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31/08/2015

Mes lectures de l'été 2015 (I) : "C'était notre terre" (Mathieu Belezi)

Depuis le fabuleux sketch des Inconnus "Les chasseurs" et leur incursion dans le Bouchonnois (Pithibouviers et autres lieux fameux), on sait ce que c'est qu'un bon chasseur...

 

Les chasseurs Les Inconnus.jpg

 

Mais qu'est-ce qu'un bon écrivain ?

J'ai pensé à cette question en ouvrant "C'était notre terre" de Mathieu Belezi (Albin Michel, 2008). Ce livre raconte le choc, psychologique (la perte) et physique (les exécutions sommaires et les crimes ignobles) des dernières années de la colonisation en Algérie, vu essentiellement du côté des colons. Il est construit sur une suite de monologues des principaux personnages du roman, chacun d'eux donnant sa propre version et surtout sa propre vision des événements. Dès les premières pages, je me suis donc dit "quelle maestria ! quelle habileté pour enclencher le récit illico presto" et, partant, "quel écrivain !".

Pour être plus précis, je me suis même demandé : "quels ingrédients", "quelles caractéristiques" font-ils qu'un livre vous "cueille" dès les premières pages ? Est-ce uniquement la fameuse "première phrase" ("Longtemps je me suis  couché de bonne heure…") ? Sûrement pas.

Qu'est-ce qui fait qu'on est "embarqué" dans l'enthousiasme par "La promesse de l'aube" et qu'on avance à reculons dans, par exemple, "Je vous écris d'Italie" ?

Autant vous dire qu'à cette heure, tout cela me reste mystérieux. Il y a une alchimie, et même sans aller jusqu'aux paradoxes à la Cécile Ladjali selon laquelle "un livre nous lit autant qu'on le lit".

Bref, ce livre qu'une amie avait adoré et qu'elle m'a conseillé, m'a pris dans son tourbillon dramatique. Sur le fond, même s'il donne l'impression de plaindre ces colons qui sont chassés un beau matin de "leurs" terres, il les dépeint tellement arrogants et tyranniques, que l'on en vient à comprendre l'origine de la révolte des opprimés. Les exactions de part et d'autre sont relatées de façon équilibrée, et c'est l'horreur qui s'en dégage, toutes communautés confondues. Au total, le livre - on ose à peine parler de roman - donne certainement une bonne idée de ce qui s'est passé. Seul le titre demeure ambigu : ironique, nostalgique, provocateur ?

 

Algérie agricole.jpg

 

Sur la forme, j'ai déjà parlé de la construction du livre ; il m'a semblé que l'auteur en usait et abusait. Au milieu du gué, on en est un peu las, d'autant qu'il manie la répétition et les "formules" sans modération. Mais le dernier tiers du livre - prenant - nous fait dévorer les dernières pages. J'aurais apprécié pour ma part quelques descriptions supplémentaires du cadre de vie et des paysages, plus de pittoresque des situations… mais l'objectif de l'auteur n'était manifestement pas là.

Au total, un bon livre, et qui frôle le "documentaire" ou même l'essai militant sur la question.

30/08/2015

"Petit éloge des vacances"

Voici donc la réponse à la devinette VIII, que seule ICB a trouvée (c'était difficile).

Il s'agissait de "Petit éloge des vacances", de Frédéric Martinez (Gallimard, 2013 et Folio 5609). Cet été, sa distribution était particulière parce qu'il était offert pour tout achat de deux Folio !

Et c'est un beau cadeau de l'éditeur (ou du distributeur) car ce petit opuscule, compilation de 24 chroniques motivées par le début des vacances, Paris qui se vide et les Parisiennes qui vont partir à l'assaut des plages, est épatant.

Ce qui frappe au premier abord, c'est le sens de la métaphore : une passante l'inspire et le fait penser, par exemple, à une princesse irlandaise, et c'est tout le vocabulaire propre à l'Irlande - y compris les verbes - qui compose ses descriptions enflammées. Il a du style, le bougre.

Ensuite, le fil conducteur, ténu mais présent d'un bout à l'autre : ces filles magnifiques, énigmatiques, attirantes, l'emmènent à rebours sur les chemins de l'adolescence et de l'enfance (voir "Creuse, creuse"). Bien plus, elles lui suggèrent de véritables improvisations ; comme en jazz, la grille d'accords sert de structure et une note en appelle d'autres. Ainsi, baptisant Dorothy une passante de la rue de Venise, il imagine les promenades d'une Anglaise à Venise. C'est bien écrit, créatif, évocateur.

Enfin, bien sûr, il y a la nostalgie, de l'enfance, des gens et des paysages disparus, et le pincement de cœur quand on voit que l'automne s'annonce et que les vacances sont finies.

À part les extraits que j'ai donnés dans les billets précédents, j'ai aimé "Continent perdu", "Les derniers jours de l'été" et "La folle journée de Mme de B.".

Vacances en Auvergne.jpg

PS. Profitons-en pour noter quelques points d'orthographe et de grammaire, et de vocabulaire.

  • Page 48, F. Martinez écrit "Elle traverse des petites places...". J'aurais écrit "de petites places" (à ne pas confondre avec par exemple "au cœur des petites places".
  • Mais approuvons l'accord des adjectifs de couleur : "Ces façades ocre ou blanches" (en effet, l'adjectif est invariable quand il correspond à un objet ou un matériau) et, page suivante, "L'eau est vert sombre, presque noir" (c'est le vert qui est noir !)
  • Page 12, admirons ce quasi-jeu de mots, peut-être involontaire : "Recrus de désir, cuits de fatigue...".
  • Et enfin, page 93, ce mot que je ne connaissais pas au masculin "greluchon" ; c'est l'amant de cœur d'une femme qui est par ailleurs entretenue par un autre homme.

Et l'auteur, me direz-vous ? Frédéric Martinez est né en 1973 (quel choc...) ; c'est un écrivain éclectique, qui s'est intéressé à Maurice Denis, Versailles, Paul-Jean Toulet, Claude Monet, Liszt, Maupassant et... Jimi Hendrix.

L'un de ses ouvrages m'a intrigué : "Aux singuliers, les excentriques des Lettres" (2010). Peut-être une  prochaine lecture ?

 

29/08/2015

Creuse, creuse...

"Après venaient les genêts, les chênes et les châtaigniers, les vaches rousses et les eaux vives. Quand nous entrions en Creuse, mon grand-père , heureux de revoir ses terres d'enfance et d'y associer la mienne, ouvrait la fenêtre, nous invitait à nous emplir les poumons, à respirer l'air pur, c'est sûr, on n'en avait pas un pareil en banlieue.

 

Les foins dans l'ancien temps.jpg

 

L'odeur épaisse des foins coupés pénétrait dans la Simca qui prenait vaillamment les virages, parfois s'arrêtait pour laisser passer un troupeau de vaches qu'un paysan, casquette enfoncée sur la tête, faisait de son mieux pour conduire à l'étable. De temps à autre un tracteur se rangeait sur le bas-côté pour laisser passer notre équipage et je revois la Simca glisser sur les routes heureuses, vers lesquelles coulaient doucement des prairies grasses chargées de trèfles et de fleurs, je revois ces visages aimés, disparus, ces silhouettes infimes retournées à la terre, corps glorieux sautillants, saturés de couleurs dans l'assomption du super 8.

Je pourrais m'évader dans la lecture, mais passé un certain âge, les livres ne suffisent plus. J'ai fait l'expérience des secrets qu'ils contiennent, éprouvé que la terre est ronde et l'amour difficile. Ces rectangles de papier qui contiennent des mondes, s'ils demeurent des consolations, ne me délivrent plus si facilement leurs passeports pour le rêve. Les voyages imaginaires ont fait long feu ; les mardis soir sont une terre étrangère" (pages 60 et 61).

Bien sûr, je citerai mes sources dans un prochain billet (mais voyez la devinette X d'abord).

NDLR pour les jeunes lecteurs de ce billet :

  • Simca : voiture des années 60-70 ; marque rachetée par Peugeot et tombée en désuétude.
  • Super 8 : format de film argentique, successeur du 8 (qui était moins large) et prédécesseur des cassettes 8mm. Il fallait faire développer les films que l'on prenait en Super 8 (et qui durait quelques minutes seulement). Il y a toujours des inconditionnels de ce cinéma amateur.
  • Les mardis soir : veille du mercredi, journée sans école, ce qui autorisait l'auteur à regarder des films à la télévision et donc à se coucher tard.