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24/09/2018

"L'encre dans le sang" (Michelle Maurois) : critique VIII

Retrouvons Jeanne, belle-grand-mère de la narratrice, Michelle Maurois. Nous sommes dans les années 90 (1890 !) : « Jeanne fiancée à seize ans, n’a pas le temps de se livrer à des travaux d’aiguilles, à l’aquarelle, à tout ce qui emplit la vie des demoiselles fin de siècle. Elle a beaucoup d’obligations familiales et mondaines, elle va peu en classe et consacre une partie de ses loisirs au chant et à la musique. Quant aux livres, leur choix fait l’objet de prudentes discussions (…) Il y a ce qui se fait ou ne se fait pas, et il suffit de peu de choses pour ternir une réputation. Ainsi, lire le journal n’est pas très convenable. Les jeunes filles ne doivent porter sur leurs vêtements que des fleurs naturelles, des roses ou des œillets mais non des orchidées qui sont l’apanage des femmes mariées. Il leur est interdit de se parfumer (…). Toute correspondance doit être adressée à la mère de famille qui jugera si elle peut la communiquer à sa fille. En vérité, l’unique aspiration de toutes ces demoiselles est le mariage ou parfois le couvent. On ne les prépare à rien d’autre. Beaucoup d’entre elles cèdent au désir de convoler sans être amoureuses : c’est un concours entre elles, le Grand Concours. Leurs mères dressent des listes de jeunes gens éligiblesavec des références à leur fortune, à leur naissance à leur santé (l’état des poumons des parents, frères et sœurs, voire grands-parents, et la suspicion de maladie vénérienne, leur métier, leur aspect physique et enfin, en dernier, leur intelligence.

Les laissées-pour-compteconnaîtront un sort peu enviable, une jeune fille de ce milieu, privée de fortune personnelle, n’étant pas en mesure non plus de gagner sa vie » (pages 213 et 214).

« En fait, Jeanne ignore ce qui se passe dans le monde » (page 215). 

Telle était la vie de nos arrière-grands-mères, du moins celles qui vivaient dans les milieux urbains et aisés. 

Marcel Proust est partout, en filigrane, dans la relation amoureuse entre Jeanne et Gaston ; il se dit lui-même amoureux de Jeanne mais on sait ce qu’il advint de ses inclinations sentimentales. Beaucoup de gens de leur entourage devinent le talent prometteur du jeune Proust. « Paul Morand dira plus tard : Il ne servait de rien, avec lui, de dissimuler. Une pensée émergeait-elle à la surface de votre conscience ? Au même moment Proust marquait par un léger choc qu’il en avait reçu communication en même temps que vous-même » (page 224).

« Mais Jeanne, dont il a été épris, n’a perçu chez lui que de l’étrangeté, et un peu de ridicule. Elle l’a trouvé différent des autres et, sans le mépriser, elle s’est moquée de lui et s’est surtout intéressée à lui dans la mesure où il l’a servait (…) Jusqu’à la mort de Marcel, elle garda envers lui un certain dédain, une sorte de réprobation. Après, elle essaya de le récupérer et publia en 1928 Quelques lettres de Marcel Proust, livre dont les commentaires sont d’ailleurs agréables et intéressants et où l’auteur affirme qu’elle a immédiatement décelé le talent du jeune homme et l’a apprécié ».

Mais dans une lettre à sa fille Simone, le 28 novembre 1947, elle écrira : « J’enrage en songeant que dans une scène stupide avec ton père, j’ai stupidement jeté au feu… tant de lettres. Il y avait dans ce paquet de lettres des considérations infinies sur l’amour qu’il prétendait avoir eu pour moi. L’analyse qu’il en faisait n’aurait pas déparé Le Temps retrouvé » (page 225).

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