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08/10/2020

"Les Misérables (tome II)" (Victor Hugo) : critique IV

Au chapitre XI, « Railler, régner », Victor Hugo nous livre un portrait enflammé, grandiose, évidemment très partial (mais nous sommes en 1820), pour tout dire quasiment halluciné, de la Ville-Lumière. Avec un débit de mitraillette et un souffle de tribun, il nous assène des siècles d’histoire et de personnages plus prestigieux les uns que les autres. À cette aune, nos Provinces et toutes les villes du monde semblent n’être que du menu fretin.

Quand il parle de Paris – au masculin, bizarrement – il est sans retenue : « Il a un prodigieux 14 juillet qui délivre le globe (NDLR : aujourd’hui, sa prétention n’est plus que d’offrir le feu d’artifice le plus grandiose) ; il fait faire le serment du jeu de paume à toutes les nations ; sa nuit du 4 août dissout en trois heures mille ans de féodalité (NDLR : aujourd’hui, un ministre du Pakistan appelle à commettre chez nous le pire des forfaits…) (page 313).

  « Il est tribune sous les pieds de Mirabeau et cratère sous les pieds de Robespierre ; ses livres, son théâtre, son art, sa science, sa littérature, sa philosophie, sont les manuels du genre humain ; il a Pascal, Régnier, Corneille, Descartes, Jean-Jacques, Voltaire pour toutes les minutes (NDLR : mais sont-ils vraiment Parisiens ?), Molière pour tous les siècles ; il fait parler sa langue à la bouche universelle, et cette langue devient les Verbe ; il construit dans tous les esprits l’idée de progrès ; les dogmes libérateurs qu’il forge sont pour les générations des épées de chevet, et c’est avec l’âme de ses penseurs et de ses poëtes que sont faits depuis 1789 tous les héros de tous les peuples ».

Et encore : « Pour que la révolution soit, il ne suffit pas que Montesquieu la pressente, que Diderot la prêche, que Beaumarchais l’annonce, que Condorcet la calcule, qu’Arouet la prépare , que Rousseau la prémédite ; il faut que Danton l’ose » (page 314).

Enfin, la péroraison résonne curieusement à nos oreilles attentives à la progression de la COVID-19 : « Tenter, braver, persister (NDLR : fluctuat nec mergitur), persévérer, s’être fidèle à soi-même, prendre corps à corps le destin, étonner la catastrophe par le peu de peur qu’elle nous fait, tantôt affronter la puissance injuste, tantôt insulter la victoire ivre, tenir bon, tenir tête ; voilà l’exemple dont les peuples ont besoin, et la lumière qui les électrise. Le même éclair formidable va de la torche de Prométhée au brûle-gueule de Cambronne » (page 315).

Sommes-nous vraiment digne de cet éloge et de cette confiance ?

01/10/2020

"Le roman des Jardin" (Alexandre Jardin) : critique

En 2005, Alexandre Jardin a publié chez Grasset « Le roman des Jardin », censé raconter les frasques et les excentricités du clan constitué par la famille Jardin et ses amis. Nul doute qu’il n’emprunte à la réalité bon nombre de bizarreries et d’anecdotes mais, vu l’ampleur du folklore présenté dans le roman, on se dit qu’il en a probablement rajouté. Et cela donne au récit une tonalité mi-souvenirs mi-fiction qui nuit à son intérêt.

D’abord la famille Jardin, c’est quoi ? Une dynastie d’hurluberlus qui commence par le grand-père, Jean, qui fut chef de cabinet de Pierre Laval pendant l’Occupation et dont le moins que l’on puisse dire est que son petit-fils n’est pas fier de lui. Il utilise même le roman pour percer l’abcès et confier son malaise. Son épouse, surnommée L’Arquebuse, mène la famille d’une main de fer mais pour s’assurer que rien de vraiment normal, convenable, conformiste, raisonnable ne s’y passe, que ce soit à Vevey chez elle ou dans la propriété de Seine et Marne. Elle pousse l’anticonformisme jusqu'à accueillir et héberger les maîtresses de son mari, comme d’ailleurs l’un de ses trois fils, Pascal Jardin, auteur connu de scénarios et de pièces de théâtre, côtoiera amicalement les innombrables amants de sa femme, Louse. Le seul qui est nommé dans le roman est le cinéaste Claude Sautet (« Les Choses de la vie »…), dont Pascal Jardin souhaitera qu’il ait un enfant avec Louse ; ce sera Emmanuel, le demi-frère, qui cherchera obstinément à obtenir sa vraie identité et qui ne s’en remettra pas.  Il faut dire que dans cette famille, l’adultère est monnaie courante et même encouragé.

Le père d’Alexandre, surnommé le Zubial, a deux frères surnommés Merlin et l’Ange Gabriel ; on aura compris que le surnom est ici la règle. Tous ces aimables bobos ont un point commun : surtout, ne pas travailler. J’ai appris, en lisant l’un de ses livres (« Paul Morand, un évadé permanent », Grasset, 2006), que Gabriel était le neveu de l’écrivain et dandy Paul Morand.

Une famille compliquée donc, au style de vie débridé, et qui est encore étendue par la fréquentation de nombreux amis (Yves Salgues, Maurice Couve de Murville…) au sujet desquels les anecdotes semblent complètement fantaisistes, voire choquantes.

De Alexandre Jardin je n’avais lu que « L’île des gauchers » et bien sûr, comme tout le monde, j'avais vu l’adaptation cinématographique de « Fanfan », surtout remarquable par ses deux têtes d’affiche, Vincent Perez et Sophie Marceau (veut-on qu’une fois de plus j’illustre mon propos par une photo de la belle ?).

Sophie Marceau à St Bart.jpg

J’ai du mal à caractériser son style littéraire ; indiscutablement, ses livres sont bien écrits mais comme « trop longs » à chaque fois ; le superficiel apparaît très vite et devient lassant bien avant la fin. Dans le « Roman des Jardin », c’est la répétition fastidieuse du même argument qui énerve le lecteur : Alexandre est content et fier d’être un Jardin mais la lignée le révulse et il a tout fait pour ne pas être comme eux, tout en cherchant par éclipses à laisser de côté sa première manière de romancier fleur bleue pour s’essayer à la fantaisie et au social (il évoque ses frasques conjugales et on se souvient par ailleurs de son agitation médiatique lors de la campagne présidentielle de 2017). Bref, une tempête sous un crâne de nanti, qui donne opportunément l’occasion de publier un nouvel opus. Tout cela sent trop l’écume des jours et l’apprêté pour être passionnant.

Son introduction, qui dure quelque 37 pages, suggère beaucoup mais ne dit pas grand chose ; l'écrivain en revanche a une certaine virtuosité pour la métaphore et les belles formules : « Nous étions une île, une sorte d’Angleterre désoccupée des affaires du globe et disponible pour l’originalité » (page 26) ; « Mort assez tôt pour avoir fréquenté d’immenses libertés, il avait eu l’honneur de rester vivant jusqu’à son décès » (page 229).

Au total, un roman qui se lit en deux jours et ne me semble pas devoir être recommandé ni gardé.

28/09/2020

"Les Misérables (tome II)" (Victor Hugo) : critique III

Comme dans « Notre-Dame de Paris », les digressions historiques ou politiques sont un régal, exemple cette description fouillée de ce que devait être un couvent dans le Paris des années 20 (1820 !). Elle abonde d’anecdotes, de citations et de références à des personnages ou des événements qui la plupart du temps ne nous disent plus rien mais qui donne de l’épaisseur au récit (Livres sixième et septième, « Le Petit-Picpus » et « Parenthèse », à partir de la page 163). On trouve page 203 un très court chapitre d’une demi-page qui résonne profondément à nos oreilles du XXIème siècle : « Ce livre est un drame dont le premier personnage est l’infini. L’homme est le second (…) Le couvent (…) est un des appareils d’optique appliqués par l’homme sur l’infini (…) Toutes les fois que nous rencontrons dans l’homme l’infini, bien ou mal compris, nous nous sentons pris de respect. Il y a dans la synagogue, dans la mosquée, dans la pagode, dans le wigwam, un côté hideux que nous exécrons et un côté sublime que nous adorons. Quelle contemplation pour l’esprit et quelle rêverie sans fond ! la réverbération de Dieu sur le mur humain ».

Et les chapitres suivants sont de la même eau : « Là où il y a la communauté, il y a la commune ; là où il y a la commune, il y a le droit. Le monastère est le produit de la formule : Égalité, Fraternité. Oh ! que la Liberté est grande ! et quelle transfiguration splendide ! la Liberté suffit à transformer le monastère en république » (page 211). « Ils prient. Qui ? Dieu. Prier Dieu, que veut dire ce mot ? (…) Mettre, par la pensée, l’infini d’en bas en contact avec l’infini d’en haut, cela s’appelle prier » (page 212). « La grandeur de la démocratie, c’est de ne rien nier et de ne rien renier de l’humanité ? Près du droit de l’Homme, au moins à côté, il y a le droit de l’Âme (…) Nous avons un devoir : travailler à l’âme humaine, défendre le mystère contre le miracle, adorer l’incompréhensible et rejeter l’absurde, n’admettre, en fait d’inexplicable, que le nécessaire, assainir la croyance, ôter les superstitions de dessus la religion ; écheniller Dieu » (page 213).

Quittons ces réflexions et revenons à la langue de Hugo, parfois un peu obscure (effet du temps ?). Voici par exemple, page 310, dans le chapitre « Ecce Paris, ecce homo » (voici Paris, voici l’homme), des considérations sur la Ville-lumière : « Le gamin exprime Paris, et Paris exprime le monde. Car Paris est un total. Paris est le plafond du genre humain (…) Son majo s’appelle le faraud, son transtévérin s’appelle le faubourien, son hammal s’appelle le fort de la halle, son lazzarone s’appelle le pègre, son cockney s’appelle le gandin. Tout ce qui est ailleurs est à Paris ». Et toute la suite, page 310, est quasi illisible, farcie qu’elle est de noms inconnus, de références antiques et de citations latines. Par exemple : « Le bal Mabille n’est pas la danse polymnienne du Janicule, mais la revendeuse à la toilette y couve des yeux la lorette exactement comme l’entremetteuse Staphyla guettait la vierge Planesium » !

Consultons le Larousse universel en deux volumes :

Majo : élégant andalou

Transtévérin (adjectif) : situé au-delà du Tibre

Hammal : portefaix à Constantinople et dans les pays musulmans

Lazzarone : homme de la dernière classe du peuple, à Naples

Cockney : habitant de Londres, ignorant, paresseux et badaud

Gandin : jeune élégant ridicule (personnage de vaudeville, du boulevard de Gand)

Polymnien (adjectif) : de Polymnie, une des neuf muses ; statue au Louvre

Lorette : jeune femme élégante et de mœurs faciles, sous le Second Empire