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24/10/2019

"Thérèse Étienne" (John Knittel) : critique

D’abord, quelques mots sur l’auteur, peu connu en France. John Knittel est un écrivain de nationalité suisse, né en Inde en mars 1891 et mort en Suisse, dans les Grisons, en avril 1970.

Voici ce que nous en dit Wikipedia, relayé par le site littéraire Babélio : fils d'un pasteur missionnaire aux Indes mais originaire du Würtemberg (Allemagne), il fait ses études en Suisse où sa famille s'installe en 1896. Il devient médecin, et publie son premier roman en 1919 en langue anglaise. En 1922 il devient directeur d'un théâtre à Londres. Beaucoup de ses œuvres, lorsqu'elles n'ont pas la Suisse pour cadre (Thérèse Étienne, Via Mala), sont inspirées de ses nombreux voyages dans les pays du pourtour méditerranéen (Italie, Égypte, Maroc, etc.). 

J’ai trouvé le livre « Thérèse Étienne » (1929, traduit en français chez Albin Michel en 1942, réédité par les Éditions Rencontre) sur un appui de fenêtre, et le nom de son auteur, bien plus que son titre, m’a incité à le lire. Je n’ai pas été déçu. On retrouve le style et l’ambiance du roman germanique : « La montagne magique », « Le lac aux dames »… mais aussi un soupçon de « La symphonie pastorale », tandis que l’épilogue fera penser à « Crime et châtiment ». Une lectrice fait un parallèle dans Babélio entre trois Thérése : Desqueyroux, Raquin et Étienne, toutes emportées par l’amour.

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L’histoire est bien menée et bien écrite, sans emphase mais avec la poésie qui convient au cadre du drame, les beaux paysages apaisants de l’Oberland bernois. Thérèse Étienne y arrive pour travailler dans la ferme d’Anton Müller, un cinquantenaire réputé pour son autorité, son honnêteté et sa générosité. Elle vient du Valais tout proche mais, francophone, elle est considérée comme une étrangère. Son charme et sa beauté ont raison du veuf Anton, qui s’entiche d’elle, lui fait une place enviée à la ferme et finit par l’épouser. Thérèse se laisse faire mais très vite tombe elle-même amoureuse du fils d’Anton, l’étudiant en droit Gottfried. Amour interdit qui conduira l’inflexible et exaltée Thérèse au bout de sa passion…

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On ne s’ennuie pas une seconde dans ce beau roman de 480 pages, à lire, à recommander et même à relire.

10/10/2019

"Le schmock" (F.-O. Giesbert) : critique

Je dois le dire, je n’aime pas beaucoup M. Giesbert, le journaliste j’entends : échevelé, vindicatif, bobo, polémiquant souvent, agressif parfois. Et donc, quand on m’a offert son dernier livre « Le schmock » (Gallimard, 2019), je n’ai pas sauté de joie : un titre qui semble annoncer un ouvrage « alimentaire » et futile comme les gens en vue en font tant, et une image de couverture peu engageante (un petit personnage à genoux dans une pièce vide, avec la tête d’Hitler…). Voilà bien trois raisons qui auraient pu me faire ranger le livre dans la pile de ceux que l’on lira beaucoup plus tard et, à vrai dire, jamais.

Et pourtant je l’ai ouvert et j’ai trouvé l’avant-propos intéressant et l’argument convaincant : « Par quelle aberration, à cause de quelles complaisances, quelles lâchetés, le nazisme fut-il possible ? Qu’était-il arrivé à l’Allemagne qui, avec l’Autriche, avait enfanté Jean-Sébastien Bach, Hildegarde de Bingen et Rainer Maria Rilke ? Comment cela a-t-il pu advenir ? Il n’y a que les fous pour tenter de répondre à ce genre de questions, les fous ou les romans ». En l’occurrence, ce n’est pas exact, des dizaines de livres ayant été écrits sur cette période et sur les tristes sires que furent les dirigeants de l’Allemagne nazie (il suffit d’ailleurs de compulser l’abondante bibliographie que donne Giesbert à la fin de son livre, bibliographie qu’il a lue au moins en partie, à n’en pas douter).

Donc voilà, c’est un roman sur l’avènement du IIIème Reich (pourquoi troisième ? parce qu’il y a eu avant lui le Saint Empire romain germanique  – Heiliges Römisches Reich Deutscher Nation –, de 962 à 1806, et   l’empire de Guillaume Ier, roi de Prusse de 1871 à 1918), ses délires meurtriers et sa chute, qui mêle le destin de personnages de fiction à la grande Histoire et à ses horribles protagonistes.

Assez vite, on en comprend le titre : en yiddish, « schmock » signifie « salaud ». Et le salaud bien sûr, c’est Hitler.

Le livre est passionnant, bien construit et bien écrit : ses héros en sont deux amis, leurs deux épouses et leurs familles, que le nazisme va séparer. L’auteur fait se succéder des époques différentes en bousculant la chronologie et nous emmène vers le dénouement avec habileté, dont la moindre originalité n’est pas sa façon de reprendre la parole au milieu du récit pour alerter ou interpeler son lecteur. Fiction et événements réels s’entremêlent avec vraisemblance et aucune des horreurs du temps ne nous est épargnée. On en apprend encore sur la folie des protagonistes et sur leur caractère, détails que Franz-Olivier Giesbert a péchés dans ses innombrables lectures sur le sujet.

Je n’ai marqué que deux passages dans le livre : le premier, page 138, donne une recette d’Ingrid Gottsahl, dans laquelle elle met « des morceaux de vieilles pommes en l’air » (car c’est la première fois que je vois écrite cette expression qui désigne les pommes du pommier) et le second, page 268, où M. Giesbert emploie les mots « enclouée (dans sa poussette) » et « empégués (dans d’interminables discussions) » qui m’ont semblé bizarres, le premier figurant néanmoins dans mon Larousse des années 30 mais à propos du ferrage des chevaux.

Mais quand on referme le livre, on repense à sa raison d’être, à la motivation initiale de l’auteur, telle que formulée dans son avant-propos : comprend-on mieux l’avènement de ce régime fou ? Et la réponse est, bien sûr : non, pas plus qu’avant. Mais c’est une nouvelle pierre à l’entretien de la mémoire, ce n’est déjà pas rien.

Au total, voilà un livre qu’on ne lâche pas avant l’épilogue, qu’on peut recommander mais qu’on ne relira sans doute pas.

26/09/2019

"La France périphérique" (Christophe Guilluy) : critique I

Stupéfiant !

Dans ce petit livre publié en 2014 chez Flammarion, le géographe Christophe Guilluy explique que le problème de la France actuelle, ce n’est ni les grandes métropoles (adaptées et insérées dans le monde globalisé) ni les banlieues (aidées via la politique de la ville par les plans-banlieues, et qui profitent de la proximité des centres) mais les petites villes et les zones rurales abandonnées à leur triste sort : les plans de licenciement incessants, la disparition des services publics et l’éloignement de tout. Le phénomène mis au jour – après des décennies de coups de projecteur sur les banlieues – a fait l’effet d’une bombe car il allait à rebours des idées reçues et l’expression qui donne son nom à l’ouvrage : « La France périphérique » a été immédiatement adoptée par les intellectuels et les médias, et elle est entrée quasiment dans le langage courant.

Mais il semble que l’on ait oublié le sous-titre du livre : « Comment on a sacrifié les classes populaires », même s’il est aujourd’hui admis que le libéralisme et la mondialisation ont enrichi les riches, maintenu tout juste au-dessus de l’eau les pauvres et « enfoncé » les classes moyennes (Thomas Piketty était passé par là).

Christophe Guilluy envisage les conséquences de ce bouleversement social et c’est là que son travail est stupéfiant : en 2014, il prévoyait les Gilets jaunes, qui interpellent les Pouvoirs publics et la société française depuis novembre 2018 !

Ce livre au style concis, neutre, percutant et argumenté m’a enthousiasmé. Je vais vous en proposer, amis lecteurs, les idées marquantes dans une série de billets agrémentés d’extraits que je n’aurai aucun mal à isoler car j’ai « marqué » 20 pages sur les 179 de l’ouvrage (ratio de 11,2 % !).