26/03/2020
"Sous Verdun" (Maurice Genevoix) : critique
En 1949, l’académicien français Maurice Genevoix réunit en un seul volume intitulé « Ceux de 14 », les cinq récits de guerre qu’il avait écrits entre 1916 et 1923 ; celui qui y fut sous-lieutenant avait noté lors des accalmies ce qu’il voyait et ce qu’il ressentait.
Flammarion en a publié une belle édition en 2013, avec une préface de Michel Bernard et un dossier établi par Florent Deludet, sous forme d’un pavé de 947 pages.
« Sous Verdun » est le premier livre de cet ensemble. On ne s’ennuie pas une seconde tout long de ces 226 pages, parce que le style de Maurice Genevoix est sobre, alerte, sans pathos (ni emphase ni plainte), quasi journalistique. Pas d’expression de haine non plus, même si l’ennemi n’est évoqué que sous l’appellation « les Boches ». On comprend que pour ces soldats, ceux d’en face sont embarqués dans la même galère et souffrent également.
Les événements sont banals la plupart du temps – il s’agit de se protéger de la pluie et de trouver de la paille et un endroit pas trop inconfortable pour se reposer chaque nuit (lire par exemple l’enchantement de dormir dans des draps, page 174) – sauf quand ils sont dramatiques : les tirs, les blessés, les morts, les cadavres qu’on doit enjamber… Notre Académicien ne raconte rien d’extraordinaire, à ceci près que la vie de ces jeunes hommes, d’une tranchée à un fossé, en passant par des marches dans les bois et sur les routes de la campagne de la Meuse, et ce qu’ils ont enduré, sont tout bonnement extraordinaires. Ce n’est pas un roman, c’est comme un journal de bord, rythmé par les jours et les nuits qui passent.
Cette existence rude, angoissante et pleine de périls n’empêche pas, bien au contraire, la fraternité, la plaisanterie, les bonheurs tout simples des hommes de troupe ni, pour le sous-lieutenant Genevoix, la poésie des petits matins, du chant des oiseaux et des couchers de soleil : « Le ciel pâlit au zénith, et mes yeux cherchent sans se lasser la caresse ineffable du couchant, errant de l’émeraude froide et transparente aux ors qui s’échauffent jusqu’à l’ardeur flambante de l’horizon, sans rien perdre de leur fluidité » (page 126).
La langue du récit, je l’ai dit, est simple, avec parfois un certain lyrisme et des formules imagées : « Les flocons des éclatements , que pique un bref point d’or, les poursuivent, les cernent d’une théorie flottante et neigeuse » (page 126). Les dialogues sont retranscrits, non pas en patois (pourtant, à l’époque, ce devait être encore très répandu), mais en langue populaire, remplie d’élisions : « Une paire de bath pompes » (page 126) ; « En v’là encore qu’on bouffera avec les ch’vaux de bois » (page 127) ; « Ça d’sucre ! Ben y a pas gras ! L’tas d’la troisième est presque l’doub’e » (page 155) ; « ‘Coutez voir… Bon Dieu ! Pas d’erreur : ça canarde vachement, là-bas » (page 208) ; « Suffit maintenant qu’on aye un brancard » (page 225). Mais parfois, ça en devient peu clair : « Vers dix heures, venant du ravin en arrière mieux défilé aux vues de l’ennemi, les cuistots apparaissent » (page 151) ; « une vie assez aveulissante » (page 154) ; « Et Gendre, déséquipé, en veste courte, monte un équilibre en force et marche sur les mains » (page 175). Et par ailleurs, impossible de suivre vraiment les mouvements des troupes, même avec les dates et avec les lieux-dits.
Les mots du métier (de soldat) et peut-être des mots oubliés depuis sont légion (si j’ose dire…) : les aéros boches (pour aéronefs, autrement dit les avions d’observation), les marmites (des obus ?), les chaumes (on connaît ça en Lorraine !), les javelles, le faix des gerbes, les abattis, « elles s’ébaubissaient en chœur » (page 175), « un ravin défilé » (page 217), un layon (ah ! le Côteaux du Layon, dans une autre région…), les gargousses, les guitounes, les biffins (l’armée de terre)…
07:00 Publié dans Écrivains, Genevoix M., Littérature, Livre, Récit | Lien permanent | Commentaires (0)
23/03/2020
Les mots du corona III
Il y a ceux qu'aucun événement ne semble pouvoir faire changer : Nicolas Demorand sur France Inter, par exemple, qui continue à utiliser podcast et podcaster, alors même que l'on ne sait plus très bien ce qu'était un "pod". C'est un défi à René Étiemble !
Et les innombrables "posts" des réseaux sociaux qui usent et abusent du franglais : "délivrer le service" et "assurer le support" par exemple sur LinkedIn...
Sur les chaînes d'information en continu, les spécialistes du monde médical se succèdent, parlent et répondent aux questions inquiètes des journalistes. Un professeur de virologie se présente comme appartenant à "Sorbonne Université", alors que l'Université de la Sorbonne est connue et renommée sous ce nom depuis le Moyen-Âge ! (Cnews, 14 mars 2020).
En passant, un mea culpa : j'ai fait la guerre au mot "drastique" que je croyais franglais et que je remplaçais mentalement par "draconien"... À tort ! Car "drastique" vient du grec drastikos, qui signifie énergique. Mon petit Larousse illustré de 1991 en donne la définition suivante : très rigoureux, draconien (sic !). Et pour "draconien", il dit : du grec Dracon, législateur, d'une rigueur excessive. Donc si l'on suit le Larousse, les mesures de confinement seraient "draconiennes" car imposée par une autorité légale, tandis que, pour économiser la nourriture, on s'imposerait un régime drastique ?
Dans les médias, il y a aussi les inévitables bien-pensants et tourneurs autour du pot. Par exemple, sur Cnews encore, le 14 mars 2020, Mme Najeate Belahcen, qui nous parle de "personnes allophones", pour ne pas prononcer le mot "étrangers" (peur panique de stigmatiser, sans doute) et "d'enfants en situation de handicap" pour ne pas dire "handicapés", "autistes" ou autres, ce qui serait plus clair.
Ah, j'oubliais : "allophone" désigne ceux dont la langue maternelle n'est pas le français (on en entend beaucoup dans le Transilien, en particulier, qui sont au téléphone et que l'on ne comprend pas).
12:16 Publié dans Actualité et langue française, Franglais et incorrections diverses | Lien permanent | Commentaires (0)
19/03/2020
Des prénoms qui filent... à l'anglaise ?
Il y avait déjà les Kevin (prononcés kévine, alors qu’en français c’est kévain), les Jordan (hommage au joueur de basket ?) et les Margaux (alors que le diminutif de Marguerite, c’est Margot ; il faut croire que les vins de Bordeaux ont réussi leur campagne de communication)…
En fait depuis 1993 (sauf erreur), le choix des prénoms est libre en France (génération « J’ai le droit »), pourvu qu’ils ne soient pas dégradants (voir le film « Le prénom » avec Adolf). Et peu importe qu’il se produise un chassé-croisé entre les baptêmes des enfants et des voitures (voir Mégane et Zoé, parmi d’autres exemples).
Une des conséquences est évidemment qu’au lieu de choisir parmi les Saints du calendrier, tout parent peut afficher une origine, une tradition, une culture, voire son non-conformisme ou son admiration pour tel ou tel personnage célèbre, à travers les prénoms de ses enfants, y compris d’ailleurs en multipliant ces prénoms pour un même enfant.
Mais mon propos ici n’est pas de m’insurger comme certains contre des prénoms qui « feraient honte à la République française » ; c’est un autre débat, qui peut être ouvert mais en tablant plus sur la force de conviction des censeurs et sur l’intérêt bien compris des personnes concernées, que sur la coercition ou l’anathème.
Non, je veux dans ce billet pointer l’injure quotidienne qui est faite à l’orthographe de notre langue par des choix de prénoms à la graphie fantaisiste ou provocatrice, voire humoristique.
Le choix étant libre, pourquoi ne pas se lâcher en montrant son non-conformisme ?
Nous rencontrons ainsi des Loraine, des Katryn, des Ana, des Alexya, des Meryem et des Mariam, des Noëlly et des Roselène, des Athina, des Karin (qui devrait se prononcer « carine » comme dans « clarines »), des Haude et des Hannelore (mais cette dame charmante était d’origine allemande), de Lucille (la sœur bien-aimée de Chateaubriand se contentait d’un seul « l » dans son prénom mais en l’occurrence je ne dis rien car cette jeune femme tient son prénom de parents qui adoraient Jimi Hendrix, dont la mère s’appelait Lucille Jeter, 1925-1958), des Armélie, des Jecikya (oui, vous avez bien lu), j’en passe et des meilleurs ! C’est pathétique…
Et la question qui se pose est dès lors la suivante : l’orthographe française étant à la base déjà compliquée, comme peut-on espérer que nos enfants s’y retrouvent avec de telles graphies dénaturées ? Catherine, Anna, Alexia sont-ils si difficiles à porter ? Et si l’on veut absolument rendre hommage à ma région d’origine, pourquoi pas Lorraine ? À moins que la référence à la marque de vêtements soit vraiment indispensable ?
Cette créativité et ce souci de se distinguer sont plutôt pathétiques, sans compter qu’ils font penser à nos animaux de compagnie à quatre pattes (depuis longtemps, on nomme les chiens de race « sous contrainte de lettre initiale »).
Et ce n’est malheureusement pas le seul domaine où l’insouciance, le snobisme, la soumission aux modes et au modèle américain font des ravages ; nous avons évoqué il y a longtemps les marques (R16 Electronic !) et les enseignes de magasin. Dans cette course folle à la création de noms de baptême, il y a maintenant les produits bancaires et les projets de loi. Pourquoi pas… mais pourquoi « à l’anglaise » ?
07:00 Publié dans Actualité et langue française, Société, Vocabulaire, néologismes, langues minoritaires | Lien permanent | Commentaires (0)