26/08/2019
"Zéro de conduite" (Michel Onfray) : critique
J’aime bien Michel Onfray, malgré son opposition à quasiment tout (n’est pas gauche libertaire qui veut…) et malgré sa boulimie littéraire et philosophique qui fait qu’il touche à tout au risque d’atteindre son seuil d’incompétence (il est vrai que ne subsiste pas en dehors du système universitaire qui veut). Je l’aime bien pour sa critique du libéralisme et de la mondialisation, pour son retour aux sources (aux textes) et pour son débit de mitraillette quand il est interrogé dans les médias.
Je l’aime bien mais je n’avais encore jamais pris la peine de le lire, jusqu’à ce qu’on me prête son « Zéro de conduite » (J’ai lu n°12616) paru chez Flammarion en 2018. Ce sont ses « Carnets d’après campagne ». Il y commente, en 84 courts chapitres incisifs, mordants et sans filtre – au style parfois très relâché et à l’humour en rase-mottes – les événements qui ont suivi l’élection d’Emmanuel Macron à la Présidence de la République française.
Son lance-flammes n’épargne personne : le candidat élu, ses partisans, son premier cercle, ses journalistes, pas plus que ses adversaires (Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen and co.). C’est très souvent sans nuances ni circonstances atténuantes (pour les victimes de ses flèches). Et on se dit : trop, c’est trop ; tout ce qui est excessif est insignifiant (citation de Charles Maurice, prince de Talleyrand-Périgord, d’après le Dico des citations). Sur 300 pages, je n’ai ainsi annoté que quatre passages…
Dommage car l’introduction posait bien le problème : « La France politique est en ruine » sont ses premiers mots. La catastrophe, c’est « L’état dans lequel nous nous trouvons depuis qu’en 1992, sous régime mitterrandien, un référendum prétendument en faveur de l’Europe, mais en vérité en faveur du libéralisme, a bradé la souveraineté de la France au profit de bureaucrates employés par des banques bien décidées à abolir les frontières afin d’accélérer ce processus de paupérisation des pays, appelé par eux mondialisation » (page 9).
Mais déjà tous les qualificatifs qui vont être répétés dans la suite sont là : Macron le petit homme dans le monde dirigé depuis Bruxelles, ami de Stéphane Bern et des frères Bogdanov (?), qui n’aurait jamais quitté les planches qui lui auraient permis de séduire Brigitte, la prostate de Mitterrand, le premier des « petits » Présidents, qui a bradé la France, les autres Présidents tous aussi nuls les uns que les autres, et les opposants fossoyeurs de leurs propres troupes… Tout cela justifiant en quelque sorte le ton de farce et de dézingage tous azimuts auquel notre philosophe va se livrer dans la suite.
Page 72, Michel Onfray nous donne sa version des bisbilles entre Macron et Trump : « En persistant dans ce registre (NDLR : la surenchère infantile), qui lui fait prendre la planète à témoin que, dans son combat avec Trump il est le plus fort, Macron ne parvient à montrer qu’une seule chose : c’est qu’il est aussi immature que Trump. Les médias continuent à trouver que, décidément, le général de Gaulle est de retour. Ils se trompent, c’est Sarkozy qui revient avec son croc de boucher ». Pour le coup, il n’a pas tort, non ?
Page 76, il s’attaque à la bulle « Paul Ricœur », à savoir : notre Président aime à rappeler qu’il fut l’assistant de Paul Ricœur… mais qu’en est-il ? On n’en sait rien de précis mais on apprend que le fameux philosophe aurait été pétainiste, « même quand il était enfermé au stalag ». Un coup en dessous de la ceinture ? Le « Jupiter en culotte courte » se voit reprocher également d’avoir réuni dans son cercle d’intellectuels, Stéphane Bern, les frères Bagdanov, Michel Serres et Pierre Nora… pour récrire le récit national accaparé par Éric Zemmour et… Michel Onfray.
Page 114, c’est Sylvie Goulard, éphémère ministre de la Défense, qui en prend pour son grade mais ça commence par un jeu de mots de potache : « Goulard la goulue ». C’est de mauvais goût, d’autant qu’un patronyme est ce qu’il est. Cela étant, on apprend, par l’entremise du Canard enchaîné, que la dame a été payée 10000 € par mois pendant deux ans, par un institut californien, pour réfléchir sur des systèmes de gouvernance ! Comment ne pas se sentir obligé de renvoyer l’ascenseur après ça ?
En fait la fondation est dotée par un milliardaire américain et prétend promouvoir l’Union européenne, « cette pauvre Europe libérale qui fait la loi sans partage depuis 1992 en France et qui dispose des médias dominants à longueur de journée pour en faire le panégyrique, puis vouer aux gémonies et calomnier tous ceux qui s’y opposent » ! Et Michel Onfray de conclure à propos de la dame en parlant de plus vieux métier du monde ; pas élégant, c’est vrai mais le doute est permis !
Enfin, page 161, Michel Onfray s’insurge contre une déclaration il est vrai très surprenante de Jupiter : « On ne peut prétendre lutter efficacement contre le terrorisme si on n’a pas une action résolue contre le réchauffement climatique » (9 juillet 2017). Et il enchaîne sur une pièce jouée en Avignon, qui célèbre Mohammed Merah comme un héros littéraire. Son metteur en scène a déclaré : « Merah avant d’être un monstre était un être humain. Pour essayer de comprendre ces jeunes terroristes, il faut entrer dans leur tête, dans leur parole. Ce n’est pas parce qu’on les humanise qu’on les excuse ».
Ça ne vous rappelle rien, amis lecteurs ?
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20/05/2019
"Macron, un mauvais tournant" : critique VI
En haut de la page 156, les Économistes atterrés règlent ensuite son compte à la stratégie d’Emmanuel Macron vis-à-vis de la protection sociale qui est « comme celle des gouvernements précédents, de créer les difficultés financières à la Sécurité sociale pour justifier les réformes ». Et comme toujours, il faut regarder précisément, dans les recoins (ou le maquis) des règles et des exceptions, pour trouver les astuces – voire les tours de prestidigitation – qui en permettent le démantèlement pierre par pierre ; ainsi le « forfait social » imposé aux entreprises compensait le fait qu’elles ne paient aucune cotisation sur les rémunérations extra-salariales. Sa suppression début 2019 pour les entreprises de moins de 250 salariés va les inciter « à augmenter la participation ou l’intéressement plutôt que d’accroître les salaires ». Elle va coûter un demi-milliard d’euros à la Sécurité sociale !
La partie 6 du livre s’intitule « Écologie : le tournant refusé ». Incidemment, on peut s’étonner qu’un Président si jeune ne soit pas intéressé, voire obnubilé, par la crise écologique qui nous menace ; c’est sa génération qui va commencer à trinquer ! Les Économistes atterrés notent quant à eux que les intérêts dominants (ceux des grandes entreprises, des grandes banques, des gouvernants des grands pays et des institutions internationales) sont en faveur du maintien (ou de l’amélioration) de leurs positions. Un exemple : les quatre grandes centrales d’achat qui refusent de diminuer leurs marges, au détriment des revenus de nombreux paysans (page 190).
Sans surprise, la partie 7, « Rénover l’Europe ? », constate que « Il est difficile de faire converger vers une Europe sociale ou une Europe fiscale des pays dont les peuples sont attachés à des systèmes structurellement différents et dont les classes dirigeantes ont choisi des stratégies différentes (…) En somme, c’est toute la stratégie d’uniformisation portée par le marché unique et l’euro qui mérite d’être questionnée » (page 205).
Et pour finir, au-delà des déclarations lyriques sur ce que pourrait être une Union européenne – mais dont nos partenaires ne veulent pas – « Emmanuel Macron propose que l’Allemagne et la France aillent de l’avant et intègrent totalement leurs marchés d’ici 2024, ce qui implique en fait que la France s’aligne sur l’Allemagne. C’est un moyen pour Emmanuel Macron d’imposer à marche forcée en France des réformes difficiles (privatisations, dérégulations, baisse des cotisations et donc de la protection sociale, baisse des impôts sur les entreprises) » (page 213).
Là-dessus vinrent les Gilets jaunes.
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14/04/2019
"Macron, un mauvais tournant" (Les économistes atterrés) : critique III
Au début de la partie 8 « Des stratégies alternatives », on retrouve – est-ce un hasard – le constat du livre extraordinaire de Naomi Klein « La stratégie du choc » : « Les institutions européennes imposent le triptyque : austérité budgétaire, compétitivité, réformes structurelles » mais ici les Économistes atterrés se contentent d’écrire sobrement que « Ce tournant, en France comme en Europe, s’appuie sur l’affaiblissement idéologique des classes populaires du fait de la désindustrialisation et de leur ethnicisation ». Chez Naomi Klein, le verdict était beaucoup plus anxiogène (si l’on peut dire), à savoir que ces tournants profitent de toutes les crises et de toutes les faiblesses des pays, quelles qu’elles soient, pour s’imposer, par la contrainte (voir le Chili, l’Argentine, l’Irak, plus récemment la Grèce).
Malheureusement, pour ce qui concerne le livre qui nous occupe, on retrouve encore page 222, la forte affirmation « Il nous faut montrer qu’il existe des alternatives »… 221 pages pour cela ! Et le lecteur attend toujours (11 pages pour les « stratégies alternatives » attendues sur 231 pages de constats critiques et d’analyses pertinentes, cela fait peu ; j’en reviens toujours à mon interrogation récente (cf. mon billet du 12 mars 2019) : où sont les économistes hétérodoxes ?).
À la limite, on voit bien quelle pourrait être cette société souhaitable « égalitaire, sobre, socialiste, mixte (privé à côté du public) » (page 223) mais ce qui nous manque, c’est le ou les scénarios de transition ! Le système actuel (néolibéral) s’appuie non seulement sur les fondements du libéralisme des siècles précédents mais sur les travaux de toute une école de pensée (Milton Friedmann et l’école de Chicago), couronnée au fil des ans par des dizaines de Prix Nobel, par des accords et des traités, nationaux et internationaux qui verrouillent le système, par des institutions (FMI, OCDE, BCE…) qui appliquent la même doxa et répandent – parfois de force – la même bonne parole.
Voyons maintenant ce que proposent nos Économistes atterrés…
« L’objectif d’égalité doit être placé au centre des préoccupations de la société » (page 223).
« Le premier objectif doit être de mettre fin à la domination de la finance » (page 224).
Voici donc en vrac les propositions du dernier chapitre :
- Séparation des banques de dépôt et de crédit
- Justification par les banques de l’emploi des sommes déposées par leurs clients
- Création de fonds pour le développement industriel
- Taxationdes transactions financières
- Interdiction du tradingà haute fréquence et des ventes à découvert
- Interdiction de la concurrence fiscale ou réglementaire entre pays européens (incidemment on voit qu’ils ne prévoient pas de sortir de l’UE mais n’excluent pas un bras de fer)
- Représentation au conseil d’administration des entreprises de toutes les parties constituantes
- Contrôle, voire nationalisation, des entreprises qui atteignent une certaine taille, qui disposent d’un pouvoir de monopole, qui jouent un rôle crucial dans l’évolution économique et sociale
- Fin du statut privilégié d’une couche étroite de dirigeants
- Favoriser la promotion interne plutôt que le parachutage
- Restaurer la logique du droit du travail
- Promotion de chaque salarié, avec des possibilités d’évolution et de carrière
- Limitation du travail intérimaire, des CDD, de la sous-traitance et du faux auto-entreprenariat
- Amélioration des conditions de travail, allègement des cadences
- Développement de l’économie sociale et solidaire
- Appui bancaire aux innovations qui correspondent à de réels besoins sociaux
- Investissements pour réduire les gaz à effet de serre
- Construction de logement
- Programme de rénovation urbaine pour supprimer les ghettos
À noter une phrase prémonitoire, page 227 : « La transition écologique ne peut s’effectuer uniquement par la hausse du prix de l’énergie et des activités polluantes, car les efforts pèseraient lourdement sur les plus pauvres, tandis que les plus riches seraient épargnés ». Il faut être « Marcheur » pour ne pas avoir compris cela, par anticipation. À quoi sert donc la « très grande intelligence » du Premier de cordée ?
Suivent quelques considérations – à très grands traits – sur un pacte écologique et sur un pacte social, tous deux nécessaires (page 228).
« Dans de nombreux domaines, les services publics sont plus efficaces, moins coûteux et favorisent plus la cohésion sociale que les entreprises privées : santé, éducation, transports collectifs » (page 228). Enchanté de cette confirmation mais (1) où sont donc les preuves chiffrées, (2) pourquoi personne ne vient-il dans les médias soutenir la contradiction avec la doxa néolibérale qui vise à éliminer ces mêmes services publics ?
« Ce modèle (social) doit être défendu contre les réformes que veulent imposer les sociétés d’assurance. Le développement des complémentaires santé et des retraites d’entreprise doit être combattu » (page 229).
Sur le chapitre social, le discours est souvent incantatoire, litanie de grandes idées généreuses sans aucune analyse ni de leurs modalités de mise en place éventuelle ni de leur faisabilité ni de leur coût ni de leurs effets secondaires. Exemple : « La France doit se donner des objectifs ambitieux en matière de lutte contre la pauvreté des enfants » (page 229).
Puis on revient à la finance :
- Impôt s’appliquant à tous les revenus des ménages selon leurs capacités contributives
- Annulation de la taxation uniforme des revenus du capital
- Rétablissement de l’ISF
- Poursuites contre les personnes qui s’installent à l’étranger pour des motifs fiscaux (équivalent du dispositif américain Fatca – a-t-on déjà pensé au jeu de mots fat catsà propos de ce dispositif ?)
- Arrêt de la baisse des cotisations sociales (tous les revenus salariaux doivent payer des cotisations, tous les revenus du capital doivent payer les prélèvements sociaux)
- Lutte contre l’optimisation fiscale des grandes entreprises et contre les paradis fiscaux
Sur le chapitre de l’emploi (pages 230 et 231) :
- Formation des nouveaux embauchés par les entreprises
- Parcours d’insertion individualisée proposés par Pôle Emploi aux jeunes en difficulté
- Sécurité professionnelle pour les salariés
- Emploi « de dernier ressort » dans les collectivités locales ou les associations pour les personnes confrontées à un « refus d’embauche »
Concernant l’union européenne :
- Hausse des salaires et des prestations sociales, en particulier pour les bas revenus (dans les pays de la zone euro accumulant les excédents) pour réduire par le haut les déséquilibres commerciaux et juguler les pressions déflationnistes (au lieu, comme actuellement, d’exiger des pays de l’Europe du Sud de baisser les salaires et les dépenses publiques)
- Promouvoir un plan d’investissement européen centré sur la transition écologique
- Militer pour que l’UE se donne clairement des objectifs de plein emploi (au lieu d’avoir les yeux rivés sur l’inflation et sur le pourcentage de déficit comme actuellement)
- Promouvoir des normes sociales et environnementales dans tous les traités commerciaux avant de les signer
- Plus généralement, assumer ses valeurs et son modèle social au lieu de se caler sur le modèle anglo-saxon
- En cas de blocage de l’Allemagne, proposer à l’Europe du Sud un pacte de reconstruction primant sur les règles néolibérales
Comme on le voit, même si elles ne sont ni justifiées ni chiffrées, les propositions ne manquent pas !
Dès que vous aurez lu ce billet (et les deux précédents), précipitez-vous devant votre téléviseur et écoutez Jupiter : combien de ses réponses à la crise des Gilets jaunes correspondront-elles aux propositions des Économistes atterrés ?
07:00 Publié dans Actualité et langue française, Économie et société, Essais, Les économistes atterrés, Livre, Société | Lien permanent | Commentaires (0)