19/09/2019
"Des hommes qui lisent" (Édouard Philippe) : critique VII
Voici une remarque intéressante pour les négociateurs (le Brexit !), les enseignants, les amateurs de rhétorique et d’autres, dans le chapitre 12 du livre d’Édouard Philippe : « Il y a chez les Anglo-saxons un art particulier de la réflexion par le questionnement. Là où les Français assènent une thèse, construite, argumentée, charpentée, cohérente (dans le meilleur des cas), d’autres, et notamment nos voisins d’outre-Manche, exposent par petites touches, par une succession d’exemples, par des questions qui amènent, comme dans un entonnoir, à une vérité au fond aussi solide que la nôtre » (page 199).
Et, en fait d’anglo-saxon, c’est bien un terme américain à la mode que notre homme politique définit dans le chapitre suivant : « Le storytelling, c’est l’art, enfin ce qu’on désigne comme l’art, de présenter la politique, ses enjeux, ses candidats, leurs parcours, comme un récit. La communication politique actuelle, qui peine à présenter de façon architecturée des débats idéologiques depuis que les idées intéressent moins que les postures, se serait jetée sur le storytelling pour donner de la substance aux candidats, pour les inscrire dans une histoire personnelle qui révèlerait ce qu’ils sont vraiment ». Et il s’interroge : y a-t-il derrière cette tarte à la crème anglo-saxonne, quelque chose de vraiment nouveau ? Au risque de vexer le promoteur du « en même temps » qui a construit son ascension sur l’idée qu’il faisait table rase des pratiques et des remèdes du passé (et qui lui a fait confiance…), Édouard Philippe répond non : quid de Jules César, de Napoléon, de Charles de Gaulle ? N’ont-ils pas été des maîtres dans l’art de construire, par le récit, leur propre légende ?
À l’origine de tout cela, il y a la nécessité – imposée par qui ? les chaînes d’info en continu ? les fameux réseaux sociaux ? – d’aller vite, de répondre vite, de réagir vite… Que pouvons-nous faire pour résister ? Notre auteur propose une parade : la lecture. « Car la lecture est une respiration. Elle est tout à la fois une sortie du monde, et une façon d’y entrer plus fort. Elle est à la fis un ralentissement et une accumulation » (page 211). Et de citer Balzac, Zola, Orwell, Soljenitsyne, Primo Levi, Jorge Semprun, Toni Morrison, Anne Franck, de Gaulle et Braudel…
Nous voici au terme de cette analyse critique du livre « Des hommes qui lisent » d’Édouard Philippe (JC Lattès, 2017).
Pas de « fautes » ni de coquille dans son récit ! Quelques virgules pour moi mal placées, c’est tout. Ah si, en haut de la page 199, une coquille : « Était-ce une inclinaisonnaturelle de son esprit… » (au lieu de « une inclination »).
J’ai été très critique dans certains billets de cette analyse, essentiellement pour le mélange entre récit personnel (s’élever une statue, corriger peut-être dans le public une image falote, indiquer à tous sa profondeur, se distinguer de la foule des politiques supposés incultes ?) – parfois gênant – et ode aux livres, à la lecture et à la littérature – toujours intéressante et souvent passionnante –. Mais reconnaissons que le livre est bien construit, bien écrit et vaut la peine d’être lu pour bon nombre de réflexions bien argumentées sur l’acte de lire et l’intérêt de la lecture.
Au total j’ai quand même distingué 11 passages sur 248 pages (ratio de 4,4 %), ce qui n’est pas si mal !
Je voudrais terminer cette série de billets critiques par la citation de la quatrième de couverture : « Lorsque je regarde ma bibliothèque, je vois ce que j’ai appris et une bonne partie de ce que j’aime. Ces livres m’ont construit. Des romans, des essais, des manuels, des bandes dessinées, le tout mélangé, mûri ou oublié, redécouvert et discuté. Une bibliothèque est comme le lieu de mémoire de notre existence. Elle nous chuchote d’anciennes joies, murmure nos lacunes et trahit des promesses de lecture ».
Fin de la série de billets
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16/09/2019
"Des hommes qui lisent" (Édouard Philippe) : critique VII
« Écrire » est le titre du chapitre 11 du livre d’Édouard Philippe ; il commence par un long passage – dithyrambique – sur son père qui écrivait chaque matin, tôt, et confesse ensuite sa seule vraie difficulté scolaire : il était nul en orthographe. Cette faiblesse ne s’est atténuée qu’à Sciences Po, preuve qu’il a pu faire de bonnes études secondaires sans en être autrement gêné. Son couplet sur la réforme de l’orthographe semble typique de sa façon de penser et d’agir sur beaucoup de sujets : il brocarde ceux qui ont protesté au moment de son entrée en vigueur (peu contraignante) mais explique tout de suite que lui n’en tiendra pas compte ! Donc « nénuphar » sans « f » et « connaître » avec « î ». Cela ne me choque pas en l’espèce, je fais pareil.
Tout cela lui permet de nous rappeler qu’à vingt-six ans, par les vertus du classement de sortie de l’ENA, il était au Conseil d’État (sans autre expérience, bien sûr, que des concours, des dossiers et un ou deux stages dans la fonction publique). Il est fier de s’inscrire dans une lignée de juristes-écrivains qui compte Éric Orsenna et Marc Lambron après Stendhal. C’est là qu’il a appris la précision, la concision, la rigueur et l’abstraction dans l’expression écrite. Et c’est à la page 176 que l’on apprend que pendant son mandat municipal, et après l’exil forcé de son mentor Alain Juppé, il a pris le temps d’écrire deux romans policiers sur le monde politique, à deux mains, avec Gilles Boyer…
« Tout le monde a quelque chose à dire. Et bien souvent cela n’a pas grand intérêt. C’est la forme qui change tout. C’est la recherche formelle qui transforme la communication et l’expression naturelle en quelque chose qui se rapproche de la littérature » (page 177).
Le chapitre 12 s’intitule bizarrement « À livre offert » mais il est remarquable car très habilement construit (Le Havre et Deauville, villes en miroir l’une de l’autre ; Deauville, de laquelle on voit très bien le nuit Le Havre et ses cheminées de la centrale EDF, cheminées construites par son grand-père maternel, qui lisait Saint Augustin, Deauville dont le maire est Philippe Augier qui aime les livres et aime en offrir, et en offre un à chacun des convives invités à ses dîners. Et le chapitre devient intéressant pour une autre raison, c’est que notre auteur traite des différentes facettes de l’acte d’offrir un livre.
Il précise d’emblée : « Je n’offre jamais mes livres. Les livres que j’ai achetés (ou qu’on m’a offerts), lus et installés dans ma bibliothèque y sont incessibles, inamovibles et imprêtables. Je suis jaloux de mes livres. De ceux que j’ai aimés, de ceux qui ne m’ont plu que modérément et même de ceux dont je soupçonne que je ne les lirai ou relirai jamais. Ils sont là, avec moi, et j’entends bien ne jamais m’en séparer. Le fait d’être assuré de leur présence est profondément rassurant (…) Un livre prêté est un livre perdu » (page 192). C’est exactement ma position et c’est bien dit.
Il lui arrive d’acheter plusieurs fois un livre qu’il a lu et aimé, afin de l’offrir à d’autres. À moi aussi !
« Offrir un livre n’est pas neutre » (page 190). « Le livre offert construit une complicité. Il renforce une relation » (page 194).
Au détour de la page 195, un aveu « Je n’ai pas suffisamment lu. Je ne suis pas un littéraire mais un lecteur et quelqu’un qui aime la littérature » et, comme toujours dans ce récit, en contrepoint immédiat, l’autopromotion : « Ce sont les ouvrages que j’apporte à Magid qui m’apprend à boxer ». Ouah, notre ancien maire, ancien député, éternel lecteur, écrivain occasionnel et nouveau Premier Ministre… boxe !
À suivre...
07:00 Publié dans Écrivains, Littérature, Livre, Philippe Édouard, Récit | Lien permanent | Commentaires (0)
12/09/2019
"Des hommes qui lisent" (Édouard Philippe) : critique V
Dans le chapitre 8 de son livre « Des hommes qui lisent », Édouard Philippe nous révèle sa passion pour Rome, la ville actuelle et l’histoire romaine, tout ensemble. Nos hommes politiques de premier plan adorent nous dire quelle est leur passion, leur jardin intime : M. Pompidou, c’était l’art contemporain, la modernité, les tours et les autoroutes ; M. Giscard d’Estaing, c’était Guy de Maupassant et l’accordéon ; M. Mitterrand, flâner dans les bibliothèques et Marguerite Duras ; M. Chirac, le sumo et les arts premiers (et la bière mexicaine) ; M. Raffarin, la Chine ; M. Sarkozy méprisait la littérature classique et M. Hollande n’avait, semble-t-il, pas de passion. Donc, pour M. Philippe, c’est Rome.
C’est l’occasion pour lui d’encenser un livre de Laure Adler et Stefan Bollmann, intitulé « Les femmes qui lisent sont dangereuses » et d’enfourcher discrètement le féminisme ambiant en s’accusant de « sexisme littéraire », délit qui ne risque pas de l’emmener devant un tribunal mais peut éventuellement lui acquérir un certain nombre de lecteurs et d’électeurs qui voient le monde coupé en deux, les hommes contre les femmes (et vice versa). Il va jusqu’à « encourager tous les lecteurs masculins à se poser la question » et à lancer l’alerte (« certains vont avoir des surprises »). On pense à « y-en a qui ont essayé ; y z-ont eu des problèmes » dans le sketch mythique de Chevalier et Laspalès… On pense surtout à cet historien venu battre sa coulpe sur l’antenne de France Inter, le 30 août 2019, devant Nicolas Demorand et Léa Salamé, en s’accusant d’être un mauvais homme qui ne laisse pas leur juste place aux femmes et adjurant ses congénères de faire leur examen de conscience et, sans doute, de faire pénitence. Décidément la femenmania bat son plein ; merci aux campus américains !
Il cite Taslima Nasreen : « Un livre est une arme redoutable qui peut faire changer les esprits ». Et là, on est d’accord. Son râteau étant de fait très large, il en profite pour citer aussi les rappeurs : « Le savoir est une arme » et en particulier Médine, rappeur havrais, dont il s’accuse de l’avoir trop longtemps méconnu…
Le chapitre se termine bien néanmoins : « Le livre est une arme et une bibliothèque, un arsenal » (page 125).
À suivre...
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