07/01/2019
Les mots français à la mode IV
Jacques Julliard écrit dans le Marianne du 18 mai 2018 « (…) Les syndicats et autres forces vives, comme on disait jadis, se révèlent aujourd’hui incapables de jouer le rôle vacariantqui a été plusieurs fois le leur ». How strange ! Quel est donc ce mot, qui n’est pas la mode mais au contraire « extraordinaire » et qui me fait penser aux vicaires de nos paroisses d’antan ? Voyons ce qu’en dit le Trésor :
MÉD., vieilli. [En parlant d'une activité, d'une fonction] Qui supplée à l'insuffisance fonctionnelle d'un organe (exemple : organe vicariant ; fonction vicariante).
« Le rhumatisme et la neurasthénie sont deux formes vicariantes du neuro-arthritisme. On peut passer de l'une à l'autre par métastase » (PROUST, Sodome, 1922, p. 891)
Étymologie et histoire
1878 Physiologie : fonctions vicariantes (Larousse 19e Suppl.);
1922 « (d'un élément, d'un phénomène) qui se substitue à un autre » (PROUST, Sodome, p. 625 : des habitudes qui reprendront un jour ou l'autre la place du mal vicariant et guéri).
« Vicariant » est le participe présent adjectivé de « vicarier ».
Étrange que Proust soit cité deux fois dans cet article du dictionnaire informatique…
À la mode sûrement, le mot hubris. Le TILF ne connaît pas mais le Larousse sur internet si :
Hubris ou ubris, nom féminin (mot grec)
- Chez les Grecs, tout ce qui, dans la conduite de l'homme, est considéré par les dieux comme démesure, orgueil, et devant appeler leur vengeance.
- Littéraire : outrance dans le comportement inspirée par l’orgueil ; démesure
Et devinez pourquoi les journalistes usent et abusent du mot… c’est à cause de l’arrogance et du complexe de supériorité difficilement acceptable du Président de la République.
J’ai découvert ce terme dans Marianne, par exemple dans l’article « Le barnum mémoriel de Macron » de Soazig Quéméner, le 2 novembre 2018. Elle écrit : « Difficile pourtant d’imaginer Macron passer de l’hubris des dieux dénoncée par Gérard Colomb à l’absence de panache de Carnot ».
Article d’autant plus intéressant qu’il m’a fourni un autre mot à la mode : performatif (qui doit avoir la même origine économico-communicatrice que « autoréalisateur »). Elle cite l’inénarrable Bruno Roger-Petit : « Pour lui (E. Macron), le toucher est fondamental, c’est un deuxième langage. C’est un toucher performatif : le roi te touche, Dieu te guérit ».
Est-ce l’irremplaçable Michel Audiard ou le remplacé Jacques Chirac qui avait dit que « les cons, ça ose tout et que c’est même à cela qu’on les reconnaît » ? Non, c’est Michel Audiard dans « Les tontons flingueurs », sommet indépassé et sans doute indépassable.
31/12/2018
Nouvelles du front (linguistique) VI
Le 16 novembre 2018, Les Échos consacraient deux pages pleines au renouveau des Champs-Élysées, l’idée étant d’aller vers encore plus de luxe et encore plus de marques prestigieuses, comme si cela ne suffisait pas déjà. Pas la peine de poser la question « pour qui donc ? », parce que l’on sait que ce n’est pas pour les Français ni même les Parisiens mais uniquement pour les richissimes visiteuses venant de Pékin ou du Golfe.
Histoire de montrer que tout cela n’est pas bassement du commerce et des gros sous, le journal de Bernard Arnaud titrait « Une myriade de concepts innovants », l’air de dire : « il n’y a pas que les chercheurs scientifiques qui innovent ». Et alors c’est quoi, ces innovations ? Des mégastores pour Nike et Adidas, un concept hybride pour les Galeries Lafayette, les tout nouveaux rayons de Monoprix et un écrin années 1930 (décidément il n’y a pas que M. Macron que ces années-là obsèdent…) pour JM. Weston.
Décortiquons ces innovations.
Pour Nike, c’est le gigantisme (ils prennent la place de Toyota sur 4500 m2). Il paraît que ce projet entre dans un plan stratégique. On est rassuré, mais on consultera plutôt Que Choisir quand il s’agira d’acheter les chaussures de course les plus adaptées. Adidas va proposer au public des écrans tactiles et un service de personnalisation des chaussures. Les deux parlent de showrooms…
Les Galeries Lafayette prendront la place du Virgin Mégastore sur 6500 m2. Le malheur des uns fait le bonheur des autres qui retrouvent l’emplacement de 1927. Retour vers le futur. Mais écoutez bien : Le point de vente « proposera une expérience différente, une espèce d’hybride entre un concept store et un grand magasin traditionnel (…) Il sera numérique mais personnalisera la relation client ». Il faut récrire « Au bonheur des dames » ! Et, écoute bien Zola : « Les 300 vendeurs auront le statut de personal stylists ». Les Échos ajoutent pour les syndicalistes qui liraient l’article : « une fois n’est pas coutume, (ils) seront tous des salariés du groupe ». On est rassuré, ils pourront travailler le dimanche et seront bien payés.
Le Monoprix sera installé juste à côté ; habile ! Je suppose que c’est aussi dans le plan stratégique… Il ressemblera à l’entrée « d’un grand hôtel qui aurait adopté le design des années 1930 ». L’ancêtre Prisunic était dans les lieux en 1933. Encore 1930 ! Mais qu’est-ce qu’ils ont avec 1930 ? « L’aménagement des rayons semble avoir adopté les codes du luxe ». mais il ne s’agit que de modules dupliquables. Les rayons homme et enfant, ainsi que la décoration, sont relégués au sous-sol ; l’égalité homme-femme est passée par là.
JM. Weston prend la place d’une agence du Crédit Lyonnais. « Les vastes fauteuils club invitent aux essayages. On trouve même des cabines ». Incroyable ! Le travail de l’architecte « est raccord avec le style années 1930 de l’immeuble ». Ça faisait longtemps que je n’avais pas rencontré cette horrible expression « être raccord » (à retrouver dans ma rubrique « Les mots à la mode »). « Le flagship est le dixième point de vente de la marque à Paris ». Pour ne pas dire « navire-amiral »… qui ferait trop pompeux ? Ou qui porterait la poisse, sachant que les navires, ça coule parfois ?
Plus bas, un long article est consacré à Apple, qui fait aussi son flagship ici, qui est aussi stratégique, qui va se coller aussi à côté de son concurrent Samsung, et qui veut aussi « dépasser la simple commercialisation de produits pour miser sur le concept d’expérience client » (voir ma rubrique « Les mots à la mode »). Cela se traduira par des séances Today at Apple.
Tous ces gens connaissent-ils le nombre de salariés en France qui gagnent moins de 1400 € bruts et de retraités à 1000 € ?
En bas à droite de cette grande deuxième page, au moment de la tourner, on tombe sur une publicité en couleur de Klépierre, entièrement en anglais (non traduit) :
« EMPORIA
CUTTING EDGE RETAIL ON THE SHORE OF THE BALTIC
SHOP
MEET
CONNECT »
N’est-ce pas complètement illégal ? Que fait donc l’Office de vérification de la publicité ? Que fait le Comité de rédaction du journal ?
Une semaine plus tard, ce sont les Gilets jaunes qui déroulaient leur plan stratégique sur la plus belle avenue du monde…
07:00 Publié dans Actualité et langue française, Franglais et incorrections diverses | Lien permanent | Commentaires (0)
24/12/2018
La fin du passé simple ?
Il y a un an (19 décembre 2017), Alain Borer tirait la sonnette d’alarme dans Le Point sur la disparition du passé simple (de manuels scolaires, des romans et de nos conversations).
Je crois avoir déjà parlé d’Alain Borer, qui a écrit en 2014 « De quel amour blessée – Réflexions sur la langue française » (Gallimard). La journaliste Émilie Trevert écrit : « Après la perte du subjonctif, qu’il date des années cinquante, le passé simple serait lui aussi en train de disparaître de la langue française. Loin d’être une querelle de linguistes, la mort programmée de ce temps aura, selon le spécialiste d’Arthur Rimbaud, des conséquences dramatiques, dont la difficulté d’accès aux grands textes pour les plus jeunes ».
Alain Borer fait remarquer que, « Comme le russe et l’arabe, la plupart des langues du monde ne distinguent que trois temps : le passé, le présent, le futur (…) Dans les langues romanes, il y a des passés différents, alors que le passé, dans les langues idéogrammatiques (asiatiques), ne se déduit que du contexte ». En français, nous avons le futur antérieur, le plus-que-parfait ; quelle richesse !
Il donne l’exemple de « la Chanson de Roland, écrite en l’an mille et qui rapporte des faits qui ont eu lieu deux siècles auparavant : le passé simple permet de fournir, même dans un récit au présent, un imparfait à l’intérieur du passé ».
Alain Borer appelle vidimus la vérification par l’écrit, qui est selon lui la caractéristique principale de la langue française : tout ce qui est écrit ne se prononce pas ! « Cesser de transmettre le vidimus, rien n’est plus grave ». Les responsables ? L’éducation nationale et ses ministres ignorant de la langue (Jospin, Belkacem), « en n’enseignant plus la langue française à travers sa littérature mais par des articles de presse, de la littérature jeunesse, voire du rap ; et en réduisant le nombre d’heures d’enseignement de français ».
« Las, le passé simple comme l’imparfait du subjonctif paraissent des nuances trop compliquées pour des sociétés saisies de rapidité et dépourvues de précision ».
En commentaire, Adélaïde, une institutrice, revient sur la méthode globale de lecture et parle du mot « oiseau » dans lequel se trouvent les cinq voyelles de l’alphabet (a, e, i, o, u), sans qu’on en entende une seule, ainsi que le « s » qui se prononce « z » ; elle a renoncé à le faire lire aux élèves de CP…
Tout cela est bel et bon, mais : que fait-on ?
07:00 Publié dans Actualité et langue française, Règles du français et de l'écriture | Lien permanent | Commentaires (0)