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02/05/2020

Les mots de la publicité I

Voici un nouveau mea culpa. Le 27 avril 2020, j’écoutais la chronique de Dorothée Barbat sur France Inter (sous-entendu « sur les ondes de France Inter »). Cette distinguée journaliste expliquait que « dans le mot émotion, il y a motion, et que donc il est synonyme de bouger ». Mon sang n’a fait qu’un tour ! Non pas que j’aie pensé au regretté Élie Kakou et son fameux « dans attaché de presse, il y a presse » mais plutôt au slogan cosmopolite de Peugeot « Motion and Emotion » . Voici ce qu’en dit le moteur de recherche Qwant :

Motion and emotion.png

(Notez que le slogan est aussi la raison sociale d’une société de conseil…).

Et voici la page correspondante du dictionnaire en ligne Linguee :

Motion and emotion (3).png

Les deux mots sont donc très souvent associés, en français et en anglais, n’en déplaise à la créativité rémunérée des publicitaires de Peugeot. Et cela nous rappelle l’existence d’un concept vedette de la Vème République : la motion de censure, toujours agitée, jamais appliquée.

Bref, j’étais outré de l’audace de Dorothée, soupçonnée par moi d’avoir commis un jeu de mots qui, comme d’habitude, fleurait bon l’anglomanie. Mélanger le beau mot français « émotion » et l’horrible terme « motion » (à prononcer à l’anglaise), quelle culot ! Et surtout quelle horreur !

Pris d’un doute néanmoins, je consultai le Trésor de la Langue française et constatai à ma courte honte qu’elle avait raison ! « émotion » vient de l’ancien français « motion », qui lui-même a pour origine le latin « motio », tous véhiculant (si j’ose dire!) la notion de mouvement. D’où le mot « locomotion ». Chapeau, Dorothée !

30/04/2020

« Fleuve » (Thyde Monnier) : critique II

« Fleuve » est un bon roman, bien écrit et bien mené ; il raconte la vie d’un jeune paysan des Alpes de Haute Provence, promis à son amie d’enfance, Renne, mais séduit par Annette, une magnifique jeune fille de la ville, en peu « coureuse », en tous cas extravertie et consciente de sa beauté. Il l’épouse après les affres de l’indécision – entre les deux son cœur balance – et épouse en même temps sa famille ; il travaille à la scierie avec beau-père et beau-frère. Mais cela ne dure pas car Annette est trop différente de l’idéal que lui inspire son éducation de gars de la montagne. Après une période que l’on qualifierait aujourd’hui de dépression, et un concours de circonstances, il rencontre enfin Maïa, une veuve bien plus âgée que lui, et c’est le grand amour. Je ne peux pas ne pas penser ici à la remarquable biographie de Dominique Bona, « Il n’y a qu’un amour », qui décrit les trois amours successifs d’André Maurois…

« Fleuve » est construit sur la métaphore omniprésente – et, à vrai dire, trop redondante – de la source qui jaillit non loin de la ferme paternelle de Pierre et qui, beaucoup plus loin, a grossi et se jette dans la mer (ou dans la Durance ?). Ce fleuve en devenir représente la vie de Pierre elle-même, et donne son nom au premier tome de la suite romanesque. Cette métaphore est un procédé de narration mais reste pour moi un artifice nullement indispensable au roman.

Non, ce qui m’a plu, c’est la vraisemblance des situations, des personnages et de leurs réactions. Mais c’est surtout la description de la vie d’avant : le monde rural, avec ses traditions, ses convictions et ses valeurs, celui de la France d’avant-guerre, quelques années avant la déflagration du conflit. À la dernière page, c’est la mobilisation, et Pierre va partir ; il pense que la guerre sera courte (comme à chaque fois…), il ne dit adieu à personne, il est au bord du fleuve… Sa vie s’écoule.

La langue de Thyde Monnier est sobre, alerte, précise ; ce n’est pas le lyrisme de Giono et sa portée universelle. L’histoire est simple, bucolique, presque banale mais en filigrane il y a l’idée que l’on ne gagne rien à renier ses valeurs profondes et que la réussite sociale est peu de choses à côté de la fidélité à ce que l’on est (j’ai envie de dire : « à ce que l’on naît »!). Ce roman n’est pas « régionaliste », Thyde Monnier ne cherche pas le pittoresque, même si elle emploie un vocabulaire particulier : « Ça ne fait pas beaucoup de charroi en bêtes et gens », page 5, « y s’embringue », page 7, « Pierre râtele le grand pré », page 16, « une foulée de foin », « traîner ses brègues ailleurs », « Louis lui aide à porter le repas », . Elle raconte une vie « dans son jus » et l’on se sent bien dans ce monde et dans cette époque-là, même si à cinquante ans on est vieux, si « une femme sourde, c’est du bonheur pour un ménage. Muette, ce serait encore mieux » !, « Renne sera une bonne femme courageuse qui ne laissera pas l’ouvrage pénible à son mari », page 19...

Un roman à recommander, à garder et peut-être même à relire.

28/04/2020

Les mots de la macronie I

L’inventaire a déjà été fait, exhaustif ou non. Michel Onfray, par exemple, en est friand, lui qui manifestement déteste M. Macron (voir sa chaîne michelonfray.com, par abonnement, 50 € par an). On connaît donc : un pognon de dingue, les gens qui ne sont rien, les premiers de cordée (les éditorialistes parlent maintenant avec humour des « premiers de corvée »), la start up nation, la rue qu’il suffit de traverser pour trouver un emploi (du temps où l’on pouvait traverser les rues…), les Gaulois réfractaires, les illettrés, etc. Tout un ramassis de qualificatifs désobligeants, arrogants, vexatoires, au motif d’accélérer l’avènement promis en un certain jour de mai 2017, d’un nouveau monde ! Que tout cela nous apparaît lointain aujourd’hui, et dérisoire…

Le taulier en chef, rallié à la macronie, Édouard Philippe a prononcé dix fois cette formule fréquente dans la bouche des politiques : « C’est la raison pour laquelle », au lieu de dire « C’est pour cette raison ») dans son point de presse sur LCI le 2 avril 2020. Tic de langage...

Les journalistes ne sont pas indemnes du virus de « néologisation à tout crin », loin de là. Ils aiment particulièrement le mot, assez ridicule selon moi, « calinothérapie ». Tout terme à consonance anglaise les ravit, par exemple coronabonds, qui ne sont que des obligations, terme parfaitement connu et compris de tous depuis des lustres.

Pendant ce temps-là, l’anglomanie continue ses ravages dans nos campagnes, là où il y a pourtant très peu de virus. J’ai lu dans Marianne qu’une communauté de communes du Sud s’était baptisée « Ouest Aveyron Communauté ». « Indécrottables » a-t-on envie de crier...

Bien que les macronistes n’y soient pour rien là non plus, on constate l’ignorance généralisée de la valeur des prépositions de lieu comme « où », voir par exemple :« où elle est splendide dedans ». Même ignorance sur le rôle du « y », la plupart du temps affublé d’un qualificatif de lieu qu’en fait il remplace. Pléonasme généralisé !