23/04/2020
« Fleuve » (Thyde Monnier) : critique I
Thyde Monnier a publié « Fleuve » en 1942 aux Éditions du Milieu du Monde. J’ai récupéré lors de la « liquidation » d’une bibliothèque de Comité d’entreprise un volume double (n°143-144) du Livre de poche qui date lui de 1955. Peut-être Mme Monnier était-elle connue à cette époque-là, je ne sais pas ; ce n’est plus le cas aujourd’hui (Georges Duhamel, Roger Vailland et tant d’autres, qui ont eu leur heure de gloire, sont également sortis de la liste des écrivains que l’on lit ; même Maurice Genevoix, pourtant fêté par la République en ces temps de commémoration de la Grande Guerre, auteur du remarquable « Ceux de 14 » et incidemment beau-père du regretté Bernard Maris, n’est plus tellement lu). Sans parler de l’excellent docteur Jacques Chauviré avec ses « Mouettes sur la Saône »…
Bref, personne ne connaît plus Thyde Monnier ; mais pourquoi donc s’y intéresser, me direz-vous ? Eh bien parce qu’elle fut la compagne plus âgée d’un autre remarquable écrivain, lu aussi méconnu, Pierre Magnan – une sorte de Brigitte Trogneux avant l’heure, si l’on veut. Et Pierre Magnan, d’où le sortez-vous, renchérirez-vous ? Eh bien, l’auteur de « La maison assassinée » (les gens doivent connaître le film avec Patrick Bruel) et surtout de « Laure du bout du monde » et de « L’amant du poivre d’âne » et la suite, fut un admirateur de Jean Giono, une sorte de fils spirituel, un habitant de Manosque comme lui, au point d’écrire des romans quasiment au niveau du Maître. Il lui a rendu hommage dans « Pour saluer Giono ». J’ai donc suivi ma méthode habituelle, à la Warburg : Giono donne Magnan, qui donne Monnier.
Pierre Magnan imagine, dans son roman « Un grison d’Arcadie », une scène érotique ; ses deux héros sont allongés par terre devant la cheminée, une femme d’âge mûr et un jeune homme ; c’est torride mais ça se termine mal. C’est romanesque, donc. Mais dans le troisième tome de ses mémoires, « Un monstre sacré », en 2004, il évoque sa relation avec Thyde Monnier, autre amie de Giono, féministe, bien plus âgée que lui, et raconte la même scène devant le feu de cheminée… C’est assez vertigineux comme impression : les personnages réels dans la même situation, scabreuse mais intensément sensuelle, que ceux du roman, même si l’on sait, bien sûr, que les romanciers empruntent de nombreux éléments à leur vie personnelle.
Et dans « Fleuve », rebelote ! Cette fois c’est la maîtresse qui tient la plume (si j’ose dire…). Son héros, Pierre Pacaud (Pierre, tiens, tiens…) trouve enfin le bonheur auprès d’une femme indépendante, bien plus âgée que lui, et c’est la même scène au Domaine provencal que celle-ci dirige d’une main ferme et chaleureuse. Là où Pierre Magnan, sans doute, ne voyait qu’érotisme et protection maternelle, Thyde Monnier ajoute la dimension féministe : pour elle le mariage représentait la domination de la femme par l’homme et donc ce type de relation – une femme expérimentée avec un jeunot - permettait de rééquilibrer l’échange.
Voilà pour la filiation des situations et pour l’origine de mon intérêt. Mais je n’ai pas encore parlé de « Fleuve », premier tome du Cycle Pierre Pacaud (Barrage d’Arvillard, 1946, Pourriture de l’homme, 1949 et Largo,1954).
À suivre !
07:00 Publié dans Écrivains, Littérature, Livre, Monnier Thyde, Roman | Lien permanent | Commentaires (0)
20/04/2020
Les mots du corona VII
La semaine dernière, j’ai encore fait dans les médias ma moisson de termes franglais liés à l’épidémie. Tiens, à propos du virus, commençons par sa dénomination. On a d’abord eu droit à « coronavirus ». Ce nom, qui s’avérera provisoire, était le premier résultat scientifique dans un océan d’incertitudes : on le rattachait à une famille. Ouf, au moins un élément connu ! Ce nom, outre qu’il ne désignait pas précisément « notre » virus, était long à prononcer. On nous a ensuite parlé de « Covid-19 », un vrai nom de baptême. Et plus ou moins à la même date, on a vu apparaître, sans doute pour les initiés, le terme « SRAS-Cov-2 », création de l’OMS ; ça n’a pas pris pour l’instant… Mais comme dirait l’autre – celui de la Peste – mal nommer les choses, c’est ajouter à la misère du monde. En tous cas, trois qualificatifs pour le même virus, c’est deux de trop. Je pense encore une fois à Lennon et Mac Cartney : « Her name was Magill, and she called herself Lil. But everyone knew her as Nancy ».
À part ça, j’ai entendu sur la chaîne Cnews, le 30 mars 2020, l’expression « test drive » pour désigner ces endroits futurs (et futuristes) où l’on pourra se faire tester sans descendre de voiture, dans la mesure où l’on adore déjà prendre livraison de ses emplettes de cette façon. Le modèle américain avec un peu de sauce sud-coréenne, que demander de plus ?
J’ai déjà parlé du tracking, qui a de beaux jours devant lui.
On a appris, malheureusement, le mot « comorbidité » et c’est hors sujet de ce billet, puisque ni franglais ni incorrect ni saugrenu. Passons…
Les journalistes et chroniqueurs qui commentent des courbes aiment utiliser le mot anglais (d’origine latine sans doute, comme fac simile…) versus, pour indiquer qu’un phénomène varie en fonction d’un autre ou bien que l’on hésite entre les deux branches d’une alternative.
La langue est régulièrement martyrisée sur les plateaux télé, sans que le franglais en soit forcément responsable. L’une des approximations le plus agaçantes est l’emploi de prépositions incorrectes après certains verbes. Ainsi la phrase entendue le 27 mars 2020, à 19 h 30, par la bouche du Porte-parole du Ministère de l’Intérieur : « Les masques FFP2 sont réservés pour les soignants » (au lieu de « aux soignants »).
J’ai gardé le meilleur pour la fin. Dans une chronique tout à fait anodine quant à la langue employée, le très policé Yaël Goosz s’est soudain permis cette horreur : « Le Covid est un game changer ». C’était sur France Inter le 17 avril 2020, à 7 h 40. Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour prouver sa compatibilité avec le chantre de la start up nation !
12:31 Publié dans Actualité et langue française, Franglais et incorrections diverses | Lien permanent | Commentaires (0)
16/04/2020
Irritations linguistiques LXV : no sport ?
Montre-moi tes muscles et ta souplesse, je te dirai quelle langue tu parles ! Pendant que nos Académiciens s’émeuvent auprès des Pouvoirs publics de ce que la loi Toubon est contournée ou bafouée tous les jours par l’Administration (et les entreprises publiques), le privé s’en donne à cœur joie. Exemples déplorables dans un centre de maintien en forme (qu’ils appellent « de fitness ») du grand Ouest parisien.
Voici ce qu’on lit dans son planning 2020 en fait de cours de gymnastique : b-board boost, fast bike, bodywork, aqua’dynamic, bodycontrol, hilo (high-low) / step, stretch (étirements), hatha yoga, aquatraining, aqua’jump, hiit, street jazz, aqua’boxing, zumba, aqua’power, gym balance, fit punch, postural ball, body barre, cross training, board & mind, rubberband (élastiques ?), step, boxing (boxe ?), core / internal training, fit bike. Au total, pas moins de 26 termes anglais (et abscons, évidemment), sans compter les abréviations indéchiffrables (fac, trx) ! On a du mal à trouver quelques termes français : abdos-fessiers, méditation, sophrologie, relaxation, barre au sol, soit 15 % environ.
De qui se moque-t-on ? Les organisateurs et animateurs de gym pensent-ils accrocher une touche de modernisme et de sophistication à leur discipline en les affublant de noms anglais ? Ou sont-ils simplement si paresseux et peu créatifs qu’ils importent tous leurs exercices d’outre-Atlantique, noms de baptême inclus ?
On dit souvent que les joueurs de football ont du mal à s’exprimer, qu’ils parlent mal français. Cela ne les empêche pas d’être talentueux ni sympathiques ni généreux. Ainsi du jeune prodige Kylian M’Bappé, qui vient de créer, à vingt et un ans seulement, une fondation pour aider 98 jeunes jusqu’à l’âge adulte. Bravo, même si les fondations semblent pousser autour des gens fortunés comme les champignons après la pluie ; mais comment la baptise-t-il ? Inspired by KM ! De nos jours, en France, une fondation (qui bénéficiera sans doute d’avantages du système fiscal français) créée par un Français, qui doit sa carrière au monde sportif français (même s’il l’eût obtenue pareillement dans un autre pays européen) et sa fortune au public français, et qui se destine à aider de jeunes Français, est baptisée d’un nom anglais ! Qui peut comprendre cela ?
Ce n’est pas tout dans le monde merveilleux du sport hexagonal ! Importé des États-Unis (évidemment), une nouvelle discipline a fait son apparition chez nous et va être autorisée à organiser des combats : le MMA, à savoir le mixed martial art. Selon l’article de Bruno Rieth dans le Marianne du 29 novembre 2019, ce mélange de plusieurs techniques (karaté, jiu-jitsu brésilien, kung fu, pancrace, vale tudo, lutte, boxe, kick-boxing, self defense) est né en 1993 et a longtemps été considéré comme du free fight (sic). Même pas peur… de ne pas traduire !
C'est bien Winston Churchill qui professait : no sport ?
07:00 Publié dans Actualité et langue française, Franglais et incorrections diverses, Société | Lien permanent | Commentaires (0)