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25/01/2021

"Nuits de guerre" (Maurice Genevoix) : critique III

Quel style, page après page ! Quelle poésie et quel réalisme mêlés ! Quel régal !

Toujours, comme ici page 338, la mort et la vie se côtoient : « Et ces tombes ! Voici celle des trois artilleurs, spacieuse, bordée de pierres blanches, jonchée de rameaux de houx. Et voici celle des fantassins, toute petite, évoquant, sous l’étroite levée d’humus, la forme du corps replié sur lui-même, écrasé peu à peu par la poussée des terres. Il en est dont l’humble croix a disparu, déjà : on l’avait faite de deux branches cassées, assemblées comme on avait pu, avec un clou arraché du soulier, un brin d’osier, une ficelle… Cela ne tenait pas ; le clou a rouillé et le bois s’est fendu ; la pluie est tombée si longtemps que le lien pourri a cédé. Il n’y a plus de croix. Et c’est le mois dernier, seulement le mois dernier, que la guerre a touché ces campagnes !

La lumière est charmante aujourd’hui, légère, fluide. Les ornières de la route, encore pleines d’eau de pluie, font devant moi de longs traits de clarté. Blanches, au-dessus de l’horizon proche, des fumées montent, qui annoncent le village caché au pli de la vallée. Bientôt j’aperçois le coq du clocher, puis le capuchon de zinc du toit. Enfin la route plonge brusquement et je vois Mouilly à mes pieds.

Les maisons blanches, les maisons bleues détachent leurs couleurs sur le vert jauni des prés. Quelques brèches noires ouvertes dans les murs, quelques trous béants dans les tuiles rappellent, malgré qu’on en ait, les rafales d’obus qui ont croulé sur ces demeures. Mais la fine transparence de l’air pose comme un oubli sur ces mutilations des choses. On les voit encore ; elles ne saignent plus ; il semble que le village, comme un blessé pansé, ne souffre plus ».

Quel contraste du premier paragraphe au suivant, et sans transition ! Au contraire, le troisième nous renvoie insidieusement à la guerre, omniprésente, dont les dégâts sont patents, même si le village en question semble s’en être remis…

Je ne peux m’empêcher de songer à :

 « Quatre maisons fleuries d’orchis jusque sous les tuiles émergent de blés drus et hauts.

C’est entre les collines, là où la chair de la terre se plie en bourrelets gras.

Le sainfoin fleuri saigne dessous les oliviers.

Les avettes dansent autour des bouleaux gluants de sève douce.

Le surplus d’une fontaine chante en deux sources. Elles tombent du roc et le vent les éparpille. Elles pantèlent sous l’herbe, puis s’unissent et coulent ensemble sur un lit de jonc.

Le vent bourdonne dans les platanes.

Ce sont les Bastides Blanches » (Jean Giono, Colline, 1929).

Certains me diront : « Pas étonnant, c’est le style des années 20-30 ! ».

Peut-être, mais n’est-ce pas du grand art, dans un cas comme dans l’autre ?

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