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27/02/2020

"La recherche de l'absolu" (Honoré de Balzac) : critique II

Voyons maintenant, dans ce roman peu connu de Balzac, quelques particularités de sa langue (nous sommes en 1834…). Elle est bien sûr de grande qualité mais utilise parfois des termes ou des expressions qui nous semblent bizarres aujourd’hui.

« Elle plaça son amour-propre à rendre la vie domestique grassement heureuse » (page 54).

« Que sa sœur succédât aux possessions territoriales qui apanageaient les titres de la maison » (page 55).

« Une génération s’était mise à la piste de beaux tableaux » (page 55).

« Elle ne put réprimer la constante trépidation qui l’agita » (page 77).

« … en lui prenant la main qu’elle garda entre ses mains électrisantes » (page 101).

« En disant ces mots sur trois tons différents, son visage monta par degrés à l’expression de l’inspiré » (…) « Tu entreprends sur Dieu » (page 112).

« Son vol t’a emporté trop haut pour que tu redescendes jamais à être le compagnon d’une pauvre femme » (page 113).

«  … vendre les tableaux (…) pour une somme ostensible… ». « il avait fait faire cette vente à réméré » (page 150).

« madame Claës était arrivée à un degré de consomption… » (page 151).

« (la société) anathématise ceux qui ne les pleurent pas assez ».  (page 168).

« Avec le coup d’œil d’un Juré-peseur de fortunes, Pierquin calcula que les propres de madame Claës… ». « Il en compta les futaies, les baliveaux… ». « ce qui permettrait de liciter la forêt de Waignies… » (page 169).

« Je vous en prie, mon bon père, discontinuez vos travaux » (page 201).

« aux anxiétés qui jadis avaient agité sa mère en semblable occurence » (page 225) (occurrence avec un seul r mais c’est sûrement la faute de l’éditeur…).

« (Balthazar) devina, par une phénomène d’intussusception, le secret de cette scène » (page 284).

Bien sûr, à cette époque (au milieu du XIXème siècle), ni le passé simple ni le subjonctif ne heurtaient les lecteurs : « Quoique les souvenirs d’amour par lesquels sa femme avait rempli sa vie revinssent en foule assiéger sa mémoire et donnassent aux dernières paroles de la morte une sainte autorité… » (page 168).

La sensualité n’est pas absente de ce livre mais le rôle assigné à la femme pourrait susciter aujourd’hui des protestations (ne sombrons pas néanmoins dans l’anachronisme, le XIXème siècle c’est le XIXème siècle) : « Joséphine jeta sur son mari qui s’était assis près de la cheminée un de ces gais sourires par lesquels une femme spirituelle et dont l’âme vient parfois embellir la figure sait exprimer d’irrésistibles espérances. Le charme le plus grand d’une femme consiste dans un appel constat à la générosité de l’homme, dans une gracieuse déclaration de faiblesse par laquelle elle l’enorgueillit, et révèle en lui les plus magnifiques sentiments » (page 101).

Mais certaines métaphores peuvent être maladroites : « Parée de sa belle chevelure noire parfaitement lisse et qui retombait de chaque côté de son front comme deux ailes de corbeau… » (page 100). Vous trouvez que c’est attirant un corbeau ?

De même : « … après quelques phrases lacrymales qui sont l’A, bé, bi, bo, bu de la douleur collective » (page 168).

Et, page 224, « (Balthazar Claës) semblait vouloir jouer avec elle (sa fille Marguerite !) comme un amant joue avec sa maîtresse après en avoir obtenu le bonheur » !

Balzac parsème son roman de réflexions psychologiques ou philosophiques, ici au sujet de l’entente entre deux personnes qui s’aiment : « La vie du cœur a ses moments, et veut des oppositions ; les détails de la vie matérielle ne sauraient occuper longtemps des esprits supérieurs habitués à se décider promptement ; et le monde est insupportable aux âmes aimantes. Deux êtres solitaires qui se connaissent entièrement doivent donc chercher leurs divertissements dans les régions les plus hautes de la pensée, car il est impossible d’imposer quelque chose de petit à ce qui est immense. Puis, quand un homme s’est accoutumé à manier de grandes choses, il devient inamusable, s’il ne conserve pas au fond du cœur ce principe de candeur, ce laisser-aller qui rend les gens de génie si gracieusement enfants » (page 123).

« Par un phénomène inexplicable, beaucoup de gens ont l’espérance sans avoir la foi. L’espérance est la fleur du Désir, la foi est le fruit de la Certitude » (page 225).

En passant, le roman nous renseigne sur l’éducation que les parents visaient pour leurs filles et leurs garçons : « Ma mère, en nous faisant faire de la dentelle, en nous apprenant avec tant de soin à dessiner, à coudre, à broder, à toucher du piano, nous disait souvent qu’on ne savait pas ce qui pouvait arriver dans la vie (…) Mais quelle est la carrière la plus convenable que puisse prendre un homme ? (…) Gabriel est celui de sa classe qui montre le plus d’aptitude aux mathématiques ; s’il voulait entrer à l’École Polytechnique, je crois qu’il y acquerrait des connaissances utiles dans toutes les carrières. À sa sortie, il resterait le maître de choisir celle pour laquelle il aurait le plus de goût » (page 183). L’égalité visée par notre Secrétariat éponyme semble loin mais Balzac ajoute, à propos de la grande sœur de Gabriel, à qui Emmanuel de Solis explique les subtilités du Code qui régit les biens des mineurs  : « Elle en eut bientôt saisi l’esprit, grâce à la pénétration naturelle aux femmes » (page 199) !

Il est moins tendre et pour tout dire plein de préjugés envers une autre catégorie d’humains : « Il était devenu complètement imprévoyant à la manière des nègres qui, le matin, vendent leur femme pour une goutte d’eau-de-vie, et la pleurent le soir » (page 200).

Enfin, au détour d’une péripétie qui sera fatale à Balthazar, cette remarque perfide : « car la révolution de juillet n’avait pas contribué à rendre le peuple respectueux » (page 282). Sans doute celle de 1830.

20/02/2020

"La recherche de l'absolu" (Honoré de Balzac) : critique I

« La recherche de l’absolu » est le roman de la passion dévastatrice ; non pas la passion amoureuse, non pas une passion moralement condamnable comme celle pour le jeu, mais la passion pour la Science, pour la Recherche, pour la Connaissance ; passion qui pourrait être admirable si, en l’occurrence, elle ne prenait pas le pas sur tous les autres sentiments et n’interdisait l’exercice de tout devoir : l’amour conjugal, l’amour paternel, l’amitié, les relations sociales.

Claës, un notable du Nord de la France, se prend de passion pour la science, pour la chimie plus précisément, suite à une rencontre avec un scientifique polonais. Anticipation étonnante dans un roman écrit en 1834, Balzac focalise l’intérêt de son héros sur la structure de la matière, la composition ultime des éléments naturels, préoccupation qui fera l’objet de la révolution de la physique à la fin du siècle seulement et au début du suivant, avec Planck, Bohr, Perrin et tous les autres. De ce point de vue, Honoré de Balzac fait ici du Jules Verne !

Mais dans la description minutieuse de la société de Douai et de son cadre de vie, et plus encore dans le lyrisme de son style et l’implacabilité de cette descente aux enfers, Balzac fait clairement du Balzac, et on pense au « Lys dans la vallée » et à « Eugénie Grandet » (et aussi à Henry James mais c’est parce que Balzac était l’un de ses modèles littéraires). Au total, le roman est un peu long parce qu’on comprend assez vite que le comportement de M. Claës ne changera pas – il est possédé –, qu’il conduira sa famille à la misère et que sa fille aînée, admirable de dévouement et de compréhension, cèdera à son père encore et toujours, jusqu’à accepter à plusieurs reprises qu’il ruine par ses rechutes tous ses efforts pour redresser la fortune et l’honneur des siens.

L’exacerbation des (bons) sentiments, les qualités qu’il prête à la gent féminine, celles qu’il attribue aux gens du Nord (les Flamands) sont toutes de bon aloi mais tellement appuyées que cela nuit au réalisme et à la crédibilité du récit. Un exemple parmi cent : « Elle eut cette soumission de la Flamande, qui rend le foyer domestique si attrayant, et à laquelle sa fierté d’Espagnole donnait une plus haute saveur » (page 54).

Cela étant, qui mieux que Balzac sait rendre une ambiance, un cadre de vie, un habitat ? Qui mieux que lui sait mener une histoire de ses prémisses à son issue, ici fatale ? La forme romanesque est avant tout prétexte à une étude de caractères et à la description des ravages causés par une passion dévorante. Dans sa préface aussi concise que remarquable à l’édition de « La fenêtre ouverte » (1968), Mme Juliette Harzelec émet l’hypothèse que cette histoire racontée par Balzac est une métaphore de son propre destin, puisque, enfin marié à la fameuse Mme Hanska et promis au bonheur qu’il poursuit depuis des années, il disparaît peu de temps après, comme Balthazar Claës expire au moment où il pense avoir trouvé l’Absolu…

28/11/2019

"Les désarrois de l'élève Törless" (Robert Musil) : critique

« Die Verwirrungen des Zöglings Törless » est le premier livre de l’écrivain autrichien Robert Musil, publié en 1906. Son dernier sera « L’homme sans qualité » que sa mort subite en 1942 laissera inachevé…

Pour le préfacier de l’édition Le Seuil / Points de 1960, « Les désarrois de l’élève Törless » est « une pénétrante, une admirable analyse de l’adolescence ». C’est aussi une sorte de prophétie du nazisme, dans la mesure où « il a mis à nu des idées (telle celle des êtres inférieurs par nature, et que l’on peut tuer sans scrupule) (…) qui étaient déjà dans l’air ».

Peut-être mais pour le lecteur d’aujourd’hui, ce roman, qui débute dans un pensionnat huppé d’une petite ville à l’est de l’Autriche, semble suranné par les situations qu’il décrit (le groupe de jeunes élèves qui fréquente une prostituée avant de rentrer à la pension…).

Mais c’est surtout le style et le mode de narration de Robert Musil qui déplaît : au motif de nous évoquer les pensées floues et le spleen de l’adolescent qui est son héros, il accumule les phrases vagues et alambiquées, que l’on ne peut jamais vraiment pénétrer et qui rendent la lecture fastidieuse… Rendez-nous « Le grand Meaulnes » d’Alain-Fournier, écrit, sauf erreur, à peu près à la même époque !

Voici, par exemple, une phrase typique, page 12 : « ce qui montait en lui n’était pas l’image mais la souffrance sans limites dont la nostalgie le tourmentait en le nourrissant, parce que ses flammes aiguës étaient à la fois douleur et ravissement ». On dira que c’est cité hors contexte, certes…

On a droit à quelques réflexions à portée « universelle » comme celle-ci : « Car la première passion de l’âge d’homme n’est point amour pour telle ou telle mais haine pour toutes. Le sentiment de n’être pas compris du monde et le fait de ne le point comprendre, loin d’accompagner simplement la première passion, en sont l’unique et nécessaire cause. Et cette passion elle-même n’est qu’une fuite où être deux ne signifie qu’une solitude redoublée » (page 45). On n’a pas dû avoir le même début d’âge d’homme, Musil et moi… Rendez-nous « La recherche » – Marcel Proust a eu le Goncourt le 10 décembre 1919 !

Quoiqu’il en soit, au bout de cinquante pages de cette eau-là, j’ai dû me résoudre à consigner le Törless dans le même purgatoire que le « Femmes » de Philippe Sollers : celui des livres abandonnés en cours de lecture – et vrai dire, plutôt en leur début. Cinquante pages semblent le maximum supportable d’un  livre auquel on n’accroche pas. « Désirs » d’Irène Frain (1986) a toutes les chances de subir le même sort, alors que « Gaspard des montagnes » de Henri Pourrat (1922), Grand prix du roman de l’Académie française en 1931, y a échappé, au prix de multiples recommencements (car je suis persévérant et n’aime pas renoncer) et que la trilogie du Nobel de littérature égyptien Naguib Mahfouz, « Impasse des deux palais » (1956) mérite sans doute que je m’obstine.

Curieux qu’il y ait souvent des citations des « plus belles premières phrases » ou des « plus beaux débuts de roman » – « Longtemps je me suis couché de bonne heure », « La mer est de nouveau trop grosse aujourd’hui, et des bouffées de vent tiède viennent désorienter les sens. Au cœur même de l’hiver, on perçoit déjà les prémisses du printemps. Un ciel de nacre pure jusqu’à midi ; les criquets dans les recoins d’ombre ; et maintenant le vent, dénudant et fouillant les grands platanes… Je me suis réfugié dans cette île avec quelques livres et l’enfant, l’enfant de Melissa », « Quatre maisons fleuries d’orchis jusque sous les tuiles émergent de blés drus et hauts » et d’autres –, alors qu’on ne parle jamais des pires – « Pourquoi Trendy, à son arrivée, se trompa-t-il de villa ? »… ?