02/04/2018
"Génération J'ai le droit" (Barbara Lefebvre) : critique II
Une mesure de l’intérêt d’un livre pourrait être, en ce qui me concerne, le nombre de « marques à la Pivot » que j’y insère, à savoir le nombre de petits papiers que je glisse à l’endroit des passages dignes d’être cités ou simplement mémorisés ou bien, au contraire, contenant un argument fallacieux, une erreur ou encore une faute de français ; dans le cas de « Génération J’ai le droit », le nombre de marques est 28, ce qui est loin d’être négligeable.
Pour disposer d’une métrique pertinente, il faudrait sans doute le diviser par le nombre de pages, ici 236 (à défaut de connaître le nombre de phrases, de mots ou de signes, qui permettrait de s’affranchir du format de l’édition, livre de poche ou normal). La mesure de l’intérêt de ce livre pour moi serait donc 12 % (à savoir 0,119 marques par page ou bien une marque toutes les 8 ou 9 pages). Pas mal, non ?
Voyons donc de quoi il retourne.
D’une certaine façon, tout est dit dans l’Introduction, le constat, le diagnostic et le projet éducatif de l’auteur : « Si des espaces scolaires demeurent épargnés, c’est parce qu’ils sont dirigés par des adultes conscients de leurs responsabilités morales et civiques à l’égard des générations qui viennent. Des adultes qui n’ont pas renoncé à leur autorité. Dans un monde ouvert où tout se vaut, où la légitimité des institutions collectives est récusée, au nom de lois individuelles ou communautaires supérieures, où l’on récuse les notes de l’enseignant mais accepte la férocité des classements dans les émissions de téléréalité, des parents, des enseignants et des intellectuels luttent pour éduquer ma nouvelle génération. Ils s’efforcent de lui rappeler, contre la doxa, qu’elle hérite d’un monde qui la précède, que toute réussite individuelle passe par une intégration volontaire au sein d’un collectif dont on est l’héritier. On doit apprendre l’humilité et le respect de l’autorité à l’enfant pour qu’il s’intègre et enrichisse ce collectif dont il sera demain un acteur majeur. Pour qu’il ne conçoive pas la règle commune comme un déni de sa propre liberté, de son droit » (pages 18-19).
Dans les chapitres qui suivent, on a l’impression que Barbara Lefebvre déverse toute son amertume et qu’elle entasse tous les sujets qui lui tiennent à cœur, sans forcément de rapport étroit avec le sujet du livre, à savoir l’envahissement du « J’ai le droit » mais toujours avec, en toile de fond, c’est vrai, l’école.
Le chapitre I « Guerre aux démolisseurs de l’école », malgré des citations de Victor Hugo et Charles Péguy, ne nous en apprend guère plus que les livres parus antérieurement sur le même sujet (Les territoires perdus de la République, opus déjà cité, Qui sont les assassins de l’école ?, de Carole Barjon, analysé récemment dans ce blogue, les livres de Natacha Polony, Cécile Ladjali, Jean-Paul Brighelli et d’autres). Comme dans le domaine de la recherche, les auteurs devraient repartir de ce qui a déjà été écrit et publié, et apporter leur pierre à l’édifice sans redite. La bibliographie d’un sujet donné y gagnerait en concision et donc en accessibilité…
« La dévastation de l’école républicaine s’est construite sur un renoncement majeur : celui de l’héritage culturel via la transmission de la langue française. En rendant impossible une véritable maîtrise de la langue française par tous les enfants, en la réduisant à une langue de communication purgée de toute nuance, de toute grammaire, de toute référence, en se gardant de leur imposer les codes culturels nécessaires pour entrer dans le monde, on est parvenu à déraciner déjà deux générations de Français, celle des années 1980 et celle des années 2000. Nous en observons les effets désastreux sur le tissu social, l’unité nationale, le sens civique » (page 21).
« Nous vivons une époque de recomposition des contours de l’identité française que certains aspirent à diluer dans une postmodernité multiculturaliste sans racines, sans héritage, sans culture commune » (page 24). Borchert aurait peut-être dit « ohne Abschied »…
« Les parents éduquent quand les enseignants instruisent » (page 33). Et, elle ne le dit pas mais les enquêtes le prouvent, ce qui fait la réussite d’un élève, ce n’est pas tellement que ses parents l’aident à la maison, c’est que ses parents respectent – voire révèrent – le Corps enseignant. On en est loin aujourd’hui. Les parents qui viennent à l’école agresser un enseignant font le malheur de leur enfant en croyant l’aider !
À part nombre de constats et d’analyses pertinents mais déjà lus ailleurs, Barbara Lefebvre tourne surtout, dans ce chapitre, autour de l’amertume et de la rage d’une enseignante qui a refusé le pédagogisme et qui de ce fait a été calomniée, marginalisée, « vouée aux gémonies », traitée de réactionnaire ou de néoconservateur… Malgré sa résistance aux agressions (verbales), elle éprouve le besoin de se justifier, y compris en narrant son histoire familiale, c’est un peu pathétique car le jeu en vaut-il la chandelle ?
« J’ai compris, très récemment, que j’étais une des victimes de la pédagogie des maths modernes, comme d’autres sont devenus illettrés, broyés par la méthode globale ou semi-globale » (page 34). Merci M. Lichnerowitz ! C’est vrai qu’il avait fallu, quand les maths modernes étaient arrivées dans les programmes, après 68, sauter dans le train en marche ; ça passait ou ça cassait ; dans ma classe de Troisième, nous n’étions que 5 à avoir plus de 10 en math… Notre professeur s’appelait Mme Tonnerre !
« La pensée progressiste libertaire a discrédité l’autorité, et les formateurs IUFM se chargeaient de nous le faire savoir (NDLR : voilà un exemple de ce style relâché, indigne d’un professeur d’histoire du secondaire : « les formateurs IUFM »… Pourquoi pas « les formateurs de l’IUFM » ?). Le rapport hiérarchique maître-élève (NDLR : idem…) était systématiquement dévalué au profit d’une médiation pédagogique d’égal à égal, comme si l’acte d’enseigner des savoirs à des ignorants relevait de la violence, voire de la maltraitance » (page 36). Merci à Mme Lefebvre d’appeler un chat un chat !
« Nous n’étions que les petits employés de la grande machine à déraciner la culture et l’histoire du cœur et des cerveaux des nouvelles générations » (page 38).
« … le culte de la pédagogie de projet, cette activité qui consiste à noyer les savoirs dans de vaines gesticulations, mais où le prof se distrait hors des sentiers battus des programmes officiels : projet cirque, projet peins comme Basquiat, projet Emma Bovary était-elle végétarienne ?... » (page 39).
Nous voilà au bout du premier chapitre (qui sont au nombre de huit).
19:33 Publié dans Actualité et langue française, Essais, Lefebvre Barbara, Littérature, Livre | Lien permanent | Commentaires (1)
31/03/2018
"Génération J'ai le droit" (Barbara Lefebvre) : critique I
« L’enseignant, l’élu politique, le policier, le juge, le médecin de l’hôpital public, tous (…) n’ont plus le droit d’obliger le citoyen à quoi que ce soit (…) La dénonciation du pouvoir des dominants sur les dominés perdure et se décline désormais sur des modes racialistes, sexistes. Ces dominés autoproclamés poussent si loin la revendication de leurs droits particuliers, s’enferrent dans tant de contradictions qu’ils produisent un racisme et un sexisme bientôt plus radicaux que ceux qu’ils prétendent combattre.
Ceux qui nous jettent à la figure « leurs droits » pour se dérober à leurs devoirs refusent l’homogénéisation portée par l’égalité dans une république laïque. Ils refusent l’universalisme de la liberté démocratique occidentale. L’impératif égalitaire de la démocratie moderne occidentale qui a voulu abolir tous liens hiérarchiques aura finalement conduit à l’expression de revendications les plus profondément inégalitaires et liberticides, parce que portées par des individus qui ne regardent plus leurs concitoyens comme des égaux en droit, qui ne se sentent pas une commune appartenance avec eux » (page 12).
Dès l’introduction le ton est donné : rageur, virulent, cinglant, sans illusion ! Et, à vrai dire, également, le style : c’est écrit un peu « comme ça vient », sans effort particulier pour « parler bien ».
J’ai découvert Barbara Lefebvre dans le livre-coup-de-massue qu’a été « Les territoires perdus de la république ». Se reporter à mes billets du blogue début 2017 :
http://lebienecrire.hautetfort.com/archive/2017/04/26/pet...
http://lebienecrire.hautetfort.com/archive/2017/04/27/pet...
http://lebienecrire.hautetfort.com/archive/2017/05/05/pet...
J’avais écrit à l’issue de ma lecture : « Parmi les nombreux témoignages, j’ai distingué ceux de (…), de Barbara Lefebvre Des barbarismes à la barbarie paru dans Le Monde le 7 mars 2006. L’article est court et sans fioritures. Il va droit au but et le coup est rude pour nous autres qui avons connu des établissements scolaires calmes où il faisait bon vivre. Je le rappelé, cette enseignante écrit en 2002… ». Il y avait aussi le texte Sur un climat de démission : « Soit on décide d’y réaffirmer les principes et les valeurs fondatrices d’une République qui (…). Soit on décide de céder à la facilité consistant à déléguer une part conséquente de la souveraineté nationale à des groupes politico-religieux divers (…) ». Dès 2002, elle envisage la pire de ces deux options et écrit « alors nous n’aurons décidément rien appris de Munich… » (page 211). Et donc, qu’avons-nous fait depuis 15 ans ?
J’avais découvert son visage et sa « force de frappe » dans l’émission politique de France 2, face à M. François Fillon, à l’époque candidat à la Présidence de la République (française).
Madame Barbara Lefebvre est professeur d’histoire depuis 20 ans.
Début 2018 elle publie donc « Génération J’ai le droit » (Albin Michel), expression d’un ras-le-bol et d’une lassitude devant le déni et l’absence de réaction d’une société en péril.
Livre–témoignage, documenté, qui repose sur une longue expérience d’enseignante et qu’on lit avec intérêt mais livre un peu fourre-tout qui s’éloigne assez vite du thème évoqué par son titre (j’ai pensé qu’elle allait nous parler sociologie ou pédagogie ou culture mais en fait, non) et livre assez mal écrit et parfois bavard (La perfection, ce n’est pas quand il n’y a plus rien à ajouter mais quand il n’y a plus rien à retrancher – Saint-Exupéry –).
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Essais, Lefebvre Barbara, Littérature, Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
29/03/2018
Le français à la moulinette de la pub
Ça fait longtemps que j’ai la publicité (surtout télévisuelle) dans le collimateur (longtemps, cela veut dire des dizaines d’années, sachant que son volume n’a fait que croître d’année en année, les Pouvoirs publics n’ayant qu’une seul obsession : faire la part belle aux publicitaires et aux annonceurs). Je la trouve débilitante, sexiste, accrocheuse ; elle atteint maintenant le stade du bourrage de crâne et du lavage de cerveau (les fameux « cerveaux disponibles » chers à l’inénarrable Patrick Le Lay), elle flatte les plus bas instincts, ceux du beauf de Cabu ; elle est envahissante et saccage les plus beaux films (trois coupures autorisées, je crois, et bientôt de la pub au milieu des informations ?) ; les publicitaires ont réussi à contourner la limitation des durées en finançant les productions, ce qui permet de faire parler des marques juste avant et après les émissions et les films (et sans parler des publicités distillées subrepticement à l’intérieur même des œuvres) ; elle est répétitive, lancinante, prétentieuse… Quand on songe qu’il y a un bureau de vérification de la publicité, qui est censé ne laisser passer que les messages les plus convenables, on a froid dans le dos en imaginant ce que doivent être ceux qui ont été retoqués.
Comble de tout, les publicitaires massacrent notre langue. Et comme j’avais constaté depuis un certain temps qu’ils la remplacent progressivement par l’anglais (c’est tout bénéf.), je m’apprêtais à refaire une petite enquête devant mon téléviseur pour mesurer précisément les dégâts, tout en me disant que j’étais bien seul dans ce combat de David contre Goliath…
Je suis tombé fortuitement sur l’article « Le français à la moulinette de la pub » de Sacha Montagut, publié le 23 mars 2018 sur le site
http://www.influencia.net/fr/revue.html
LE TRENDMAG DES INFLUENCES
(je ne sais pas si tout cela est très recommandable, d’autant que voici quelques rubriques de ce média :
> What If > Brand Culture > Golden Club > Shine Academy > Data et créativité > Marketing Progress
> Culture Design > Relations publics > La Culture > Food is social > IN Africa > On buzze
> Contenu sponsorisé > Case study > Creat'IN
en somme, rien que du bel et bon franglais !).
On va voir que le fond de l’article démontre à peu près l’inverse de ce que suggère le titre…
On lit ceci :
« Depuis 2011, L’Observatoire des slogans, par le biais de Souslelogo, passe au peigne fin la dizaine de milliers d’accroches et autres signatures de marques qui ont égayé ou déprimé notre année de consommateurs.
Objectif : décortiquer le langage publicitaire qui façonne notre paysage médiatique et appréhender les évolutions culturelles de notre société. Les « mots de la pub » comme marqueurs temporels de notre identité. Pour le prouver, l’Observatoire a créé sur son site internet un onglet " Archive " qui permet à tous les plus curieux d’entre vous de suivre l’évolution du discours publicitaire dans le temps. Outre les principaux enseignements, cette veille permet de savoir si oui ou non, la langue française a encore de beaux jours devant elle ».
Le verdict est sans appel : le pourcentage de signatures de marque en anglais (brand signatures) créées chaque année par rapport à l’ensemble des signatures créées, augmente régulièrement depuis 2011 et atteint aujourd’hui 20 % Corrélativement le pourcentage de signatures dans d’autres langues que le français ou l’anglais est stable et négligeable.
Plus grave encore, la création de claims (je suppose que c’est l’équivalent anglais de « slogan » ?) : ceux en anglais par rapport à l’ensemble grimpe en flèche et atteint maintenant 15 % (personnellement, j’aurais dit encore plus au vu des pubs actuelles).
L’article distingue les « slogans de campagne » des « brand signatures »… Il cite ainsi, dans la première catégorie, Make love not walls de Diesel et French but wild de Aigle et ajoute : « La raison est toute trouvée : une globalisation de notre société et une course vers la modernité auxquelles l’anglais semble parfaitement adapté » (sic). En revanche, dans la seconde, il voit un recul de l’anglais à travers des signatures comme « PMU, Pariez sur vous », « Carambar, c’est de la barre » et « Castorama : ensemble on peut tout faire ». Et l’explication tombe : « Alors que l’anglais s’impose bon gré mal gré dans notre quotidien, il n’est plus l’outil indispensable aux marques pour asseoir leur positionnement sur le long terme. Une vraie relation amour/haine ». Comprenne qui pourra…
Enfin vient le palmarès des mots les plus employés par la pub : l’auxiliaire « être » et le verbe « faire » restent n°1 et n°2 depuis au moins 2015, l’insupportable dièse (le hashtag # qu’adorent les journalistes de France Inter) vient de détrôner l’auxiliaire « avoir ». Aïe !
Laissons le dernier mot à cette phrase d’anthologie : « Signalons le provocateur et efficace #Niquepastamer de Poissonier de France, qui fait un combo avec l’utilisation du hashtag ».