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03/07/2015

Cécile, ma sœur (XIV) : mots et violence

Rousseau 1712-1778.jpgDe J.-J. Rousseau (1712-1778), d'après Cécile Ladjali, cette curieuse analyse de l'évolution des langues "… la perte de l'harmonie, l'abandon du chant qui irradiaient les langues expliquent leur décadence… Ayant connu des périodes de trop grand raffinement, elle s'est épuisée à force de sophistication, avant d'appeler à elle les chants barbares. ce fut alors la cacophonie…".

Puis elle ajoute :

"Si, historiquement, la décadence des civilisations a toujours annoncé les invasions barbares…, le schisme perceptible entre ceux qui ont les mots et ceux qui en sont dépourvus conduit souvent à la violence et appelle l'affrontement. Celui qui ne maîtrise pas le langage, complexé et vindicatif face à une société qui ne lui a pas donné toutes ses chances, va tenter, bon gré mal gré, de se forger une identité respectable à travers l'utilisation d'un contre-langage. L'individu qui agit ainsi brandira la violence, le non-sens et le galimatias tel un étendard.

La guerre des mondes aujourd'hui est sans doute une guerre des mots".

"… Le scandale est d'autant plus criant que la langue comme la beauté sont à tout le monde et que les rêves sont sans prix… Le clivage entre les individus finira par ne plus être qu'économique. Il se définira par rapport à ceux qui ont les mots et ceux qui ne les ont pas, ceux qui maîtrisent le langage et ceux qui ne le possèdent pas ou pas assez bien.

La mission de l'École de la République est de rêver à une culture élitiste et humaniste pour tous et de rendre ce rêve accessible. Elle a en partie échoué. Mais elle se bat".

"Mauvaise langue" (2007), pages 90 et 91.

"Si les élèves ont peur des mots et jouent à mépriser les textes, c'est parce qu'ils ne s'aiment pas. L'estime de soi viendra de la capacité que l'on aura à se découvrir entre les lignes d'un classique, et elle s'accomplira à travers les pages que l'on rédigera demain pour dire qui l'on est et ce que l'on entend devenir. Néanmoins cette vision de soi et du monde n'adviendra qu'à la condition d'avoir hérité de valeurs et de repères passés. Ainsi, loin de se nier, les époques s'appellent. Elles n'ont pas d'existences autonomes les unes par rapport aux autres, mais c'est la peur, le silence, l'absence de lien linguistique entre elles qui les séparent".

"Mauvaise langue" (2007), page 122.

27/06/2015

Patagonie, mon amour

Jean Raspail s'était fait connaître, dans les années 70, par un roman, "Le camp des Saints", au thème complètement stupide et irréaliste : des émigrants débarquaient en nombre sur la Côte d'Azur et envahissaient la France...

À l'époque, j'étais plutôt "Pouvoir des fleurs" au sens de "Jeunes filles en fleur", j'écoutais mes premiers 33 tours (Chicago, Pink Floyd et José Féliciano) et je découvrais l'École des Nobel… autant dire que les intuitions d'un écrivain classé franchement à droite me passaient largement au-dessus de la tête.

Beaucoup plus tard, j'ai découvert son roman "Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie" (1981), Grand Prix du roman de l'Académie française, dans lequel il raconte la vie, réelle, d'un avoué de Périgueux qui s'était proclamé "roi de Patagonie et d'Araucanie" en 1860.

Déjà, en 1976, dans "Le jeu du roi", l'écrivain avait imaginé qu'un prétendu descendant du roi de Patagonie reconstituait un royaume dans un fort de la côte normande… C'est dire que cette histoire lui tenait à cœur.

Bien avant, donc, qu'un chanteur populaire qui se prend pour un chanteur lyrique, ne s'y réfugie pour échapper au fisc français...

Patagonie.jpgCe roman est merveilleux mais ce qui l'est bien plus encore, c'est que Jean Raspail a créé dans sa maison de Provence, le Consulat général de Patagonie, et que des lettres y affluèrent, demandant la nationalité patagonne ! La réalité avait rattrapé la fiction, qui elle-même paraphrasait la réalité.

Il paraît qu'aujourd'hui 5000 Français revendiquent cette nationalité, à la suite de Verlaine, Charles Cros,  Camille Flammarion et Zola ! Notre connaissance, Dominique Bona, est sur la liste, de même que Michel Déon.

Les impétrants se reconnaissent dans les quatre mots suivants : tendresse, ironie, fierté et mélancolie, et dans le drapeau bleu, blanc, vert.

La farce sympathique, burlesque et épique continue : en 1998, un commando s'est emparé d'un rocher anglais du type Malouines et en 2012 un hangar à dirigeables a été assailli par la SPASM (Société patagonne d'assistance et de sauvetage en mer).

Tout cela est raconté par un article d'Éric de Montety dans le Figaro du 10 avril 2015.

Quant à Jean Raspail, disparu récemment, il a écrit d'autres romans de la même veine, consacrés à d'improbables dynasties teutonnes, à mi-chemin entre le Maurice Leblanc de 813 et la grande histoire.

21/06/2015

Y a-t-il plus grave que l'invasion du franglais ?

Sans doute !

D'abord, comme on l'a déjà dit ici, il y a les souffrances, les difficultés de tous ordres, les accidents… Bien sûr. Il y a aussi les évolutions de la société, jugées positives ou non, la micro- et la macro-économie, la bioéthique, naturellement...

Sur le sujet de la langue proprement dit, on peut invoquer le relativisme pour minimiser sa dégradation actuelle. Ainsi mon lecteur FPY m'a-t-il signalé un article du Figaro du 13 avril 1917, reproduit le 18 juillet 2014, intitulé "Le français tel qu'on le parle" et expliquant comment les soldats britanniques communiquaient avec leurs "hôtes" dans la campagne picarde à l'aide d'une sorte de franglais à l'envers, un englench. Par exemple, compree était un mot utilisé par tous pour dire "compris", d'où souvent me no compree ! Il y avait aussi Quand guerre finish, etc. "Il n'y en a plus" était devenu napoo...

Quel rapport avec notre franglais ? quasiment aucun… Les Français ne sont en guerre avec personne sur leur propre territoire (du moins, je ne crois pas…) et de toutes façons, quand ils parlent franglais, c'est avec d'autres Français !

Non, ce que je trouve grave dans le franglais, c'est surtout que cela participe, au-delà du snobisme bébête, d'un renoncement, d'une fascination pour un modèle autre, fascination qui est allée jusqu'à livrer l'Europe de Bruxelles à l'ultra-libéralisme anglo-américain.

Mais sur le même sujet, il y a effectivement peut-être plus grave que l'invasion du franglais (j'ai dit : peut-être) ; c'est la perversion du langage, qu'il soit en bon français ou en jargon.

Alternatives économiques a rendu compte d'un livre récent de François Dupuy, intitulé "La faillite de la pensée managériale" (Le Seuil, 2015) et qui est le tome II de son "Lost in management". Je passe sur la thèse principale ("Sous la pression des objectifs financiers, les dirigeants ne peuvent ou ne veulent plus réfléchir"), pour aller directement aux thèmes qui nous intéressent ici.

Par exemple : "Affirmer que la stratégie de l'entreprise est de devenir numéro 1 du marché, n'est pas une stratégie mais un objectif à atteindre". J'avais déjà pointé la confusion fréquente entre "enjeux" et "objectifs" ; en voilà donc une autre.

"En face (NDLR : des dirigeants, de leurs croyances et de leurs "lubies" ), les salariés ont appris à décoder la vacuité du langage managérial. Trouver des synergies est immédiatement interprété comme des licenciements à venir. Ils savent aussi mesurer l'écart qui sépare les valeurs affichées (loyauté, respect, innovation, travail en équipe…) de la réalité de l'entreprise."

F. Dupuy dénonce une irresponsabilité du discours managérial, capable d'affecter gravement les salariés. La charge est tout aussi sévère contre les business schools. Quant aux cabinets de conseil, impossible de compter sur eux. Apporter une pensée complexe ne fait pas partie de leur business model.

Processus.jpg

L'auteur plaide pour un retour à la confiance dans les salariés, alors que contrôles, reportings et indicateurs à respecter ont envahi les entreprises.

Vaste programme.