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21/10/2019

Les mots (français) à la mode IX

Bien sûr il y a « du coup », expression impropre qui s’est répandue si rapidement et si largement qu’elle en est devenue quasiment un tic ; combien de personnes commencent aujourd’hui systématiquement leur phrase ou même leur prise de parole par « du coup ». C’est énervant mais on sait que ces modes disparaissent un jour, comme elles sont apparues ; et surtout, leur promotion et leur succès n’ont pas de « coulisses » ni de groupe de pression « à la manœuvre ». Il serait intéressant d’étudier comment elles naissent et comment elles s’installent dans le langage courant, de façon virale, mais l’enjeu de cette invasion est nul. Trois petits tours et puis s’en vont !

Autrement plus problématique est l’expansion du mot « féminicide ». Il doit être facile d’en identifier la paternité ; ou plutôt la « maternité », pour rester dans le sujet, puisque Mme Schiappa ne doit pas être loin de la source, dûment cornaquée qu’elle a dû être par des associations féministes et/ou de victimes. J’imagine qu’un arrêté, un décret ou un projet de loi a dû officialiser la chose, à savoir qu’un homicide commis par un homme sur sa compagne ou son épouse, dans le registre des « violences conjugales » ne devrait pas s’appeler « un homicide » mais « un féminicide »… Étonnant, d’ailleurs, que le genre masculin ait été conservé pour ce substantif (ah si ! c’est normal puisque c’est un homme qui le commet !). Les médias ont sauté sur le vocable comme s’il révolutionnait l’approche et l’ont popularisé. L’Académie, elle, n’a pas pipé mot…

Le hasard (ou plutôt la synchronicité) a voulu que j’ouvre le Marianne du 12 juillet 2019 au moment où je rassemblais des idées pour un nouveau billet de ma rubrique « Les mots français à la mode ». En tête figurait comme chaque semaine maintenant l’éditorial de Natacha Polony. Il était intitulé « Le féminicide ou l’art de mal nommer » (avec une référence à Albert Camus) et il était, quasiment comme chaque semaine, excellent.

Mme Polony ne s’est pas intéressée au mot en tant que tel ni au processus qui l’a fait naître mais au fond de l’affaire. Que dit-elle ?

Que le sujet des violences conjugales est évidemment dramatique et révoltant.

Que sa prise en compte demande avant tout des moyens importants et rapides.

Que l’emploi d’un mot nouveau avait pour but de signifier que, non seulement les femmes sont les premières victimes de ces violences mais qu’en plus elles seraient tuées « parce que femmes ». La justice devrait donc considérer qu’il est plus grave de tuer une femme qu’un homme ? Dans ce cas, ce ne sont plus les femmes que l’on défendrait mais les hommes que l’on combattrait, détruisant ainsi « l’universalisme qui est la plus belle conquête des Lumières » !

Elle considère que « féminicide » est « un néologisme forgé comme un slogan pour effacer le complexité du réel » et que « le terme masque le fait que l’homme qui tue sa conjointe ne le fait pas parce qu’elle est une femme mais parce qu’elle est sa femme et que leurs relations sont pathologiques ».

Savourons la conclusion de Mme Polony, qui nous ramène à notre sujet : « La guerre idéologique contre l’universalisme, relais supposé de la domination masculine, se joue d’abord dans la langue, à coups d’expressions et de concepts que les médias reprennent sans aucun recul, parce que le recul ne saurait avoir cours dans un combat pour le bien. Et c’est ainsi que, pour la bonne cause, les Lumières s’éteignent ».

30/09/2019

Le français fait de la résistance (I)

Le Figaro Magazine du 29 juin 2019 contenait un dossier intéressant intitulé « La langue française fait de la résistance ». C’est une préoccupation constante de l’hebdomadaire et aussi du quotidien, à travers, en particulier, sa rubrique « langue française ». Tant mieux car notre langue, patrimoine vieux de plusieurs siècles, est attaquée en permanence. Au hasard, citons deux exemples récents : Bruce Toussaint, journaliste débonnaire de BFM TV vient de rebaptiser sa tranche horaire : « Tonight Bruce Infos » ; un centre commercial de l’Ouest parisien vient aussi de se rebaptiser : Westfields (peut-être pour imiter « Pariwest » en banlieue plus lointaine ?) Consternant ! Coïncidence fortuite, le premier article du dossier où Charles Jaigu souligne (ou décrète ?) « La grande mobilisation », avec deux intertitres, « L’américanisation du monde est finie » et « La menace inclusive », commence par la dénonciation d’énormités de la même eau : « Only Lyon », « Alpes IsHere », « Navigo Easy », « My Rodez, tu m’inspires », « Inspire Metz », « Montpellier Unlimited », « Sarthe Me Up », « L’Aisne, it’s open », « Lorraine Airport » (oui, même ma région natale !), « Health Data Hub » et « Sèvres Outdoors »… Honte aux communicants et aux publicitaires qui proposent ces slogans et honte aux collectivités locales qui se laissent attraper comme des gogos (et qui n’hésitent jamais par ailleurs à venir vanter la richesse de leur patrimoine et la spécificité de leur région avec des trémolos dans la voix). Voir sur le même thème l’enquête que j’avais publiée dans l’un des premiers billets de ce blogue en 2014, suite à un petit tour dans le centre commercial de La Défense.

Malheureusement la fameuse loi Toubon de 1994 n’interdit pas l’affichage en anglais, contrairement à la Charte de la langue française votée au Québec en 1977 ! C’est le Conseil constitutionnel qui l’avait refusé au nom de la liberté d’expression (NDLR : liberté des renards dans le poulailler !).

Pour moi, une loi devrait d’urgence interdire affichage, enseignes et étiquettes en toute langue autre que le français, ce qui devrait exclure par la même occasion les panneaux routiers en occitan, en corse et en breton. J’avais proposé cette mesure de salut culturel public dans ma contribution indépendante au Grand Débat agité par le Président de la République pour éteindre le feu allumé par les Gilets jaunes.

Avez-vous remarqué que les ingrédients des produits d’hygiène et de beauté (par exemple les shampoings) sont tous écrits en anglais ? Allez chercher le parabène et autres perturbateurs là-dedans…

Pour en revenir à la loi Toubon, elle interdit seulement aux services publics – et non pas aux collectivités locales ni aux organismes parapublics – d’employer une autre langue que le français dans leurs publicités… Pourquoi donc ?

Charles Jaigu voit dans l’anglicisation machinale de la signalétique une triple capitulation : politique (qui nourrit le ressentiment envers la mondialisation), commerciale (car le touriste qui vient en France cherche la couleur locale et le dépaysement) et stylistique (car quoi de plus beau que la langue française pour faire découvrir les charmes de nos régions et de notre mode de vie ?). Et il y ajoute le pied de nez à l’exception culturelle française, si farouchement défendue sur d’autres estrades.

La difficulté de l’affaire, c’est que nos adversaires sont nos compatriotes eux-mêmes (comme pour la bienpensance exacerbée qui nie tous les problèmes)… L’Oncle Sam n’y est pour rien !

À suivre…

26/09/2019

"La France périphérique" (Christophe Guilluy) : critique I

Stupéfiant !

Dans ce petit livre publié en 2014 chez Flammarion, le géographe Christophe Guilluy explique que le problème de la France actuelle, ce n’est ni les grandes métropoles (adaptées et insérées dans le monde globalisé) ni les banlieues (aidées via la politique de la ville par les plans-banlieues, et qui profitent de la proximité des centres) mais les petites villes et les zones rurales abandonnées à leur triste sort : les plans de licenciement incessants, la disparition des services publics et l’éloignement de tout. Le phénomène mis au jour – après des décennies de coups de projecteur sur les banlieues – a fait l’effet d’une bombe car il allait à rebours des idées reçues et l’expression qui donne son nom à l’ouvrage : « La France périphérique » a été immédiatement adoptée par les intellectuels et les médias, et elle est entrée quasiment dans le langage courant.

Mais il semble que l’on ait oublié le sous-titre du livre : « Comment on a sacrifié les classes populaires », même s’il est aujourd’hui admis que le libéralisme et la mondialisation ont enrichi les riches, maintenu tout juste au-dessus de l’eau les pauvres et « enfoncé » les classes moyennes (Thomas Piketty était passé par là).

Christophe Guilluy envisage les conséquences de ce bouleversement social et c’est là que son travail est stupéfiant : en 2014, il prévoyait les Gilets jaunes, qui interpellent les Pouvoirs publics et la société française depuis novembre 2018 !

Ce livre au style concis, neutre, percutant et argumenté m’a enthousiasmé. Je vais vous en proposer, amis lecteurs, les idées marquantes dans une série de billets agrémentés d’extraits que je n’aurai aucun mal à isoler car j’ai « marqué » 20 pages sur les 179 de l’ouvrage (ratio de 11,2 % !).