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23/03/2019

L'anglais va dégoûter les peuples de l'Union européenne

Ah le brave homme ! ah l’homme raisonnable et utile ! Ah qu’il nous fait du bien !

Je ne parle pas de « qui vous savez » ni d’un Académicien (j’y reviendrai) ni du Ministre de la culture (qui c’est ?) ni de la personne chargée de la francophonie en France (qui c’est ?) !

Non, je veux parler de M. Yves Montenay, géographe et Président de l’Institut Culture, économie et géopolitique (ICEG) qui, dans les Échos du 12 mars 2019, a publié un texte intitulé « L’anglais risque de dégoûter les Européens de l’Europe » (titre que j’ai adapté à ma mode ci-dessus, comme vous l’avez vu ; d’ailleurs le journaliste qui a sans doute ajouté les titres intercalaires a lui aussi parlé du « rejet de Bruxelles »).

M. Montenay répondait à M. Hubert Balaguy, fondateur de The Paneuropean, qui proposait de « tourner la page du francophonisme » et d’adopter l’anglais comme langue commune européenne, malgré le Brexit (sic !), « pour donner une impulsion formidable au projet européen » (re-sic !). D’une certaine façon, il répond aussi à M. Gaspard Koenig dont j’ai raconté les délires linguistiques dans mon billet du 18 mars 2019.

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Ce serait une sorte d’achèvement de la mondialisation à l’européenne : ouverture inconsidérée à tous les vents, création d’une monnaie unique qui par construction n’était pas viable (voir la théorie économique sur les zones qui peuvent avoir une monnaie unique) et enfin adoption d’une langue unique, étrangère qui plus est.

Envisageons la situation si cette décision était prise : tout Européen de l’Union ne pourrait s’adresser aux Services de Bruxelles (et de Strasbourg par voie de construction) qu’en anglais (comprenons bien : dans son propre anglais) et ne recevrait de sa part que des textes en anglais (à charge pour lui de les traduire comme il peut). Alors qu’à l’heure actuelle, même si c’est théorique, il y a trois langues de travail : français, allemand et anglais, et que les textes sont traduits dans les différentes langues nationales par les spécialistes.

Voici les premiers arguments de M. Montenay ; ils concernent les aspects pratiques de compréhension entre la base et les « élites » :

  • La population européenne « d’en bas » ne parle pas l’anglais, ou très mal. Donc on tiendrait encore plus à l’écart les couches populaires (à un moment fort mal choisi !) du fonctionnement de l’Union.
  • Des dossiers destinés à l’Union européenne, préparés en langue nationale et traduits en anglais, sont plus souvent rejetés que ceux concoctés dans les cercles privilégiés. On favoriserait donc encore plus ces derniers.
  • « La langue de l’Europe, c’est la traduction » avait dit Umberto Eco. Traduire est un métier, difficile… Il faut que les textes soient traduits par des spécialistes, et non par chacun dans son coin avec ses moyens linguistiques limités.
  • « L’anglais bruxellois » (au sens de l’anglais pratiqué par les technocrates de l’UE travaillant à Bruxelles) est déjà cause d’un rejet… Ne l’amplifions pas !

Voici comment pourraient être schématisées les deux situations avant et après :

Avant (aujourd’hui) :

Citoyen ou groupe d’un pays de l’Union --> texte dans sa langue --> traduit à Bruxelles par des traducteurs professionnels

Réponse ou directive en anglais bruxellois --> traduit dans les différentes langues européennes par des traducteurs professionnels --> Citoyen ou groupe d’un pays de l’Union

Après l’adoption éventuelle de l’anglais comme langue « unique » :

Citoyen ou groupe d’un pays de l’Union --> texte en anglais --> plus ou moins bien compris à Bruxelles par les technocrates

Réponse ou directive en anglais bruxellois (probablement compris uniquement par ses auteurs…) --> Citoyen ou groupe d’un pays de l’Union qui le traduira comme il peut dans sa langue nationale

Mais il y a aussi le « sentiment national » :

Les problèmes sont posés de façon nationale (en l’occurrence, pour la Grande-Bretagne : l’immigration des Polonais, la préférence pour le grand large…) et, de plus en plus souvent, locale (Londres et l’Écosse avaient eux voté contre le Brexit).

Pourtant l’Union européenne parle anglais, ses lobbyistes aussi. Si la langue était vraiment déterminante pour se sentir européen, les Anglais n’y seraient pas entrés à reculons et n’en seraient pas sortis par un referendum.

Enfin, M. Montenay récuse l’argumentation en faveur d’une dissolution de la francophonie et de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Pourquoi la France abandonnerait-elle l’un de ses derniers avantages concurrentiels ? Pourquoi abandonnerait-elle les nombreux pays africains amis ? L’OIF n’est pas en premier lieu « économique » ; elle est avant tout culturelle, géopolitique, fraternelle.

Comme un bonheur n’arrive jamais seul, j’ai déniché au même moment un article de Mme Élisabeth M. Wansbrough-Abdi, enseignante anglo-saxonne, dans Les Échos du 21 janvier 2019, « Avec le Brexit, faire gagner du terrain à la langue française ».  Son rappel historique est intéressant :

  • « Le premier traité international rédigé exclusivement en français est le traité de Rastatt (1714), qui marque la fin de la Guerre de la Succession d’Espagne » (citation de M. Raoul Delcorde, ambassadeur de Belgique au Canada, coordonnateur du Groupe des ambassadeurs francophones à Ottawa, en 2016).
  • La perte de son influence date de la montée en puissance des États-Unis et notamment lors des accords de Paris en 1919, avec la présence d’un président américain, Woodrow Wilson qui ne parlait pas du tout français
  • À partir des années 1960, il a cédé face à l’expansion de l’anglais.

Elle attribue ce dernier phénomène à l’urbanisation et à la communication : « La langue ne devait pas rester uniquement un vecteur des échanges diplomatiques, un vocabulaire des élites, mais aussi, et surtout après la Seconde Guerre mondiale, gagner, par des modes d’expression comme le cinéma et les musiques populaires, la faveur de populations de plus en plus urbanisées à travers le monde ». Effectivement, de ce côté-là, c’est raté… la génération de 68 a choisi les chansons de Bob Dylan et des Beatles, et s’est passionnée pour les films de Gary Cooper, Marilyn Monroe, Marlon Brando et Jane Fonda (celle d'aujourd’hui ne jure plus que par les séries américaines).

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Elle rappelle aussi que l’un des précurseurs d’internet est le Français Louis Pouzin, polytechnicien, grand défenseur des langues natives et inquiet de la position dominante de l’anglais sur l’économie du réseau des réseaux. C’est lui, je crois, qui a milité (sans succès jusqu’ici) pour que le codage informatique permette de manipuler les caractères diacritiques des langues autres que l’anglais (tous les caractères de toutes les langues du monde ont été codées depuis longtemps ; il faut simplement abandonner le codage ASCII sur 8 bits…). Rêvons de l’époque où nous pourrons créer des adresses internet comme : réussir_sa_vie@à_coup_sûr.com !

Pour elle comme pour nous : « avoir ou conserver l’anglais comme langue dominante dans l’Union européenne sans les Britanniques est un paradoxe ».

Tout est dit !

13/03/2019

Grand débat : pourtant, en Angleterre, au XVIème siècle, déjà...

Dans son livre passionnant « Où en sommes-nous ? » (Points Seuil, 2017), Emmanuel Todd rappelle qu’en Angleterre, dès le XVIème siècle, une pension était attribuée aux personnes âgées dans le besoin, par les collectivités locales ; ce système compensait l’individualisme attaché à la structure familiale de l’Angleterre que les anthropologues appellent « nucléaire absolue ».

« La collectivité anglaise a maîtrisé le problème par une précoce fiscalité sociale. Les lois sur les pauvres de 1598 et 1601 (NDLR : Henri IV étant roi de ce côté-ci de la Manche…) ont exigé des paroisses la levée d’un impôt, géré localement par un Overseer of the poor, pris en pratique dans la partie supérieure ou moyenne de la paysannerie locale » (page 270).

« (…) Thomson a montré la continuité de l’histoire de cette sécurité sociale anglaise ou, mieux encore, son caractère cyclique, avec des hauts et des bas non seulement des prestations mais des débats sur ce que devraient être leur niveau et le degré de responsabilité des familles et des individus. Il évalue à 70-90 % du salaire moyen des jeunes adultes ouvriers, le pouvoir d’achat des pensions attribuées aux vieux ruraux » (page 271).

« L’important est de réaliser que l’image d’une culture anglaise ultralibérale par nature est une fiction. L’Angleterre fut, certes, le lieu de naissance du capitalisme individualiste. Il existe bien un lien entre la famille nucléaire absolue et la plasticité de la société anglaise, entre l’absence de valeur d’égalité et la faiblesse des réactions populaires aux violences de la révolution industrielle. Mais nous découvrons toujours, et même après 1834, (…) que cette famille nucléaire n’aurait pu exister sans l’apport d’une prise en charge collective des individus décrochés du noyau falilial élémentaire, les vieux principalement mais aussi les orphelins et, dans la phase de transition de la campagne vers la ville, les ouvriers en perdition » (page 278).

« L’Angleterre (…) a devancé la France dans la course à la modernité politique, inventant la représentation politique et la nation bien avant 1789. Nous devons désormais mettre en question un autre lieu commun de nos manuels scolaires, qui nous assurent que Bismarck et l’Allemagne ont inventé la sécurité sociale. Non, une fois de plus, c’est en Angleterre que nous pouvons observer le premier État social européen, associé à une culture familiale individualiste plutôt que communautaire ou souche » (page 279).

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À l’heure où beaucoup de retraités ou de personnes isolées manifestent en France leurs difficultés en Gilets jaunes, n’est-ce pas instructif ?

21/01/2019

Nouvelles du front (linguistique) VIII

Dans sa rubrique Mag / décodage, madame FIGARO, encore elle, peut-être en février 2017, nous informe d’un fait capital : la capuche est à la mode ! Et de présenter nombre de petites vignettes où de charmantes jeunes femmes montrent qu’elles savent la porter (la capuche).

Mais alors quel déluge de franglais prétentieux, snob, ridicule et incompréhensible !

Pour commencer, l’accroche : « Au baromètre du cool, le hoodie remonte en tête. La mode plébiscite ce champion du streetwear revisité version luxe ». Notons la syntaxe : « revisité version luxe »…

La question « doit-on dire oui à cette mode ? » permet à l’auteur, Justine Foscari, de nous apprendre que hoodie est un sweat-shirt à capuche (notons que depuis des décennies, les Français prononcent « swit » ou « sweet » mais jamais « sweat »). Expliquer en français un mot anglais par un autre mot anglais, semble bien le comble du snobisme (ou de l’abrutissement).

La réponse, on l’a immédiatement : « car, devenu l’accessoire ultime de mode, il est partout ». Et de décliner : « en version robe XXL (unité de mesure anglo-saxonne s’il en est) ou en top cropped, il rhabille de cool canaille les it girls ». Vous suivez ?

C’est un classique du streetwear (déjà dit) (…) pour échapper aux flashs des paparazzis. Sa réputation va d’un classicisme preppy à je ne sais quoi. Il a accédé au trône fashion. Les designers venus de la rue (en gilets jaunes ?). Inspirés de la culture rave, rap ou métal… L’art de twitter en permanence les codes… Bien plus qu’un gimmick… Je n’en peux plus, j’étouffe, c’est donc le genre d’articles que dévorent les lectrices de madame FIGARO ? 

On apprend que ce vêtement a été créé dans les années 1930 (qui obsèdent M. Macron) aux États-Unis (ouf, on respire, c’est bien américain), pour tenir chaud aux sportifs après l’entraînement (comme on s’en doute ; pendant longtemps, on a appelé ça un survêtement). Dans son rappel historique, madame FIGARO se fait peur en notant qu’il a pris une connotation politique sur les épaules des Anonymous ou des Black Blocs. Mais les créateurs en ont fait un objet d’art, un objet désirable (sic !). « Chanel et Lanvin ont commencé à proposer leurs propres sneakers ». « L’ancienne pièce plutôt masculine s’est féminisée, chicisée, glamourisée ». Fascination pour les marques no gender, plus trendy

Tout l’article est à l’avenant, insupportable.

Tout ça pour espérer vendre encore ? Pour quelques dollars de plus ?