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31/03/2018

"Génération J'ai le droit" (Barbara Lefebvre) : critique I

« L’enseignant, l’élu politique, le policier, le juge, le médecin de l’hôpital public, tous (…) n’ont plus le droit d’obliger le citoyen à quoi que ce soit (…) La dénonciation du pouvoir des dominants sur les dominés perdure et se décline désormais sur des modes racialistes, sexistes. Ces dominés autoproclamés poussent si loin la revendication de leurs droits particuliers, s’enferrent dans tant de contradictions qu’ils produisent un racisme et un sexisme bientôt plus radicaux que ceux qu’ils prétendent combattre.

Ceux qui nous jettent à la figure « leurs droits » pour se dérober à leurs devoirs refusent l’homogénéisation portée par l’égalité dans une république laïque. Ils refusent l’universalisme de la liberté démocratique occidentale. L’impératif égalitaire de la démocratie moderne occidentale qui a voulu abolir tous liens hiérarchiques aura finalement conduit à l’expression de revendications les plus profondément inégalitaires et liberticides, parce que portées par des individus qui ne regardent plus leurs concitoyens comme des égaux en droit, qui ne se sentent pas une commune appartenance avec eux » (page 12).

Dès l’introduction le ton est donné : rageur, virulent, cinglant, sans illusion ! Et, à vrai dire, également, le style : c’est écrit un peu « comme ça vient », sans effort particulier pour « parler bien ».

J’ai découvert Barbara Lefebvre dans le livre-coup-de-massue qu’a été « Les territoires perdus de la république ». Se reporter à mes billets du blogue début 2017 :

http://lebienecrire.hautetfort.com/archive/2017/04/26/pet... 

http://lebienecrire.hautetfort.com/archive/2017/04/27/pet... 

http://lebienecrire.hautetfort.com/archive/2017/05/05/pet...

J’avais écrit à l’issue de ma lecture : « Parmi les nombreux témoignages, j’ai distingué ceux de (…), de Barbara Lefebvre Des barbarismes à la barbarie paru dans Le Monde le 7 mars 2006. L’article est court et sans fioritures. Il va droit au but et le coup est rude pour nous autres qui avons connu des établissements scolaires calmes où il faisait bon vivre. Je le rappelé, cette enseignante écrit en 2002… ». Il y avait aussi le texte Sur un climat de démission : « Soit on décide d’y réaffirmer les principes et les valeurs fondatrices d’une République qui (…). Soit on décide de céder à la facilité consistant à déléguer une part conséquente de la souveraineté nationale à des groupes politico-religieux divers (…) ». Dès 2002, elle envisage la pire de ces deux options et écrit « alors nous n’aurons décidément rien appris de Munich… » (page 211). Et donc, qu’avons-nous fait depuis 15 ans ?

J’avais découvert son visage et sa « force de frappe » dans l’émission politique de France 2, face à M. François Fillon, à l’époque candidat à la Présidence de la République (française). 

Madame Barbara Lefebvre est professeur d’histoire depuis 20 ans.

Début 2018 elle publie donc « Génération J’ai le droit » (Albin Michel), expression d’un ras-le-bol et d’une lassitude devant le déni et l’absence de réaction d’une société en péril. 

Livre–témoignage, documenté, qui repose sur une longue expérience d’enseignante et qu’on lit avec intérêt mais livre un peu fourre-tout qui s’éloigne assez vite du thème évoqué par son titre (j’ai pensé qu’elle allait nous parler sociologie ou pédagogie ou culture mais en fait, non) et livre assez mal écrit et parfois bavard (La perfection, ce n’est pas quand il n’y a plus rien à ajouter mais quand il n’y a plus rien à retrancher – Saint-Exupéry –).

05/03/2018

"Mais qui sont les assassins de l'école ?" (Carole Barjon) : critique I

Grâce au livre « Mais qui sont les assassins de l’école ? » de Carole Barjon, journaliste au Nouvel Observateur et mère de famille, on sait maintenant qui c’est : les pédagogistes, les didacticiens, les hommes politiques – y compris tous les Présidents de la République depuis Georges Pompidou – et, indirectement, les syndicats d’enseignants et les enseignants eux-mêmes qui, démobilisés, dépassés, étouffés par le mammouth, n’ont protesté que bien faiblement depuis quarante ans. Cela fait beaucoup de monde, et parmi ceux-là, face à la catastrophe éducative objectivée maintenant par les enquêtes internationales (le fameux PISA de l’OCDE), bien peu reconnaissent leurs erreurs et leur part (énorme) de responsabilité.

Le livre est paru chez Robert Laffont en 2016, un an avant l’élection présidentielle qui verra triompher Emmanuel Macron ; l’avant-dernier chapitre en appelle à une prise de conscience générale et un sursaut, et propose quelques mesures fortes à prendre d’urgence. M. Jean-Michel Blanquer semble être sur cette longueur d’onde ; s’il va jusqu’au bout et arrive à embarquer le corps enseignant – ce qui n’est pas gagné vu les tentatives de certains de ses prédécesseurs comme Jean-Pierre Chevènement et Xavier Darcos –, on reviendra de très loin et on pourra peut-être remettre l’Éducation nationale sur de bons rails.

Mais revenons en 2016 : François Hollande est Président de la République depuis deux ans ; il considère qu’il en a assez fait en affichant l’objectif de 60000 nouveaux postes et en décrétant « l’école primaire, enjeu majeur du quinquennat ». Il en est à son troisième Ministre de l’Éducation nationale, la fameuse Mme Belkacem, empêtrée dans la théorie du genre, obsédée par le souci d’éviter l’ennui aux élèves (sic !) et toujours concentrée sur le collège, exactement comme tous ses prédécesseurs. Autour d’elle, toujours les mêmes conseillers, qui ont noyauté la commission des programmes, la formation des maîtres et les directions du ministère depuis des dizaines d’années.

Carole Barjon est cette jeune femme blonde pétulante que l’on voit souvent sur BFM-TV dans les débats sur l’actualité. Son engagement dans cette question éducative a pour seule origine sa position de parent d’élèves, qui lui a fait toucher du doigt l’abandon de l’orthographe et de la grammaire par l’Éducation nationale, ainsi que diverses aberrations.

Son livre n’est aucunement théorique, idéologique, ni polémique ; c’est un reportage de journaliste, factuel, sans effet de manches ni dramatisation excessive. Elle a sans doute lu, au moins en partie, les réquisitoires qu’elle cite abondamment : « Les héritiers, les étudiants et la culture » de Pierre Bourdieu (1964), « La sagesse du professeur de français » de Cécile Revéret (2009) que j’avais lu à l’époque, « Réveille-toi, Jules Ferry, ils sont devenus fous » de Emmanuel Davidenkoff (2006) « Et vos enfants ne sauront pas lire… ni compter » de Marc Le Bris (2004), « L’école ou la guerre civile » de Philippe Meirieu et Marc Guiraud (1997), « Réapprendre à lire » de Sandrine Garcia et Anne-Claudine Oller (2015), « Le pacte immoral » de Sophie Coignard (2011), « Contre-expertise d’une trahison » de Agnès Joste (2002), « Les déshérités ou l’urgence de transmettre » de François-Xavier Bellamy (2014), « La fabrique du crétin » de Jean-Paul Brighelli (2005), « La barbarie douce » de Jean-Pierre Le Goff (1999), « L’école est finie » de Jacques Julliard (2015) et aussi Jean-Claude Michéa, Marcel Gauchet, Éric Orsenna, Alain Bentolila et d’autres encore ; comme quoi ce ne sont pas les lanceurs d’alerte qui ont manqué ! Carole Barjon consacre son chapitre « Tous réacs » à ces gens qui ont tiré la sonnette d’alarme.

Mais elle a surtout interrogé un nombre impressionnant de personnalités : anciens ministres, anciens présidents de commission, philosophes, sociologues, journalistes, essayistes (dont l’excellente Natacha Polony mais non pas la non moins remarquable Cécile Ladjali), chercheurs et universitaires (dont Stanislas Dehaene, spécialiste des sciences cognitives et professeur au Collège de France), etc. C’est une vaste enquête dont elle prend soin de rendre compte avec modération, sans dénier à la plupart de ses interlocuteurs le souci originel de bien faire et la bonne foi.

À suivre !

13/02/2018

"Conversations entre adultes" (Yanis Varoufakis) : critique III

Dans cette troisième critique du livre de Yanis Varoufakis, « Conversations entre adultes », je veux parler des personnages de la pièce qui s’est jouée en 2015 autour du destin de la Grèce.

Les personnages, aussi étonnant que cela puisse paraître, sont tous des néolibéraux affirmés et implacables, qui agissent à la Commission européenne, à la BCE de Frankfurt et au FMI de Washington. Impossible d’échapper à leur cynisme décomplexé ! Tous affirmés et implacables ? Peut-être pas…

C’est vrai de W. Schaüble, le ministre allemand des Finances (qui vient de perdre sa place suite aux élections perdues par A. Merkel), de M. Draghi, de C. Lagarde, de Dijsselbloem, le Néerlandais ; c’est vrai de la nuée de conseillers qui les entourent et préparent note sur note et étude sur étude pour ne démontrer qu’une seule chose : TINA.

C’est sans doute moins vrai des Français M. Sapin, P. Moscovici et E. Macron ; mais les deux premiers nommés sont dépeints comme des ectoplasmes à double langage, régulièrement ridiculisés et réduits au silence par leurs collègues européens ; le troisième jouit d’un traitement de faveur dans le livre car, apparemment, il a essayé sincèrement d’aider la Grèce et Varoufakis lui-même mais on a vu que, depuis, Varoufakis a critiqué ses premières orientations et dénoncé son impuissance face à l’Allemagne d’A. Merkel.

Le pire, c’est que le ver était dans le fruit car de nombreux collègues-ministres et collaborateurs de Varoufakis étaient en fait acquis au même libéralisme sans frontières, voire étaient des taupes de l’establishment bruxellois à Athènes même. 

Face à cette falaise de néolibéralisme sans concession, Varoufakis avait réuni une équipe-commando en peu de temps et rameuté tout ce qu’il connaissait de personnalités prêtes à l’aider. À la lecture du livre, j’ai été impressionné par ce qu’avait réussi à mettre en place, avec très peu de moyens et d’entregent, ce chercheur universitaire, plus familier des colloques et des débats scientifiques que des bras de fer bruxellois. Là encore le parallèle avec nos vies professionnelles est édifiant ; imaginons-nous bombardé ministre d’État et sorti de l’ombre du jour au lendemain… La constitution des équipes dirigeantes et des équipes ministérielles a toujours quelque chose de fascinant, comme si les promus avaient à leur disposition une liste de gens faisant l’affaire et disponibles sur l’heure. Mais alors là, c’est encore plus fort car le ministre venait de nulle part ou plus exactement d’un autre monde, un monde où tous sont sur le même pied et d’où le management est absent ! Ce côté « extraterrestre » de l’accession de Yanis Varoufakis à un tel poste sera sa force et causera in fine sa perte. Naturellement, il y a eu des ratés, il ne s’en cache pas. Certaines nominations lui ont échappé, certains collaborateurs choisis par lui, souvent sciemment, étaient issus du camp adverse (FMI par exemple). Sa stratégie était d’employer des gens qui « connaissaient la chanson » et « l’envers du décor ». Il en a été sûrement fragilisé. 

Et de l’autre côté, censés soutenir Varoufakis mais en pratique lui intentant des procès en fourberie et lâcheté, il y avait les dirigeants de Syriza, qui voulaient en découdre avec l’Union européenne. Il était pris entre deux feux… 

Yanis Varoufakis, qui avait tenu à être élu avant d’accepter le poste de ministre des Finances, et qui l’avait été triomphalement (le meilleur score de Syriza, sans en être adhérent !), a longtemps compté sur le peuple grec et sur sa propre popularité pour renverser la vapeur. Las, cela n’a pas suffi… 

J’en étais là de mon admiration pour la prouesse de l’ancien chercheur, quand je suis tombé sur un article d’Éric Toussaint (porte-parole du CADTM, membre du Conseil scientifique d’ATTAC France, coordinateur de la Commission pour la vérité sur la dette publique de la Grèce créée par la Présidente du Parlement grec entre avril et octobre 2015), intitulé « Le témoignage de Yanis Varoufakis : accablant pour lui-même ». La thèse de l’article était que Varoufakis s’était condamné lui-même à l’échec, d’une part parce que son « montage politico-économique » ne tenait pas la route et d’autre part à cause de son équipe elle-même, les gens choisis par lui étant tous des tenants plus ou moins discrets de la ligne qu’il combattait pour sauver la Grèce de la « prison pour dettes ». L’article d’Éric Toussaint, très fouillé, s’appuyant sur 24 notes bibliographiques, est bien plus documenté que le mien ; il y passe en revue la biographie professionnelle de tout l’entourage de Varoufakis (A. Papadopoulos, D. Mardas, E. Panaritis, M. Pigasse, J. Galbraith, L. Summers, J. Sachs, W. Buiter, T. Mayer, N. Lamont, S. Sagias) ; évidemment, c’est accablant. De là à considérer que Varoufakis en était conscient et a fait preuve de duplicité, il n’y a qu’un pas !

C'est un pas que, personnellement, je ne franchis pas.