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20/05/2015

Brazzaville-Los Angeles via Paris

Alain Mabanckou prix Renaudot 2006.jpgAlain Mabanckou, originaire du Congo-Brazzaville, est professeur de littérature française à l'Université de Californie à Los Angeles. Il a obtenu le prix Renaudot en 2006 pour ses "Mémoires de porc-épic".

Dans le Marianne du 17 avril 2015, il était invité à donner son point de vue sur le thème "Et si on aimait la France", thème choisi par l'hebdomadaire à l'occasion de la sortie du livre posthume du regretté Bernard Maris.

 

Et voici ce qu'écrit Alain Mabanckou sous le titre "L'illusion du prétendu déclin", qui frôle le pléonasme, soit dit en passant :

"Dans mon pays natal, c'est par le biais de la langue française que je me suis ouvert au monde...

J'ai donc embrassé la culture française, non pas avec mon arrivée en France à l'âge de 20 ans mais depuis ma terre natale où la langue française - qui est évidemment le moyen de locomotion de la culture française - est une langue qui se mêle aux congolaises au point que, dans notre esprit, elle a toujours été une langue africaine comme une autre...

Rien pour les Français n'est, par principe, exclu de la discussion et surtout de la contradiction? C'est ce côté parfois théorique et discursif qui m'enchante. C'est cette inclination pour la nuance et la contradiction qui m'émerveille.

Et puis, il y a surtout ce "génie français" qui se fonde sur des choses immatérielles, les idées, le néant, alors que ma culture d'origine privilégie le concret, l'image dans sa crudité et qui refuse de se couvrir du voile trop encombrant des "effets de langue".

Il n'y a pas - ou il y a peu - de synonymes dans la langue bembé, celle de ma mère. Parce que nous n'en avons pas besoin devant la profusion d'images que nous pouvons déployer afin de dire le monde...

C'est donc, au fond, la langue qui explique mon amour pour la France, parce qu'elle porte en elle ce que j'idéalise : la liberté de la pensée, le droit à la contradiction et la possibilité qu'elle a d'être compatible avec mon identité congolaise."

Alain Mabanckou.jpg

 

Avec de tels avocats, on est sûr qu'à la fin "c'est la France qui gagne".

Il n'y a rien à ajouter !

 

 

08/05/2015

Retour en Kabylie

Kabylie.jpgJ'adore la synchronicité, les associations d'idées, les raccourcis, et les boucles. Alors quand j'attaque "Passion en Kabylie" (Gallimard, 2014), ce petit livre de Gilles Kepel associé à "Passion arabe" et à "Passion française", et que je découvre que c'est le récit de son pèlerinage dans le Djurdjura sur les traces de Mohammed Arkoun, qui a été son professeur à Paris, je suis aux anges. Et effectivement, à regarder de plus près la couverture, on voit que Gilles Kepel tient dans ses mains la biographie écrite par la fille du philosophe algérien "Les vies de Mohammed Arkoun" dont j'ai rendu compte dans ce blogue.

Gilles Kepel a un indéniable talent de conteur : il passe d'un thème à l'autre avec fluidité, c'est presque comme une phrase unique qui se déroule pendant 23 pages.

Il chemine, sous escorte quand même, vers le village natal d'Arkoun, Taourirt Mimoun, où son guide sera le propre frère cadet de l'érudit.

Comme dans Passion arabe, Gilles Kepel accorde beaucoup d'importance aux langues. Nous aussi. Voyons donc ce qu'il écrit : "Contrairement au reste du pays, où les panneaux indicateurs sont tous bilingues français-arabe, je ne vois plus rien d'écrit dans cette langue-ci depuis le dernier barrage et le renforcement massif de notre escorte, comme si nous avions passé une sorte de frontière. Parfois l'arabe a été barbouillé de noir, comme le FLNC s'y amuse pour les toponymes français sur la signalétique routière de l'île de Beauté. Ici, un panneau a été repeint à neuf en blanc, puis rédigé à nouveau en lettres noires : à la place de l'arabe, les noms de lieux sont transcrits en caractères latins qui reproduisent la prononciation kabyle standardisée : Tizi Wezzu / Tizi Ouzou".

Gilles Kepel remarque que la tribu des Beni Yenni avait la réputation de réaliser les plus belles parures de l'Algérie, en corail enchâssé d'argent. Or, à proximité, il n'y a ni corail ni mines d'argent ! C'est un peu l'automne à Pékin, mais à l'envers. Et c'est amusant car Sylvie fait profession de la création de bijoux. Bon sang ne sautait mentir, à quelques générations de distance...

tenues-kabyles-traditionnelles-kabyle-img.jpgLa suite est pittoresque, à la Giono (mais dans un style littéraire bien différent) : l'enterrement selon le rite musulman, la maison de Mohammed, son bureau, l'épisode des figues, l'intrusion de la touriste japonaise, jeune et jolie semble-t-il, qui cache son passeport dans un endroit imprévisible et qui voyage seule en autocar dans une zone dangereuse...

Un couple le reconnaît car il passe souvent à la télé (française) et ici, la télé a remplacé les livres, qui n'arrivent plus en Algérie.

Dans le village, il y a ceux d'en-haut et ceux d'en-bas ; c'est quasiment proustien...

 

Et on comprend à la fin qu'il est passé tout à côté d'un repaire d'islamistes qui a fait allégeance d'abord à Al-Qaïda, puis récemment à Daesh et que c'est là, une semaine plus tard qu'a été capturé et assassiné Hervé Gourdel, le 24 septembre 2014. L'horreur rejoint la nostalgie et la beauté des paysages, la "passion" devient celle du supplicié… 

 

Kabylie carte postale.jpg

Sur l'Algérie d'aujourd'hui et ses contrastes - la baie sublime d'Alger et la misère urbaine par exemple -, il faut voir le film de Merzak Allouache "Les terrasses".

11/04/2015

Un monde commun et le Roi Soleil

"Constituer un monde commun, c'est aussi installer autour des individus les mêmes références. Le lien étroit, toujours réaffirmé, entre l'étude du français et la lecture des grands textes ajoute à la maîtrise commune de la langue, la référence commune à une histoire, à une manière collectivement délivrée par les poètes, les romanciers, les moralistes, les dramaturges, de penser l'homme ou de s'interroger sur cette bizarre créature.

Un des usages typiques de la culture littéraire traditionnelle est celui de la citation, dont le symbole fut longtemps constitué par les célèbres pages roses du Petit Larousse.

… La citation, la référence forment une langue dans la langue, elles instaurent la complicité du clin d'œil.

… Mots communs, lectures communes, histoire commune… pas de monde commun non plus sans les mythes et les personnages qui l'incarnent, d'Ulysse à Dom Juan, de Panurge à Rastignac, et dont les noms sont devenus des notions".

Louis XIV.jpgCes mots de François Taillandier dans son essai "La langue française au défi" (Flammarion, 2009, dans la collection Café Voltaire), j'y ai pensé quand une étudiante m'a demandé, poliment et presque rougissante, si je pouvais expliquer qui était le Roi Soleil, que j'avais cité dans un visuel à propos de Vauban, pionnier de l'estimation des projets de génie militaire. Est-ce que ce n'est pas Napoléon ? a dit un autre...