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06/07/2020

"La gloire de mon père" (Marcel Pagnol) : critique

Une fois n’est pas coutume : un film est meilleur que son livre éponyme ! En l’occurrence, le film d’Yves Robert a magnifiquement mis en images (des personnages aussi bien que des paysages) ce qui était évoqué sobrement et sans pathos par Marcel Pagnol dans « La gloire de mon père ». Et les maîtres-mots des « Souvenirs d’enfance » du cinéaste provençal : adoration de la mère, admiration du père, ambiance familiale aimante et exigeante, fascination pour les collines de l’arrière-pays, passion pour les grandes vacances dans la nature…, sans oublier l’emphase, le lyrisme et la volubilité qui sont la marque de fabrique de nos Marseillais, nous les avons retrouvés dans le film.

Il aurait donc fallu lire le livre préalablement, ce qui n’a pas été mon cas.

C’est la découverte, dans une brocante, d’un volume un peu corné des Éditions Pastorelly, imprimé par les presses de l’Imprimerie nationale de Monaco à Monte-Carlo et publié en 1957, qui m’a donné envie de le lire.

Marcel Pagnol était académicien français mais écrivait simplement, sans fioritures ni beaucoup de descriptions ; sa plume est alerte et le livre se lit facilement. Marcel Pagnol ne se prend pas pour un grand écrivain et, dans la préface où il analyse les difficultés comparées du théâtre et de la littérature, il conclut : « Ce sont ces considérations, peu honorables mais rassurantes, qui m’ont décidé à publier cet ouvrage, qui n’a, au surplus, que peu de prétentions : ce n’est qu’un témoignage sur une époque disparue et une petite chanson de piété filiale, qui passera peut-être aujourd’hui pour une grande nouveauté » (page 13). À noter quand même dans cette préface, une non-concordance des modes qui rend la phrase suivante bancale : « Par ma seule façon d’écrire, je vais me dévoiler tout entier, et si je ne suis pas sincère (…) j’aurais perdu mon temps à gâcher du papier » (page 11). Il me semble qu’il aurait dû écrire : « j’aurai perdu mon temps » (futur antérieur de l’indicatif et non pas conditionnel).

Sur les 305 pages de mon édition, presque la moitié (à partir de la page 171 exactement) est consacrée aux fameuses bartavelles, les perdrix royales ; c’est une proportion que le film n’a pas respectée, puisqu’il a ajouté la partie de boules qui n’est qu’évoquée dans le livre. Dans cet épisode, le petit Marcel craint que son père, complet débutant à la chasse, ne soit ridiculisé par l’oncle Jules mais le sort veut que ce soit le débutant qui abatte le si rare volatile, et encore, en deux exemplaires. La fierté touchante de l’enfant n’ignore pas cependant que le lauréat est, comme les autres, sujet à un peu de vanité après son exploit, lui qui n’avait pas eu de mots assez durs pour son collègue si fier de sa pêche miraculeuse qu’il montrait la photo de sa prise à tout le monde.

J’ai dit que la langue de notre écrivain était simple mais ses souvenirs sont émaillés de quelques mots rares comme « déhiscence » (page 25), que mon Hachette de 1991 explique ainsi : « ouverture, lors de la maturation, d’une anthère ou d’un fruit, qui permet au pollen ou aux graines de s’échapper » ; en l’occurrence, il s’agissait d’une métaphore puisqu’il parlait de la fin des études de son père à l’École normale…

J’ai par ailleurs découvert page 231 une formule syntaxique qui me hérisse au plus haut point, dans la bouche du petit Paul il est vrai (ce qui rend la faute pardonnable !) : « Et les carniers, ils sont cachés dans le placard de la cuisine, pour pas que tu le voies ». Horreur ! en 1957 déjà, on parlait comme cela ? D’ici à ce qu’un érudit me signale un jour que cette syntaxe date du XVIIème, il n’y a qu’un pas (c’est le cas de le dire)…

Mais son style est plaisant car, racontant des souvenirs d’enfance, il utilise les images que l’on se fait à ces âges-là, de la vie des adultes. L’accouchement de la tante Rose est ainsi vu comme un « reboutonnage » ; quant au nouveau-né, c’est « un bébé sans barbe ni moustache » (page 72) !

Marcel Pagnol n’est pas avare d’aphorismes (on se souvient de « J’ai le cœur fendu par toi » !).  Ainsi, page 73 : « C’était un mercredi, le plus beau jour de la semaine, car nos jours ne sont beaux que par leur lendemain », ce qui est tout de même plus poétique que « Le meilleur moment, c’est quand on monte l’escalier », pour dire à peu près la même chose.

Les belles phrases ne manquent pas : « Alors commencèrent les plus beaux jours de ma vie » (page 138), « Au fond d’une petite grotte, une fente du roc pleurait en silence dans une barbe de mousse » (page 139). À la Bastide neuve, il y a « le Robinet du Progrès », la salle à manger « que décorait grandement une petite cheminée en marbre véritable » et « par un raffinement moderne », « des cadres qui pouvaient s’ouvrir et sur lesquels étaient tendue une fine toile métallique, pour arrêter les insectes la nuit » et « la prodigieuse lampe Tempête » (page 140). Marcel Pagnol se moque gentiment de ces éblouissements d’enfant mais aussi d’une époque car déjà en 1957, ils paraissent surannés.

Terminons notre critique de ce témoignage d’amour et d’admiration filiales qu’est avant tout le livre de souvenirs de Marcel Pagnol par cette apothéose de la page 279 : « Et dans mes petits poings sanglants d’où pendaient quatre ailes dorées, je haussais vers le ciel « La gloire de mon père » en face du soleil couchant ». Émouvant !

02/07/2020

"Les délaissés" (Thomas Porcher) : critique I

Thomas Porcher est membre des Économistes atterrés et à ce titre co-auteur de « Macron, un mauvais tournant », que j’ai commenté dans ce blogue. Il est professeur associé à l’école de commerce de Paris, pompeusement – et bêtement – appelée Paris School of Business, ce que je n’ai pas besoin de commenter à l’heure où même la Sorbonne, une des plus vieilles universités européennes, se fait appeler « Sorbonne Université ». Et justement, Thomas Porcher est docteur de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne ; cette dénomination n’avait pas subi à l’époque l’américanisation galopante, accélérée encore par l’envie irrépressible de figurer dans le classement de Shanghaï…

Il a ceci de commun avec Michel Onfray qu’il est issu d’une famille modeste, mais pas de Normandie, de Seine-Saint Denis. Sa réussite universitaire est tout à son honneur et on ne peut pas lui reprocher de la porter en bandoulière.

Un autre point commun, dû à la publication simultanée des deux livres, est que j’avais acheté avant le fameux 17 mars 2020, date de l’entrée en vigueur du confinement, son « Les délaissés » (Fayard), en même temps que « Grandeur du petit peuple » de Michel Onfray (Albin Michel). Comme pour mes autres lectures en dehors de la littérature, ma motivation était de trouver un corpus ou au moins les premières pierres d’un corpus théorique capable de faire pièce aux innombrables travaux, couronnés par d’innombrables Prix Nobel (depuis Milton Friedmann), consacrés à la mise en place et à la glorification du système néo-libéral mondialisé qui nous gouverne depuis la fin des années 1970 et dont on voit depuis quelques années les dégâts (désastre écologique, explosion des inégalités, uniformisation des modes de vie, consommation frénétique). Pour cette même raison, j’avais lu à l’automne 2018 « Économie : on n’a pas tout essayé » de Gilles Ravaud et « Dire non ne suffit plus » de Naomi Klein, par exemple.

Autant dire tout de suite que sur ce plan et au regard de ma motivation première, la déception est grande… et je pourrais ajouter : une fois de plus.

Tout avait pourtant bien commencé page 14 : « Lorsque j’étudiais l’économie internationale à la Sorbonne, j’ai découvert que tout cela était prévu et que les économistes savaient que la mondialisation engendrerait un conflit d’intérêt entre ceux qui en profitent – en l’occurrence les plus diplômés – et ceux qui en pâtissent – les employés et les ouvriers. Nos dirigeants politiques avaient donc délibérément arbitré en faveur des travailleurs les plus qualifiés contre les classes populaires. Et comme les choses ne pouvaient être dites de la sorte, ils ont construit, avec l’aide d’économistes libéraux, un discours visant à individualiser la question du chômage et de l’échec pour en faire un problème personnel ».

S’inspirant du livre « L’archipel français » de Jérôme Fourquet (Seuil, 2019), Thomas Porcher partage son analyse en quatre parties : la France des Gilets jaunes, celle des banlieues, celle des agriculteurs et celle des cadres déclassés, toutes victimes de l’organisation actuelle de la production et de la répartition des richesses. Et il cite abondamment ses propres travaux sur le pétrole ; ça tombe bien, ce fut l’étincelle qui alluma le brasier des Gilets jaunes.

La page 112 (sur 216, donc juste à la moitié ; un bon point) voit le début de la seconde partie, intitulée « Remettre l’économie au service de l’humain » ; le programme nous convient, c’est ce qu’on est venu chercher ! L’ordonnance du docteur Porcher tient en cinq points :

  • prendre la question de l’immigration par le bon bout ;
  • sauver les services publics ;
  • Europe : être réellement prêt à la confrontation ;
  • dompter la finance ;
  • réconcilier industrie et lutte contre le réchauffement climatique ;

30/04/2020

« Fleuve » (Thyde Monnier) : critique II

« Fleuve » est un bon roman, bien écrit et bien mené ; il raconte la vie d’un jeune paysan des Alpes de Haute Provence, promis à son amie d’enfance, Renne, mais séduit par Annette, une magnifique jeune fille de la ville, en peu « coureuse », en tous cas extravertie et consciente de sa beauté. Il l’épouse après les affres de l’indécision – entre les deux son cœur balance – et épouse en même temps sa famille ; il travaille à la scierie avec beau-père et beau-frère. Mais cela ne dure pas car Annette est trop différente de l’idéal que lui inspire son éducation de gars de la montagne. Après une période que l’on qualifierait aujourd’hui de dépression, et un concours de circonstances, il rencontre enfin Maïa, une veuve bien plus âgée que lui, et c’est le grand amour. Je ne peux pas ne pas penser ici à la remarquable biographie de Dominique Bona, « Il n’y a qu’un amour », qui décrit les trois amours successifs d’André Maurois…

« Fleuve » est construit sur la métaphore omniprésente – et, à vrai dire, trop redondante – de la source qui jaillit non loin de la ferme paternelle de Pierre et qui, beaucoup plus loin, a grossi et se jette dans la mer (ou dans la Durance ?). Ce fleuve en devenir représente la vie de Pierre elle-même, et donne son nom au premier tome de la suite romanesque. Cette métaphore est un procédé de narration mais reste pour moi un artifice nullement indispensable au roman.

Non, ce qui m’a plu, c’est la vraisemblance des situations, des personnages et de leurs réactions. Mais c’est surtout la description de la vie d’avant : le monde rural, avec ses traditions, ses convictions et ses valeurs, celui de la France d’avant-guerre, quelques années avant la déflagration du conflit. À la dernière page, c’est la mobilisation, et Pierre va partir ; il pense que la guerre sera courte (comme à chaque fois…), il ne dit adieu à personne, il est au bord du fleuve… Sa vie s’écoule.

La langue de Thyde Monnier est sobre, alerte, précise ; ce n’est pas le lyrisme de Giono et sa portée universelle. L’histoire est simple, bucolique, presque banale mais en filigrane il y a l’idée que l’on ne gagne rien à renier ses valeurs profondes et que la réussite sociale est peu de choses à côté de la fidélité à ce que l’on est (j’ai envie de dire : « à ce que l’on naît »!). Ce roman n’est pas « régionaliste », Thyde Monnier ne cherche pas le pittoresque, même si elle emploie un vocabulaire particulier : « Ça ne fait pas beaucoup de charroi en bêtes et gens », page 5, « y s’embringue », page 7, « Pierre râtele le grand pré », page 16, « une foulée de foin », « traîner ses brègues ailleurs », « Louis lui aide à porter le repas », . Elle raconte une vie « dans son jus » et l’on se sent bien dans ce monde et dans cette époque-là, même si à cinquante ans on est vieux, si « une femme sourde, c’est du bonheur pour un ménage. Muette, ce serait encore mieux » !, « Renne sera une bonne femme courageuse qui ne laissera pas l’ouvrage pénible à son mari », page 19...

Un roman à recommander, à garder et peut-être même à relire.