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21/04/2019

"Macron, un mauvais tournant" : critique IV

Le report réitéré des mesures envisagées par M. Macron pour répondre à la crise me donne du temps supplémentaire pour vous donner encore quelques extraits du livre « Macron, un mauvais tournant » des Économistes atterrés (paru en 2018, avant le 17 novembre…).
Dans la partie 3, « Réformes structurelles : liberté, concurrence, finance », on trouve, outre un rappel de faits bien connus comme l’explosion de la rémunération des hauts dirigeants et l’augmentation des inégalités (les fameux 0,01 %, à savoir 3000 ultra-riches en France) quelques considérations intéressantes sur l’actionnariat des entreprises :
• Ces hauts dirigeants, disposant d’informations exclusives sur la santé réelle de leur entreprise, arrivent à berner leurs propres actionnaires (voir les affaires Enron ou Vivendi) ;
• L’évolution depuis les Trente Glorieuses s’est faite à rebours de « L’euthanasie progressive des rentiers » ardemment souhaitée par Keynes ;
• « La firme actionnariale joue contre les salaires. Mais elle joue aussi contre l’investissement. Le gouvernement français, en taxant moins les placements financiers (…), prétend encourager celui-ci (NDLR : l’investissement). Mais c’est oublier que le capital des chefs d’entreprise (…), comme celui des cadres dirigeants investi dans leur entreprise, était déjà exempté d’ISF. C’est oublier aussi que l’essentiel des achats d’actions en Bourse s’effectue sur le marché secondaire (…), ce qui ne rapporte en conséquence aucune ressource aux entreprises » (page 62).

Les auteurs s’intéressent ensuite au secteur public, à sa légitimité, à son périmètre et à son efficacité, à l’heure où l’exécutif, si l’on en croit les éléments qui ont filtré dans les médias, songent à échanger des baisses d’impôts (pour qui ?) contre un nouveau rabotage des services publics (lesquels ? où ?).
« Alors que des dizaines de rapports d’inspiration libérale – dont l’outrancier rapport Attali de 2008 par lequel Emmanuel Macron a fait ses premières armes – se sont succédé pour plaider en faveur de ces privatisations, frontales ou rampantes, on en compte bien peu en faisant un bilan sérieux (NDLR : de ces privatisations) et précis en termes de qualité du service rendu, mais aussi de coûts.
Le Royaume-Uni, sous un gouvernement conservateur qui plus est, a décidé de ne plus recourir à de nouveaux partenariats public-privé (dénommés Private Finance Initiative outre-Manche), dont il était pourtant le champion, cela suite à des rapports accablants sur leurs résultats » (page 73).

À quand un moratoire sur ces montages en France ?

20/04/2019

Victor Hugo, toujours...

L’incendie de Notre-Dame de Paris est une catastrophe patrimoniale, culturelle, historique et écologique. Nous avons tous été saisis d’effroi, lundi 15 avril 2019, vers 20 heures, quand nous avons vu à la télévision ces flammes gigantesques et l’impuissance (provisoire) des pompiers, en plein Paris… Mais de là à y voir un avertissement divin, les prémisses de la fin de notre civilisation ou tout autre divagation, il y a un pas qu’il ne faut pas franchir. Accessoirement on aimerait connaître les causes de cet incendie ; on a peu dit dans les commentaires que, dans la tête les habitants du village-monde qui, soi-disant, avaient les yeux braqués sur nous, il y a peut-être eu cette interrogation vaguement ironique que les Français, pour restaurer leur joyau, mettent un an à bâtir un échafaudage et une nuit pour faire brûler les deux tiers de l’édifice…

Mais trêve de persiflage, il n’y a eu que deux bénéficiaires, évidemment involontaires, de l’événement : les chaînes d’information en continu et le Président de la République, qui en a profité, une fois de plus, pour reporter l’annonce des mesures censées répondre à la crise de la société française mise en lumière par les Gilets jaunes.

Et une seule bonne nouvelle, c’est la référence à notre autre monument national qu’est Victor Hugo. Cette référence a semblé évidente tant aux journalistes qu’aux personnalités politiques qui n’ont pas manqué de « voler au secours de la défaite » ; et c’est bien Mme Anne Hidalgo, maire de Paris, qui a lu un passage de « Notre Dame de Paris », dont la partie centrale, consacrée à l’histoire et à l’architecture de la cathédrale, est effectivement remarquable, indépendamment du roman qui a inspiré film et comédie musicale. On s’est extasié sur l’intuition du poète des Contemplations qui avait vu des flammes gigantesques entre les deux tours-beffrois. Un esprit affûté a fait remarquer par ailleurs que Victor Hugo a aussi écrit « Les misérables »… Retour à l’actualité des GJ !

Comme d’habitude, certains Parisiens ont surtout été badauds, gênant éventuellement les secours, le consternant spectacle étant gratuit. Les ultra-riches ont généreusement proposé des dons importants qui ne leur coûteront qu’un tiers des montants affichés (comme tous les dons donnant lieu à défiscalisation, c’est de l’argent que l’on doit à l’État de toutes façons et dont on peut ainsi « flécher » la destination au lieu de le verser au pot commun, bénéficiant au passage de l’aubaine d’une publicité gratuite et d’une aura de philanthrope). Il est clair que pour soulager d’autres maux bien réels et bien humains, l’argent sort moins facilement de leurs poches.

Comme dit la petite de Da Balaïa, « Je comprends » et elle conclut son anaphore par une bien belle citation de Victor Hugo que je reproduis ici : « Rien n’est solitaire, tout est solidaire. L’homme est solidaire avec la planète, la planète est solidaire avec le soleil, le soleil est solidaire avec l’étoile, l’étoile est solidaire avec la nébuleuse, la nébuleuse, groupe stellaire, est solidaire avec l’infini. Ôtez un terme de cette formule, le polynôme se désorganise, l’équation chancelle, la création n’a plus de sens dans le cosmos et la démocratie n’a plus de sens sur la terre. Donc, solidarité de tout avec tout, et de chacun avec chaque chose. La solidarité des hommes est le corollaire invincible de la solidarité des univers. Le lien démocratique est de même nature que le rayon solaire ».

14/04/2019

"Macron, un mauvais tournant" (Les économistes atterrés) : critique III

Au début de la partie 8 « Des stratégies alternatives », on retrouve – est-ce un hasard – le constat du livre extraordinaire de Naomi Klein « La stratégie du choc » : « Les institutions européennes imposent le triptyque : austérité budgétaire, compétitivité, réformes structurelles » mais ici les Économistes atterrés se contentent d’écrire sobrement que « Ce tournant, en France comme en Europe, s’appuie sur l’affaiblissement idéologique des classes populaires du fait de la désindustrialisation et de leur ethnicisation ». Chez Naomi Klein, le verdict était beaucoup plus anxiogène (si l’on peut dire), à savoir que ces tournants profitent de toutes les crises et de toutes les faiblesses des pays, quelles qu’elles soient, pour s’imposer, par la contrainte (voir le Chili, l’Argentine, l’Irak, plus récemment la Grèce).

Malheureusement, pour ce qui concerne le livre qui nous occupe, on retrouve encore page 222, la forte affirmation « Il nous faut montrer qu’il existe des alternatives »… 221 pages pour cela ! Et le lecteur attend toujours (11 pages pour les « stratégies alternatives » attendues sur 231 pages de constats critiques et d’analyses pertinentes, cela fait peu ; j’en reviens toujours à mon interrogation récente (cf. mon billet du 12 mars 2019) : où sont les économistes hétérodoxes ?).

À la limite, on voit bien quelle pourrait être cette société souhaitable « égalitaire, sobre, socialiste, mixte (privé à côté du public) » (page 223) mais ce qui nous manque, c’est le ou les scénarios de transition ! Le système actuel (néolibéral) s’appuie non seulement sur les fondements du libéralisme des siècles précédents mais sur les travaux de toute une école de pensée (Milton Friedmann et l’école de Chicago), couronnée au fil des ans par des dizaines de Prix Nobel, par des accords et des traités, nationaux et internationaux qui verrouillent le système, par des institutions (FMI, OCDE, BCE…) qui appliquent la même doxa et répandent – parfois de force – la même bonne parole.

Voyons maintenant ce que proposent nos Économistes atterrés…

« L’objectif d’égalité doit être placé au centre des préoccupations de la société » (page 223).

« Le premier objectif doit être de mettre fin à la domination de la finance » (page 224).

Voici donc en vrac les propositions du dernier chapitre :

  • Séparation des banques de dépôt et de crédit
  • Justification par les banques de l’emploi des sommes déposées par leurs clients
  • Création de fonds pour le développement industriel
  • Taxationdes transactions financières
  • Interdiction du tradingà haute fréquence et des ventes à découvert
  • Interdiction de la concurrence fiscale ou réglementaire entre pays européens (incidemment on voit qu’ils ne prévoient pas de sortir de l’UE mais n’excluent pas un bras de fer)
  • Représentation au conseil d’administration des entreprises de toutes les parties constituantes
  • Contrôle, voire nationalisation, des entreprises qui atteignent une certaine taille, qui disposent d’un pouvoir de monopole, qui jouent un rôle crucial dans l’évolution économique et sociale
  • Fin du statut privilégié d’une couche étroite de dirigeants
  • Favoriser la promotion interne plutôt que le parachutage
  • Restaurer la logique du droit du travail
  • Promotion de chaque salarié, avec des possibilités d’évolution et de carrière
  • Limitation du travail intérimaire, des CDD, de la sous-traitance et du faux auto-entreprenariat
  • Amélioration des conditions de travail, allègement des cadences
  • Développement de l’économie sociale et solidaire
  • Appui bancaire aux innovations qui correspondent à de réels besoins sociaux
  • Investissements pour réduire les gaz à effet de serre
  • Construction de logement
  • Programme de rénovation urbaine pour supprimer les ghettos

À noter une phrase prémonitoire, page 227 : « La transition écologique ne peut s’effectuer uniquement par la hausse du prix de l’énergie et des activités polluantes, car les efforts pèseraient lourdement sur les plus pauvres, tandis que les plus riches seraient épargnés ». Il faut être « Marcheur » pour ne pas avoir compris cela, par anticipation. À quoi sert donc la « très grande intelligence » du Premier de cordée ?

Suivent quelques considérations – à très grands traits – sur un pacte écologique et sur un pacte social, tous deux nécessaires (page 228).

« Dans de nombreux domaines, les services publics sont plus efficaces, moins coûteux et favorisent plus la cohésion sociale que les entreprises privées : santé, éducation, transports collectifs » (page 228). Enchanté de cette confirmation mais (1) où sont donc les preuves chiffrées, (2) pourquoi personne ne vient-il dans les médias soutenir la contradiction avec la doxa néolibérale qui vise à éliminer ces mêmes services publics ?

« Ce modèle (social) doit être défendu contre les réformes que veulent imposer les sociétés d’assurance. Le développement des complémentaires santé et des retraites d’entreprise doit être combattu » (page 229).

Sur le chapitre social, le discours est souvent incantatoire, litanie de grandes idées généreuses sans aucune analyse ni de leurs modalités de mise en place éventuelle ni de leur faisabilité ni de leur coût ni de leurs effets secondaires. Exemple : « La France doit se donner des objectifs ambitieux en matière de lutte contre la pauvreté des enfants » (page 229).

Puis on revient à la finance :

  • Impôt s’appliquant à tous les revenus des ménages selon leurs capacités contributives
  • Annulation de la taxation uniforme des revenus du capital
  • Rétablissement de l’ISF
  • Poursuites contre les personnes qui s’installent à l’étranger pour des motifs fiscaux (équivalent du dispositif américain Fatca – a-t-on déjà pensé au jeu de mots fat catsà propos de ce dispositif ?)
  • Arrêt de la baisse des cotisations sociales (tous les revenus salariaux doivent payer des cotisations, tous les revenus du capital doivent payer les prélèvements sociaux)
  • Lutte contre l’optimisation fiscale des grandes entreprises et contre les paradis fiscaux

Sur le chapitre de l’emploi (pages 230 et 231) :

  • Formation des nouveaux embauchés par les entreprises
  • Parcours d’insertion individualisée proposés par Pôle Emploi aux jeunes en difficulté
  • Sécurité professionnelle pour les salariés
  • Emploi « de dernier ressort » dans les collectivités locales ou les associations pour les personnes confrontées à un « refus d’embauche »

Concernant l’union européenne :

  • Hausse des salaires et des prestations sociales, en particulier pour les bas revenus (dans les pays de la zone euro accumulant les excédents) pour réduire par le haut les déséquilibres commerciaux et juguler les pressions déflationnistes (au lieu, comme actuellement, d’exiger des pays de l’Europe du Sud de baisser les salaires et les dépenses publiques)
  • Promouvoir un plan d’investissement européen centré sur la transition écologique
  • Militer pour que l’UE se donne clairement des objectifs de plein emploi (au lieu d’avoir les yeux rivés sur l’inflation et sur le pourcentage de déficit comme actuellement)
  • Promouvoir des normes sociales et environnementales dans tous les traités commerciaux avant de les signer
  • Plus généralement, assumer ses valeurs et son modèle social au lieu de se caler sur le modèle anglo-saxon
  • En cas de blocage de l’Allemagne, proposer à l’Europe du Sud un pacte de reconstruction primant sur les règles néolibérales

Comme on le voit, même si elles ne sont ni justifiées ni chiffrées, les propositions ne manquent pas !

Dès que vous aurez lu ce billet (et les deux précédents), précipitez-vous devant votre téléviseur et écoutez Jupiter : combien de ses réponses à la crise des Gilets jaunes correspondront-elles aux propositions des Économistes atterrés ?