques qui consistent à mettre l'élève en situation de chercheur ou de linguiste en herbe, lors de ces moments de conquête qui ne sont ni la préparation ni le résultat d'une leçon apprise par cœur ou d'un cours magistral.
Au sujet du cours magistral, ce n'est pas peu dire qu'il pâtit actuellement d'une fâcheuse réputation. Or je le pense indispensable. Car il est des moments où l'élève doit se taire et écouter, afin de soumettre son attention à des données inédites véhiculées par un nouveau langage...
Encore faut-il que celle-ci s'impose suffisamment (NDLR : la voix du professeur) et parvienne, en intensité et en proportion, à couvrir le triste brouhaha des séances de découverte, visant à placer l'élève et sa parole au centre de tout, au milieu de rien...
Le maître est celui qui possède un savoir et l'élève celui qui ne l'a pas encore acquis.
Brouiller ces deux constantes peut avoir des conséquences dramatiques."
On croit lire une description de la réforme défendue, après tant d'autres ministres laxistes et dans l'air du temps, par Mme Belkacem. C'est dire qu'en huit ans, les choses n'ont pas stagné, elles ont empiré.
Pauvre Cécile.
07:37 Publié dans Actualité et langue française, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
22/05/2015
Cécile, ma sœur (I)
Mettant en parenthèse provisoirement "Passion arabe", j'ai rouvert l'autre fois, pour t'en faire profiter, public, le livre de Cécile Ladjali astucieusement intitulé "Mauvaise langue". Il a été publié en 2007, l'année où la France a préféré Nicolas à Ségolène ; autant dire que ça ne date pas d'hier.
Or de quoi parlait donc cette enseignante de français dans un lycée de Seine-Saint Denis, agrégée de lettres modernes et par ailleurs auteur de romans ? De la langue française, et de ses difficultés à enseigner la littérature, elle qui ne jure que par les classiques. De ses initiatives et de ses succès aussi.
Et de culture, de théâtre, de poésie... le tout avec conviction, idéalisme, enthousiasme et même passion.
Il y a tellement de passages du livre qui résonnent avec les thèmes de ce blogue, que je me propose de vous en donner plusieurs extraits dans ce billet et les suivants.
Je commence.
"Tous les moyens de l'esprit sont enfermés dans le langage ; et qui n'a point réfléchi sur le langage n'a point réfléchi du tout". À suivre cette pensée du philosophe Alain, le maître des élèves et de leurs professeurs, l'homme se trouve fort démuni s'il n'a pas les mots. Car sans les mots il est impossible d'envisager un rapport serein au monde, aux autres et à soi-même. Sans les mots, l'existence est inhumaine. Le malaise de la jeunesse est qu'elle semble être de moins en moins en possession d'une syntaxe, d'un vocabulaire riche et varié. Aussi n'est elle plus dans la disposition de dire qui elle est ni ce qu'elle désire. Cette absence de parole signifiante, cette incapacité à formuler, est dramatique. Car la jeunesse étant ce que notre monde sera demain, il est inquiétant de penser que ce dernier risque de se construire sur du vide ou, pire encore, sur des paroles non prononcées.
C'est en quelque sorte la thèse du livre, bien exposée dès l'exorde. La suite n'est pas toujours du même tonneau (je parle de la forme) car Mme Ladjali s'exprime parfois de façon quasiment poétique et elliptique.
Son livre, j'allais oublier de le dire, avait reçu le prix du jury Fémina pour la défense de la langue française.
19:20 Publié dans Actualité et langue française, Données chiffrées sur le français | Lien permanent | Commentaires (1)
20/05/2015
Brazzaville-Los Angeles via Paris
Alain Mabanckou, originaire du Congo-Brazzaville, est professeur de littérature française à l'Université de Californie à Los Angeles. Il a obtenu le prix Renaudot en 2006 pour ses "Mémoires de porc-épic".
Dans le Marianne du 17 avril 2015, il était invité à donner son point de vue sur le thème "Et si on aimait la France", thème choisi par l'hebdomadaire à l'occasion de la sortie du livre posthume du regretté Bernard Maris.
Et voici ce qu'écrit Alain Mabanckou sous le titre "L'illusion du prétendu déclin", qui frôle le pléonasme, soit dit en passant :
"Dans mon pays natal, c'est par le biais de la langue française que je me suis ouvert au monde...
J'ai donc embrassé la culture française, non pas avec mon arrivée en France à l'âge de 20 ans mais depuis ma terre natale où la langue française - qui est évidemment le moyen de locomotion de la culture française - est une langue qui se mêle aux congolaises au point que, dans notre esprit, elle a toujours été une langue africaine comme une autre...
Rien pour les Français n'est, par principe, exclu de la discussion et surtout de la contradiction? C'est ce côté parfois théorique et discursif qui m'enchante. C'est cette inclination pour la nuance et la contradiction qui m'émerveille.
Et puis, il y a surtout ce "génie français" qui se fonde sur des choses immatérielles, les idées, le néant, alors que ma culture d'origine privilégie le concret, l'image dans sa crudité et qui refuse de se couvrir du voile trop encombrant des "effets de langue".
Il n'y a pas - ou il y a peu - de synonymes dans la langue bembé, celle de ma mère. Parce que nous n'en avons pas besoin devant la profusion d'images que nous pouvons déployer afin de dire le monde...
C'est donc, au fond, la langue qui explique mon amour pour la France, parce qu'elle porte en elle ce que j'idéalise : la liberté de la pensée, le droit à la contradiction et la possibilité qu'elle a d'être compatible avec mon identité congolaise."
Avec de tels avocats, on est sûr qu'à la fin "c'est la France qui gagne".
Il n'y a rien à ajouter !
06:00 Publié dans Actualité et langue française, Histoire et langue française | Lien permanent | Commentaires (0)