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04/05/2017

Petites nouvelles du Front (VII)

Retour encore aujourd’hui, aux « Les territoires de la République », avec le texte de Élise Jacquard « Un cas de dés-école» (pages 282 à 326). Pour le coup, cet article est long, très long et il constitue même la troisième partie de l’ouvrage.

En vérité, il est construit de telle façon, l’auteur utilise un tel ton, qu’il faut au lecteur une dizaine de pages pour se convaincre que c’est un témoignage et non pas une œuvre de fiction ! Et il faut aussi beaucoup de concentration pour bien comprendre sa position, pas du tout manichéiste et donc ne pas la trahir dans ces lignes.

La façon de « planter » le décor (c’est presque un jeu de mots…), pages 282 et 283, est magistrale et percutante : tout ce qui caractérisait ce lycée « technique » de la banlieue nord de Paris dans les années 70 (bons résultats, bonne ambiance, investissement total du corps professoral et administratif et, en « produit de sortie », des élèves que l’on s’arrache dans les entreprises) peut servir à décrire la situation trente ans plus tard : il suffit de prendre le contrepied de chaque terme !

Élise Jacquard reconnaît que « la vieille garde » de professeurs est enviée par les nouveaux professeurs qui n’ont jamais connu que la situation dégradée actuelle (qu’elle appelle "la désinstitutionnalisation postmoderne") : parce qu’ils sont arrivés à l’âge où l’on calcule ses points de retraite… Vivement la quille !

Dès les années 80, les difficultés sont apparues : « Les élèves ne maîtrisant pas la langue, et encore moins les abstractions conceptuelles, peinent à organiser leurs idées ».

L’amertume est visible : de l’échec de M. Savary en 1984 à l’embauche inconsidérée d’enseignants sans expérience ni réelle formation, en passant par le remplacement de certaines filières par d’autres vouées à l’échec, Élise Jacquard énumère les causes, selon elle, de la dégradation. « Les quinze ans de modernisation, c’est-à-dire d’extension de l’ultra-libéralisme, se sont accompagnés d’une véritable lutte de classes entre les anciens collègues républicains (qu’ils soient de droite ou de gauche) et les communicateurs pour qui tout ce qui leur résiste ne peut être le fait que de bourgeois cramponnés à leurs privilèges ».

Dans le troisième paragraphe de l’article, elle aborde le sujet principal du livre : « L’antisémitisme ordinaire est déjà là au commencement de la période de référence en 1975. Comme une évidence ».

« (…) Le racisme traditionnel apparaît en 1983 (…). (Il) permet de tenir à distance le thème de la baisse du niveau (…) » (page 290).

Mais elle met surtout en exergue des pratiques étonnantes de sélection et de mise à l’écart de certaines catégories d’élèves, au besoin par la force, et s’insurge contre l’ostracisme dont ils sont victimes (qu’elle attribue à « l’esprit revanchard du colonialisme désavoué par l’Histoire ou (…) sa version moderne différentialiste »). En somme elle renvoie dos à dos la lâcheté de l’Administration face aux troubles et la ségrégation pratiquée par certains enseignants.

C’est un peu pour la même raison – dénoncer le désintérêt, voire le mépris pour certaines populations (à savoir les filles issues de l’immigration) et le retard pris dans le processus d’intégration – qu’elle prend position pour la fermeté dans l’affaire du voile à l’école (lycée de Creil, 1989). « Le différentialisme est le nouveau visage d’un racisme qui se croit authentiquement progressiste ». « Au fur et à mesure que la population du lycée s’arabise et s’africanise, le différentialisme est encouragé ». « On pourrait résumer l’évolution des Nonantes (les années 90…) par la généralisation du recouvrement des têtes, tant métaphore de la contre-révolution des Lumières que réalité vestimentaire » (page 298).

Le paragraphe 5 décrit une sorte de situation apocalyptique au lycée, mise en correspondance avec l’arrivée de Claude Allègre au ministère… « Les locaux ont perdu leur fonction ». « L’espace du lycée est devenu un volume indifférencié, un hall de gare dans lequel déambulent des corps qui s’opposent en permanence au passage des professeurs. Aucun élève jamais ne cède le pas à un adulte. Chaque croisement est une épreuve de force ou une humiliation ». « Le cœur (de la désinstitutionalisation de masse) en est le rapport personnel et hiérarchique entre l’enseignant et l’enseigné, dorénavant interdit de diverses façons » (page 301). « L’irrationnel et l’arbitraire sont devenus la norme » (page 305).

La description faite dans ces vingt-six dernières pages est tout bonnement hallucinante (désorganisation, absentéisme, vol, racket, violences, agressions sexuelles, injures, bagarres, etc.), il faut le lire pour le croire !

Peut-être est-ce une explication ?

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