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10/10/2019

"Le schmock" (F.-O. Giesbert) : critique

Je dois le dire, je n’aime pas beaucoup M. Giesbert, le journaliste j’entends : échevelé, vindicatif, bobo, polémiquant souvent, agressif parfois. Et donc, quand on m’a offert son dernier livre « Le schmock » (Gallimard, 2019), je n’ai pas sauté de joie : un titre qui semble annoncer un ouvrage « alimentaire » et futile comme les gens en vue en font tant, et une image de couverture peu engageante (un petit personnage à genoux dans une pièce vide, avec la tête d’Hitler…). Voilà bien trois raisons qui auraient pu me faire ranger le livre dans la pile de ceux que l’on lira beaucoup plus tard et, à vrai dire, jamais.

Et pourtant je l’ai ouvert et j’ai trouvé l’avant-propos intéressant et l’argument convaincant : « Par quelle aberration, à cause de quelles complaisances, quelles lâchetés, le nazisme fut-il possible ? Qu’était-il arrivé à l’Allemagne qui, avec l’Autriche, avait enfanté Jean-Sébastien Bach, Hildegarde de Bingen et Rainer Maria Rilke ? Comment cela a-t-il pu advenir ? Il n’y a que les fous pour tenter de répondre à ce genre de questions, les fous ou les romans ». En l’occurrence, ce n’est pas exact, des dizaines de livres ayant été écrits sur cette période et sur les tristes sires que furent les dirigeants de l’Allemagne nazie (il suffit d’ailleurs de compulser l’abondante bibliographie que donne Giesbert à la fin de son livre, bibliographie qu’il a lue au moins en partie, à n’en pas douter).

Donc voilà, c’est un roman sur l’avènement du IIIème Reich (pourquoi troisième ? parce qu’il y a eu avant lui le Saint Empire romain germanique  – Heiliges Römisches Reich Deutscher Nation –, de 962 à 1806, et   l’empire de Guillaume Ier, roi de Prusse de 1871 à 1918), ses délires meurtriers et sa chute, qui mêle le destin de personnages de fiction à la grande Histoire et à ses horribles protagonistes.

Assez vite, on en comprend le titre : en yiddish, « schmock » signifie « salaud ». Et le salaud bien sûr, c’est Hitler.

Le livre est passionnant, bien construit et bien écrit : ses héros en sont deux amis, leurs deux épouses et leurs familles, que le nazisme va séparer. L’auteur fait se succéder des époques différentes en bousculant la chronologie et nous emmène vers le dénouement avec habileté, dont la moindre originalité n’est pas sa façon de reprendre la parole au milieu du récit pour alerter ou interpeler son lecteur. Fiction et événements réels s’entremêlent avec vraisemblance et aucune des horreurs du temps ne nous est épargnée. On en apprend encore sur la folie des protagonistes et sur leur caractère, détails que Franz-Olivier Giesbert a péchés dans ses innombrables lectures sur le sujet.

Je n’ai marqué que deux passages dans le livre : le premier, page 138, donne une recette d’Ingrid Gottsahl, dans laquelle elle met « des morceaux de vieilles pommes en l’air » (car c’est la première fois que je vois écrite cette expression qui désigne les pommes du pommier) et le second, page 268, où M. Giesbert emploie les mots « enclouée (dans sa poussette) » et « empégués (dans d’interminables discussions) » qui m’ont semblé bizarres, le premier figurant néanmoins dans mon Larousse des années 30 mais à propos du ferrage des chevaux.

Mais quand on referme le livre, on repense à sa raison d’être, à la motivation initiale de l’auteur, telle que formulée dans son avant-propos : comprend-on mieux l’avènement de ce régime fou ? Et la réponse est, bien sûr : non, pas plus qu’avant. Mais c’est une nouvelle pierre à l’entretien de la mémoire, ce n’est déjà pas rien.

Au total, voilà un livre qu’on ne lâche pas avant l’épilogue, qu’on peut recommander mais qu’on ne relira sans doute pas.

23/09/2019

"Le troisième homme" (Graham Greene) : critique

« Le troisième homme » est avant tout connu pour le film homonyme, Grand Prix du festival de Cannes 1949, dont le scénario avait été demandé à un écrivain britannique célèbre, Graham Greene. Ancien espion, spécialiste en particulier de roman d’espionnage, ce dernier s’était rendu à Vienne, ville partagée, à la fin de la Deuxième guerre mondiale, en quatre zones occupées par les puissances alliées victorieuses, ce qui était une exigence du réalisateur Carol Reed. Dans ce film, on voit très peu le personnage principal, Harry Lime, joué par Orson Welles.

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Le film est aussi très connu pour la musique composée et jouée par Anton Karas à la cithare, en particulier le fameux Harry Lime’s theme, que le héros sifflote.

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En 1949, l’écrivain tira un livre de son scénario (Robert Laffont, 1950), à la facture classique d’un roman d’espionnage. J’ai trouvé une vieille édition sur un appui de fenêtre… Le livre est alerte, avec de nombreuses ruptures dans le récit, en particulier des changements de narrateur (tantôt le style direct, tantôt les dialogues entre l’enquêteur anglais Calloway et l’ami de Lime, l’Américain Martins). Au total il tient en haleine, jusqu’au dénouement dans les égouts de Vienne.

Autre chose à dire ?

Non…

13/06/2019

"Washington Square" (Henry James) : critique

On distingue trois phases (et trois manières) dans la production romanesque de Henry James (dixit Wikipedia) : la première culmine avec « Portrait de femme » et inclut « Les Bostoniennes » et « Washington Square » (1880) ; la seconde voit la publication de « Ce que savait Maisie » (1897), à la construction beaucoup plus complexe, que nous avons déjà commenté dans ce blogue ; enfin la dernière, avec « Les ailes de la colombe » (1902), qui fait partie d’une trilogie, celle de la maturité littéraire. Par hasard, j’ai donc sous la main un roman de chacune des trois phases.

« Washington Square » est un roman classique, linéaire, à la construction simple. Il fait irrésistiblement penser à Balzac et, plus particulièrement à « Eugénie Grandet » (1834). Dans sa préface à l’édition du Livre de poche de 1962, Pierre Martory analyse les ressemblances et différences entre ces deux œuvres, analyse intéressante qu’il serait trop long de reproduire ici.

L’histoire est simple : Catherine, fille du docteur Sloper, est plutôt disgracieuse mais bien qu’elle représente un bon parti à cause de la succession de sa mère et surtout de la fortune dont elle héritera de son père, les prétendants ne se bousculent pas. Sauf Morris Townsend, cousin du futur mari de sa cousine, dont elle s’entiche au premier coup d’œil et qui semble lui aussi épris. Mais le père de Catherine voit tout de suite en lui un coureur de dot, au passé douteux et au manque de courage pour se faire une situation ; il s’oppose avec obstination, cynisme et ironie au projet de mariage des deux jeunes gens, tout en laissant une certaine liberté à sa fille. Sa pression est psychologique et aussi financière puisqu’il menace de déshériter sa fille en cas de mariage. Au contraire la tante de Catherine, Mme Penniman, s’investit dans le projet, protège les amoureux et devient l’avocat acharné de Morris. Elle intervient dans leur relation et prodigue conseils et confidences. Un beau jour, Morris se dédit et quitte New-York, pour revenir vingt ans plus tard frapper à la porte de Catherine. Celle-ci n’a rien oublié et n’a pas pardonné sa trahison alors même qu’elle avait sacrifié à leur amour à la fois l’admiration pour son père et son héritage. On comprend qu’elle restera vieille fille…

Dans ce huis clos, les personnages sont peu nombreux : le médecin, sa fille, ses deux sœurs et le prétendant. Leurs caractères sont bien étudiés ; Catherine et son père, chacun sur sa ligne, sont aussi obstinés l’un que l’autre, aucun d’eux ne lâchera. Quant à Morris, il subsiste jusqu’au bout un doute sur ses motivations réelles ; en voulait-il exclusivement à l’héritage de Catherine et sa promesse d’une vie facile de rentier ? Cela semble le cas mais ses sentiments étaient peut-être sincères… La vieille tante, veuve fantasque et romanesque, ajoute ses lubies au désordre, et vit une sorte de passion par procuration ; elle m’a fait penser à Marie Pouquet, la mère de Jeanne, fiancée de Gaston Arman de Caillavet (voir mes billets sur la trilogie familiale de Michelle Maurois).

La traduction de Camille Dutourd est excellente et convient parfaitement au style de ce roman classique facile à lire. Voici les passages, peu nombreux, que j’ai isolés pour leur intérêt orthographique ou grammatical.

« Quelles sont ces choses que tu as promis de me dire ? » (page 42). Ici le COD de « promis » est « de me dire » et non pas « ces choses » ; c’est pour cela que « promis » ne prend pas la marque du pluriel. Ne pas confondre, évidemment, avec « Quelles sont les choses que tu as promises ? ».

« On aurait dit une maison de poupée géante, tout nouvellement sortie d’un magasin de jouets » (page 95). Encore une fois, le mot « tout » dans sa signification de « entièrement », et donc invariable, mais ici suivi d’un autre adverbe « nouvellement »… Le seul adjectif, qui s’accorde avec le sujet (« maison de poupée »), est « sortie ».

Dans le même paragraphe, on trouve : « il y avait devant la maison une toute petite cour » ; l’adverbe « toute » ne prend un « e » que pour l’euphonie, le mot suivant (l’adjectif « petite ») commençant par une consonne.

Page 176, un mot rare : « au lieu d’être le courantin de quelque patron ». Le TILF ne nous dit rien de ce mot ; mais c’est mon Larousse en deux volumes de 1922 qui explique : « Personne que l’on emploie pour faire des courses ».

Au total « Washington Square » est un bon roman, une bonne « étude de cas » dans le New-York de la fin du XIXème siècle ; à garder et à recommander, sans doute pas à relire.