Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

11/06/2018

"La famille Boussardel" (Philippe Hériat)

Le nom « Boussardel » me disait quelque chose (un téléfilm ?) lorsque je suis tombé par hasard sur « Le temps d’aimer » de Philippe Hériat, publié en 1968 et que j’ai lu du 19 février au 24 février 2012. Ce n’était que le tome 4 de la saga familiale. J’ai donc lu le premier tome « Famille Boussardel » (1944) du 17 juin au 7 juillet 2012, puis le deuxième « Les enfants gâtés » (1939) du 8 juillet au 15 juillet 2012 et enfin « Les grilles d’or » (1957) du 16 juillet au 26 juillet 2012. Dans cette production, il est amusant de constater que c’est le T2 qui a reçu le prix Goncourt (comme « À l’ombre des jeunes filles en fleurs » de Marcel Proust, mais qui avait été publié avant le T1, en 1939). C’est aussi une œuvre de longue haleine puisque cinq ans, puis dix, séparent les dates de parution des tomes successifs ; c’est dire qu’il y a de nombreux lecteurs qui n’auront jamais lu l’ensemble…

Voici ce que j’avais noté à l’époque dans mon carnet. 

« Famille Boussardel » : entre Dumas et Balzac, style élégant et rapide. Le livre raconte l’ascension d’une famille bourgeoise dans le Paris du XIXème siècle et d’Haussmann (aujourd’hui j’ajouterais : et mille fois mieux que Zola dans « La fortune des Rougon ») : la Chaussée d’Antin, les Batignoles... Philippe Hériat a écrit 500 pages faciles à lire et prenantes. C’est remarquable : des rebondissements, des secrets de famille, quelques caractères bien détaillés, une conclusion somptueuse, du souffle et du pittoresque. On couvre presque tout le XIXème siècle depuis 1815. 

« Les enfants gâtés » : on change de génération, dans l’entre deux-guerres et on se focalise sur Agnès, la fille rebelle. C’est moins bon car le pittoresque devient invraisemblance. 

« Les grilles d’or » : l’enfant rebelle tente un rapprochement et se fait rouler dans la farine. La description du Paris de l’Occupation est saisissante. C’est le meilleur tome, avec le premier. 

« Le temps d’aimer » : ce n’est pas un grand roman mais c’est un roman plaisant, alerte et prenant. La langue est bien tournée, avec quelques expressions bizarres de temps à autre. L’histoire démarre sur les chapeaux de roue, on est embarqué dès les premières phrases. Originalité : c’est une femme qui raconte ce qui lui arrive. Elle vit seule avec son fils adolescent. Il y a une mère obsédée par son fils préféré ; il y a une succession qui se passe mal, une famille pathologique qui se déchire ; plusieurs thèmes s’entremêlent jusqu’au décès de la mère.

La fin du roman (et de la saga) est grandiose. Au total, c’est pas mal.

Une « suite familiale » à garder donc et à relire.

07/06/2018

"Souvenirs pieux", "Archives du Nord", "Quoi ? l'éternité" (Marguerite Yourcenar) : critiques succinctes

Il y a longtemps – d’octobre à décembre 2012 – que j’ai lu ces trois livres de Marguerite Yourcenar qui forment une sorte de biographie de sa famille. À cette époque, je n’avais pas de blogue et je notais mes « comptes rendus de lecture » dans un petit carnet…

Marguerite Yourcenar 1.jpg

Voici ce que j’avais écrit :

« Souvenirs pieux » (27 octobre – 6 novembre 2012) : quel style pour décrire des personnages et dérouler une histoire, peindre une situation, décrire une société ! Travail d’historien incroyable car elle fait revivre une époque et une famille, à partir d’archives, de photos et de lettres. Elle a des expressions curieuses… L’intérêt baisse au milieu avec l’histoire des deux frères et du suicide. Au total, impressionnant ! 

« Archives du Nord » (25 novembre – 14 décembre 2012) : la magie continue et même s’amplifie. C’est trépidant, avec des allers et retours… On s’y perd à force, dans toutes les branches des deux familles. Quel style ! Indéniablement influencé par Proust quant à l’esprit, la façon de penser mais bien plus sobre et direct ; presque journalistique parfois, souvent passionnant. Beaucoup de réflexions philosophiques. Et sa famille ! Surtout son père Michel ! Quelles vies incroyables ! (et vous voudriez que nous, on soit écrivain ?). Un régal, d’autant qu’elle a le génie des fins de chapitre. Au fait, pourquoi « Yourcenar » ? 

« Quoi ? l’éternité » (14 décembre 2012 – 5 janvier 2013) : un AVC l’a empêchée de terminer ce troisième tome de ses mémoires, « Le labyrinthe du monde », à cinquante pages près… C’est touffu, alerte, plein de rebondissements, souvent captivant (la vie de son père Michel, de Jeanne et d’Egon). Elle parle très peu d’elle-même. C’est parfois obscur, souvent elliptique, cultivé, en vrac (on s’y perd), avec des tournures bizarres (même la syntaxe).

Marguerite Yourcenar 2 en Grèce en 1931.jpg

(en 1931, elle est en Grèce pour traduire les poèmes de Constantin Cavafy)

PS. Née en Belgique, elle s’appelait en fait « Cleenewerck de Crayencour » et « Yourcenar » serait un anagramme de « Crayencour », au C près…

Soutenue par Jean d’Ormesson, elle est la première femme à entrer à l’Académie française, en 1980.

04/06/2018

"L'encre dans le sang" (Michelle Maurois) : critique II

Est-il bien raisonnable de brûler ses vaisseaux dès la critique II et de résumer en quelques mots ce que l’on pense des 400 pages du livre de Michelle Maurois, « L’encre dans le sang », à peine refermé ?

Sans doute pas… mais voici quand même les qualificatifs qui me viennent à l’esprit :

  • plutôt mal écrit (en tous cas avec un style banal et des formules souvent bancales ou absconses) ;
  • bizarrement construit (les deux tiers du livre sautent en permanence d’un personnage à l’autre, avec des remontées dans le temps que l’on ne maîtrise guère qu’à la fin, le dernier tiers est consacré à l’attente impatiente des deux adolescents Jeanne et Gaston de pouvoir se marier, couvés qu’ils sont par une future belle-mère à la fois entichée de son gendre et obnubilée par sa fille, sa beauté, ses humeurs, ses désirs, le tout au-delà du raisonnable ; cette focalisation vient sans doute du fait que c’est un épisode qui a bénéficié du plus grand nombre de documents dans les archives familiales et aussi dont l’auteur a pu parler avec sa propre belle-mère, fille des fiancés en question. On a donc droit à une profusion de détails non seulement sur leurs états d’âme et les « nerfs » de la fiancée mais aussi sur la cérémonie, la réception et le voyage de noces) ;
  • le livre est cependant un témoignage passionnant sur une époque révolue, aux personnages hauts en couleur, dont certains furent et restent célèbres (Anatole France, Marcel Proust…), et un témoignage réalisé à partir d’un travail sans doute colossal de dépouillement d’archives et de « remplissage des blancs » quand celles-ci venaient à manquer.

Petite parenthèse : je m’aperçois seulement maintenant que la fille d’André Maurois était prénommée Michelle, à l’anglo-saxonne, et non pas Michèle ainsi que je l’avais orthographié initialement. Ce n’est pas étonnant de la part des traducteurs anglophones qu’étaient le père et la fille. J’en profite pour indiquer que Michelle Maurois (1914-1994) a reçu le prix de l’Académie française pour « L’encre dans le sang ». Mais, à ce jour, elle n’a pas eu les honneurs de Wikipedia…

Tout de suite m’a frappé la ressemblance avec les livres de souvenirs de Marguerite Yourcenar, « Souvenirs pieux » (1974), « Archives du Nord » (1977) et « Quoi ? L’éternité » (1988). C’est le même travail de généalogiste et d’archiviste qui reconstitue une ambiance, des mœurs, des drames et des passions (voir mon billet suivant). Il est tout à son honneur (mais ce n’est pas vraiment sa famille…) de viser l’exactitude, de rectifier les erreurs et les pieux mensonges et de proposer commentaires objectifs et interprétations. On lit ainsi, à propos des déclarations de sa belle-grand-mère Jeanne : « Certains des documents fort intéressants qu’elle a réunis et publiés sont entachés par l’affabulation ou rendus mensongers par les silences. Il eût été malséant de donner une idée fâcheuse de la famille. La postérité ne devait pas soupçonner par exemple qu’un grand-père avait fait faillite ou que le talent de Proust n’avait pas été pressenti. Or la plus petite entorse à la vérité rend le tout suspect » (page 18). Cette tâche est ardue : « Car chaque génération jouait la comédie à la suivante, taisait des secrets et échafaudait des mythes et des légendes, tant il est vrai que presque tout ce que j’ai appris pendant des années était faux » (page 18).

Mais j’ai pensé aussi, à cause de l’époque, du quartier (la Plaine Monceau) et de l’ambiance justement, aux premiers tomes de « La famille Boussardel » de Philippe Hériat (voir mon billet suivant).