06/02/2017
Irritations linguistiques XLII : Jeux olympiques, Tournoi des six nations de rugby et Championnat de France de football
Les hasards du calendrier ont fait que, ces jours-ci, trois grandes compétitions sportives ont réussi à m’irriter ensemble, pour la même raison : une attirance irraisonnée, veule et autosatisfaite pour l’anglais.
Le résultat ? du franglais toujours et encore.
Premiers de la classe : le Comité de candidature de Paris aux JO de 2024, qui vient de choisir l’accroche de cette candidature. Après avoir rappelé que le mouvement olympique international, fondé par le Français Pierre de Coubertin, a deux langues officielles : le français et l’anglais, ce comité a officialisé la phrase qui est censée rallier la majorité des suffrages et attirer le moment venu les touristes du monde entier :
« Made for Sharing »
Comble de la honte, le co-président de Paris-2024, Tony Estanguet, indique que ce slogan en anglais a été choisi afin de « donner un caractère universel au projet français ». Ainsi donc ce que font ou proposent les Français n’aurait un caractère universel que si c’est exprimé en anglais ? Voltaire, Hugo, Anatole France, Paul Valéry et tant d’autres doivent se retourner dans leur tombe…
Le journal La Croix qui rapporte cette brillante initiative dans son article du 3 février parle de la candidature de Paris « aux jeux Olympiques 2024 », avec une majuscule à « olympique », comme font les anglophones… On est cerné ! Il y a deux ans, un article des Échos sur le même sujet écrivait que l’expo universelle de 2025 à Paris était bien « JO compatible »…
Les pauvres, ils ne savent pas ce qu’ils font…
Pas la moindre nouveauté, pas le moindre gadget, pas la moindre mode aujourd’hui qui ne reçoive pompeusement un nom de baptême « à l’anglaise ». Ainsi, au moment où commence le Tournoi des six nations de rugby nous bassine-t-on avec le « crunch ».
J’ai parlé de veulerie en introduction de ce billet, j’avais déjà parlé de soumission antérieurement. Oui, c’est bien ce qui caractérise la Commission européenne, qui s’est cru obligée de déclarer que, malgré le Brexit, l’anglais resterait bien l’une des langues officielles de l’Union… Comprenez : LA langue officielle de l’Union européenne (dans laquelle il n’y a plus que l’Irlande pour l’avoir comme langue maternelle).
Je reviens au sport : rappelez-vous Dominique Rocheteau ; on l’appelait « l’ange vert » dans les années 70-80. Eh bien maintenant pour évoquer une rencontre régionale entre Saint Étienne et Lyon, les journalistes parlent de « green angels » (ou plutôt de « Green Angels » pour écrire comme les tabloïds) !
Besoin d’un peu de réconfort ? Écoutez donc ce que dit Fabrice Lucchini de la littérature et de notre langue dans son entretien avec le Figaro (vidéo visible dans le site lefigaro.fr) !
Ou alors, en écho à l’exigence d’universalisme globish de Thierry Estanguet (qui après tout n’est qu’un champion olympique d’aviron, pas un agrégé de lettres modernes…), lisez l’éditorial de Jacques Julliard dans le Marianne du 6 janvier 2017 : « (…) (Le peuple) ne veut pas non plus d’une école qui a cessé de faire de la littérature française un patrimoine sacré, constitutif de son identité, et de la langue française notre bien commun, notre trésor à tous, la base du contrat national, celui d’une France ouverte à tous ses enfants, de toute histoire, de toute couleur, de toute origine. (…) (Ce que) nous avons appris chez Michelet et chez Péguy, chez Victor Hugo et chez Jaurès : que la France est le nom que nous voulons continuer de donner à notre universalisme ».
Et ce qui est drôle – et même épatant – c’est que la phrase ci-dessus sur l’école est justement celle, à peu de choses près, qu’écrivait Péguy en 1910 et que lit Lucchini dans l’entretien que je citais plus haut. D’une part les grands esprits se rencontrent mais d’autre part le mal est profond (et ancien).
PS. Suite à l’annonce du slogan des JO en anglais, les internautes se sont déchaînés, du moins sur le site de RTL que j’ai consulté.
Extraits :
« L'article 24 stipule que les langues officielles du Comité International Olympique sont le français et l'anglais (énoncées dans cet ordre). Qui plus est, en cas de divergence entre le texte français et le texte anglais de la Charte olympique et de tout autre document du CIO, le texte français fera foi. Une personnalité du monde francophone est chargée d'observer la place du français ».
« Scandale ! Slogan anglais, discours anglais, décompte anglais... Les organisateurs ont-ils si honte d'être français. Un bon signe pour ceux qui veulent changer le français en anglais comme langue officielle des JO !
Pauvre France déjà envahie par cette langue: My TF1, burn-out, open space, etc. »
« Nos élites sont toujours prêtes à s'aplatir devant la langue anglaise qui, il est vrai, domine le monde. Mais c'est dans l'authenticité et le respect de soi-même que l'on doit s'affirmer. Donc un slogan en français, facile à comprendre, ne nous aurait pas défavorisés ! Hélas, trop de gens n'attachent pas d'importance à ça ! Dommage ».
Des Français comme ça, moi, je les aime !
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Franglais et incorrections diverses | Lien permanent | Commentaires (0)
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