03/08/2020
"Il reviendra" (Philippe Chatel) : critique I
J’ai découvert Philippe Chatel ! C’était en 1977 ou 78 et sa première chanson « J’t’aime bien, Lili » passait en boucle à la radio. À vrai dire, c’était plutôt une chansonnette, au texte répétitif et simplet, qui racontait l’amour inconditionnel (pléonasme?) qu’un jeune homme portait à une jeune femme supposément infidèle (« C’est pas la pluie… c’est lui ») et assez peu intellectuelle (« J’t’aime bien pour toutes les bêtises que tu dis »). Rien à voir avec la force dramatique de « Je te partage » de Serge Lama, sur à peu près le même sujet. Au demeurant, cette chanson est restée à part dans le répertoire du chanteur-compositeur, sauf pour ces allitérations, ces jeux de mots et ces métaphores improbables qu’il affectionne.
Quoiqu’il en soit, cette chanson me donna envie d’en connaître l’auteur : j’acquis au fur et à mesure toute sa discographie (des albums 33 tours, bien sûr), je courus écouter lors de plusieurs concerts dans de petites salles ce grand jeune homme à sabots (c’était la mode à l’époque) et j’appris même à la guitare quelques-unes de ses compositions (« Salut au temps qui passe », « T’es facile à vivre »…), sans atteindre malheureusement la qualité d’exécution des pointures guitaristiques comme Michel Haumont qui l’accompagnait. Je me suis passé et repassé « Bonjour l’angoisse » et « J’suis resté seul dans mon lundi », et ces chansons ont été quelque temps ma « marque de fabrique » auprès de mes amis, parce que j’étais le seul inconditionnel de Philippe Chatel, qui lui restait dans l’ombre médiatique. Il n’atteindra jamais un grand succès, bien que je considère qu’il a composé quelques-unes des meilleures chansons françaises ; Goldmann, Souchon, Voulzy, Duteil et Cabrel étaient passés par là et ce furent eux qui prirent la lumière. C’était eux la « nouvelle vague de la chanson française », après les géants que furent Brassens, Brel, Ferré, Nougaro et Barbara.
Jusqu’au jour de 1979 où Philippe Chatel dégaina le conte musical « Émilie Jolie », en l’honneur de sa fille de quatre ans, faisant chanter tous ses copains (Julien Clerc, Françoise Hardy, Sylvie Vartan…), sans oublier son maître Georges Brassens et son premier employeur Henri Salvador ! Ce fut un triomphe que notre nouveau producteur exploita de nombreuses années, à coup de spectacles et de rééditions (1997, 2011, 2018).
Il a dit depuis qu’il était passé « sous un char d’assaut » en 2006 (accident gravissime de quad). Mais il revint, ce qui nous valut, après « Analyse » (1976), « Salut au temps qui passe » (1978), « Sentiments » (1978), « Maquillages » (1981), « Yin Yang » (1982), « Peau d’âme » (1984) et « Anyway » (1990), un nouvel opus, « Renaissance », en 2015 (source : Wikipedia). Il ressort de toute cette création une grande qualité de composition, de beaux arrangements inspirés du classique ou des Beatles (surtout dans les derniers disques), une belle voix (parfois rauque dans « Renaissance », des textes souvent bien tournés (mais parfois maladroits), avec une obsession : l’absence, la séparation, la rupture (plus récemment Berry et Clarika ont repris au féminin ce mal de vivre). Au total, la chanson française dans sa tradition d’excellence. N’en déplaise à Serge Gainsbourg, la chanson est un art majeur !
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01/08/2020
"La vie secrète des arbres" (Pater Wohlleben) : critique
Quel beau livre et quel livre étrange, cette « Vie secrète des arbres » de Peter Wohlleben (Les Arènes, 2017 pour la traduction française ; 2015 chez Ludwig Verlag pour l’original en allemand). D’autant que le sous-titre est « Ce qu’ils ressentent, comment ils communiquent » ! Pour nous autres qui aimons les arbres, les entourons de soin (paillage, arrosage…) mais qui les considérons comme des objets inanimés, bien loin derrière les animaux dans notre hiérarchie des êtres vivants, c’est une révolution copernicienne.
L’auteur, garde-forestier à Hümmel, dans l’Eifel, région allemande au sud de Cologne, nous en apprend de belles sur les collectifs d’arbres, à savoir les forêts : les arbres d’une même espèce se protégeraient les uns les autres, prendraient soin de leurs « petits », se défendraient des assaillants (pucerons, champignons, pics verts…) et collaboreraient par ailleurs avec des partenaires (champignons…), le tout grâce à leur réseau de racines (un véritable « internet souterrain » écrit notre forestier), à leur stockage du « sucre » fabriqué à l’aide de la chlorophylle et à leur capacité de produire des substances répulsives ou attirantes sur leurs feuilles (odeurs, sucs…).
C’est au point que parfois on doute, on se dit que décidément, cela ressemble à de la science-fiction, voire au mysticisme ou à l’animisme ! Pourtant l’auteur cite nombre de publications scientifiques à l’appui de ses dires et sait ce que c’est qu’une bibliographie (58 références, essentiellement en allemand, un peu en anglais). On peut néanmoins regretter ici ou là quelques raisonnements lapidaires ou avortés, des coqs à l’âne et des affirmations gratuites.
Mais on apprend des tas de choses, comme dans le chapitre « Question de chance » sur la reproduction des arbres et leurs moyens de défense contre les « ravageurs » (page 40 et suivantes). « Ce sont précisément les sujets les plus mal en point qui mettent le plus d’ardeur à fleurir »… étonnant, non ? Lien avec l’actualité évident : après des étés secs et très chauds, on peut constater une floraison abondante au printemps suivant. Le chapitre « Échange de bons procédés » est également passionnant ; il explique le rôle des champignons, à cheval entre les règnes végétal et animal.
Son écriture est agréable, le livre, décomposé en courts chapitres, est d’autant plus facile à lire ; à noter également une excellente traduction (coup de chapeau à Corinne Tresca). La tonalité générale du livre est poétique, généreuse, écologique bien sûr, et amicale envers le lecteur, futur promeneur et défenseur des espaces boisés. « Chaque jour, des drames et d’émouvantes histoires d’amour se déroulent sous le couvert des houppiers, dernière parcelle de nature, à nos portes, où des aventures restent à vivre et des mystères à découvrir. Et qui sait ? Un jour peut-être le langage des arbres sera déchiffré et de nouvelles histoires extraordinaires s’offriront à nous » (page 253).
Amical, amical, ne parlons pas trop vite ! Dans son dernier chapitre, « Plaidoyer pour le respect des arbres », Peter Wohlleben nous culpabilise quand même : « Quand une bûche craque et pétille dans la cheminée, c’est du cadavre d’un hêtre ou d’un chêne que les flammes s’emparent. Le papier du livre que vous avez entre les mains, chers lecteurs, provient du bois râpé de bouleaux ou d’épicéas abattus – donc tués – à cette seule fin » (page 250). Rien de moins…
Verdict : un livre à lire, à conserver et à relire (car sa matière est dense). Et j’ajoute : à confronter à d’autres sources, pour vérifier les points qui peut-être sont à rattacher au lyrisme et à l’enthousiasme de l’auteur.
12:16 Publié dans Économie et société, Essais, Littérature, Wohlleben P. | Lien permanent | Commentaires (0)
06/07/2020
"La gloire de mon père" (Marcel Pagnol) : critique
Une fois n’est pas coutume : un film est meilleur que son livre éponyme ! En l’occurrence, le film d’Yves Robert a magnifiquement mis en images (des personnages aussi bien que des paysages) ce qui était évoqué sobrement et sans pathos par Marcel Pagnol dans « La gloire de mon père ». Et les maîtres-mots des « Souvenirs d’enfance » du cinéaste provençal : adoration de la mère, admiration du père, ambiance familiale aimante et exigeante, fascination pour les collines de l’arrière-pays, passion pour les grandes vacances dans la nature…, sans oublier l’emphase, le lyrisme et la volubilité qui sont la marque de fabrique de nos Marseillais, nous les avons retrouvés dans le film.
Il aurait donc fallu lire le livre préalablement, ce qui n’a pas été mon cas.
C’est la découverte, dans une brocante, d’un volume un peu corné des Éditions Pastorelly, imprimé par les presses de l’Imprimerie nationale de Monaco à Monte-Carlo et publié en 1957, qui m’a donné envie de le lire.
Marcel Pagnol était académicien français mais écrivait simplement, sans fioritures ni beaucoup de descriptions ; sa plume est alerte et le livre se lit facilement. Marcel Pagnol ne se prend pas pour un grand écrivain et, dans la préface où il analyse les difficultés comparées du théâtre et de la littérature, il conclut : « Ce sont ces considérations, peu honorables mais rassurantes, qui m’ont décidé à publier cet ouvrage, qui n’a, au surplus, que peu de prétentions : ce n’est qu’un témoignage sur une époque disparue et une petite chanson de piété filiale, qui passera peut-être aujourd’hui pour une grande nouveauté » (page 13). À noter quand même dans cette préface, une non-concordance des modes qui rend la phrase suivante bancale : « Par ma seule façon d’écrire, je vais me dévoiler tout entier, et si je ne suis pas sincère (…) j’aurais perdu mon temps à gâcher du papier » (page 11). Il me semble qu’il aurait dû écrire : « j’aurai perdu mon temps » (futur antérieur de l’indicatif et non pas conditionnel).
Sur les 305 pages de mon édition, presque la moitié (à partir de la page 171 exactement) est consacrée aux fameuses bartavelles, les perdrix royales ; c’est une proportion que le film n’a pas respectée, puisqu’il a ajouté la partie de boules qui n’est qu’évoquée dans le livre. Dans cet épisode, le petit Marcel craint que son père, complet débutant à la chasse, ne soit ridiculisé par l’oncle Jules mais le sort veut que ce soit le débutant qui abatte le si rare volatile, et encore, en deux exemplaires. La fierté touchante de l’enfant n’ignore pas cependant que le lauréat est, comme les autres, sujet à un peu de vanité après son exploit, lui qui n’avait pas eu de mots assez durs pour son collègue si fier de sa pêche miraculeuse qu’il montrait la photo de sa prise à tout le monde.
J’ai dit que la langue de notre écrivain était simple mais ses souvenirs sont émaillés de quelques mots rares comme « déhiscence » (page 25), que mon Hachette de 1991 explique ainsi : « ouverture, lors de la maturation, d’une anthère ou d’un fruit, qui permet au pollen ou aux graines de s’échapper » ; en l’occurrence, il s’agissait d’une métaphore puisqu’il parlait de la fin des études de son père à l’École normale…
J’ai par ailleurs découvert page 231 une formule syntaxique qui me hérisse au plus haut point, dans la bouche du petit Paul il est vrai (ce qui rend la faute pardonnable !) : « Et les carniers, ils sont cachés dans le placard de la cuisine, pour pas que tu le voies ». Horreur ! en 1957 déjà, on parlait comme cela ? D’ici à ce qu’un érudit me signale un jour que cette syntaxe date du XVIIème, il n’y a qu’un pas (c’est le cas de le dire)…
Mais son style est plaisant car, racontant des souvenirs d’enfance, il utilise les images que l’on se fait à ces âges-là, de la vie des adultes. L’accouchement de la tante Rose est ainsi vu comme un « reboutonnage » ; quant au nouveau-né, c’est « un bébé sans barbe ni moustache » (page 72) !
Marcel Pagnol n’est pas avare d’aphorismes (on se souvient de « J’ai le cœur fendu par toi » !). Ainsi, page 73 : « C’était un mercredi, le plus beau jour de la semaine, car nos jours ne sont beaux que par leur lendemain », ce qui est tout de même plus poétique que « Le meilleur moment, c’est quand on monte l’escalier », pour dire à peu près la même chose.
Les belles phrases ne manquent pas : « Alors commencèrent les plus beaux jours de ma vie » (page 138), « Au fond d’une petite grotte, une fente du roc pleurait en silence dans une barbe de mousse » (page 139). À la Bastide neuve, il y a « le Robinet du Progrès », la salle à manger « que décorait grandement une petite cheminée en marbre véritable » et « par un raffinement moderne », « des cadres qui pouvaient s’ouvrir et sur lesquels étaient tendue une fine toile métallique, pour arrêter les insectes la nuit » et « la prodigieuse lampe Tempête » (page 140). Marcel Pagnol se moque gentiment de ces éblouissements d’enfant mais aussi d’une époque car déjà en 1957, ils paraissent surannés.
Terminons notre critique de ce témoignage d’amour et d’admiration filiales qu’est avant tout le livre de souvenirs de Marcel Pagnol par cette apothéose de la page 279 : « Et dans mes petits poings sanglants d’où pendaient quatre ailes dorées, je haussais vers le ciel « La gloire de mon père » en face du soleil couchant ». Émouvant !
07:00 Publié dans Écrivains, Littérature, Livre, Pagnol M., Récit | Lien permanent | Commentaires (0)