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17/11/2016

Mélanges

Il y a des traductions de l’anglais au français qui tapent dans le mille ; elles sont rares mais elles tombent à pic (avant que le franglais ne s’impose) et, tout en gardant l’idée de base, elles ont un fondement local (mode de vie, habitude, inconscient collectif, voire tradition, mais surtout structure de la langue et vocabulaire, bien français).

On connaît « logiciel » et « matériel », « jardinerie », « texto », « tablette », etc. Dans un autre registre, peu reluisant il est vrai, j’ai pêché « biture express » pour traduire un travers importé d’Albion : binge drinking (Marianne du 20 décembre 2013). Ça dit bien ce que ça veut dire, non ? Dans le même article, on trouve néanmoins de nombreuses formules anglomaniaques comme celle-ci : « cette comédie a repris les codes du teen-movie type American Pie ». Nobody’s perfect 

Dans le même hebdomadaire mais daté du 28 octobre 2016, Benoît Legemble écrit deux fois « satisfaire à son inclinaison pour la philosophie religieuse », dans un article sur le philosophe russe Léon Chestov. Ce journaliste doit déplorer l’inclination trop forte de sa descente de garage…

Régis Debray, lui, fait cette déclaration surprenante : « Il m’arrive de penser que la France a plus à craindre d’une américanisation achevée de ses mœurs, de ses idées et de ses institutions, que d’une islamisation. Et de me demander même si pointer du doigt l’islamisation n’est pas une façon de cacher la réalité de l’américanisation ». Mais à bien y réfléchir… 

L’américanisation a débuté à la Libération, en 1945, avec les chewing-gums et les cigarettes. Elle n’a fait que croître et embellir. À côté, l’anglomanie du temps de Proust était une aimable plaisanterie. Elle s’est attaquée depuis plusieurs années à notre Droit (le plaider-coupable, les transactions, la primauté des contrats…), tendant à instituer un « Droit planétaire » à la mode américaine (rappelons-nous les marins bretons obligés de faire le déplacement de Chicago pour demander réparation des dégâts causés à leurs côtes par le naufrage de l’Amoco Cadiz ; rappelons-nous aussi BNP Paribas lourdement sanctionné pour avoir commercé en dollars en Iran, sous embargo uniquement américain…), a submergé notre organisation économique avec le néolibéralisme de Milton Friedmann relayé à partir de 1980 par Ronald Reagan et Margaret Thatcher et quelques années après par les technocrates de Bruxelles, est en train de modifier notre Code du Travail, avec la fameuse inversion de la hiérarchie des normes, révolution copernicienne imposée au prix de 49.3 successifs, a envahi nos écrans de télévision (sur les 16 chaînes « gratuites » de TNT, combien passent chaque soir des « séries » américaines produites à la chaîne, justement ?), met au pas les banques européennes, affrontent maintenant nos constructeurs automobiles sous prétexte de contournement des tests anti-pollution… 

À propos, ai-je déjà rappelé qu’avant les années 70, « série » se disait « feuilleton » et « saison », « épisode » ?

Ai-je déjà signalé que « versatile » signifie « qui change d’avis comme de chemise » et non pas « polyvalent » comme l’anglais mal traduit nous le fait croire de plus en plus ? 

D’Alain Bentolila, professeur de linguistique à Paris-Descartes, cette déclaration dans un article sur les agressions de professeurs dans les lycées (Marianne, 21 octobre 2016) : « Or la langue est justement faite pour s’expliquer, elle est faite pour argumenter avec autant de fermeté que de tempérance. Mais dès lors que les mots viennent à manquer, alors ce sont les coups qui partent ». Suit tout un paragraphe pour contredire l’idée que les élèves concernés « n’auraient pas les moyens intellectuels de se doter d’une langue puissante et efficace » (NDLR : on ne sait jamais ce que les lecteurs peuvent penser et retenir d’un article de journal, et les anathèmes courent vite sur les réseaux sociaux, a dû se dire Alain Bentolila…). Et il ajoute : « L’école et la famille n’ont pas su (ou pu) transmettre cette capacité spécifiquement humaine de transformer pacifiquement le monde et les autres par la force des mots ». Et plus loin « L’humiliation de ne pas maîtriser ce qui fait le propre de l’homme (…) conduisent inéluctablement à l’agression ». Comprendre, c’est (souvent) excuser…

12/11/2016

So long, L. C.

I remember you well

in the Chelsea hôtel

You were talking

so brave and so sweet

 Ce fut une révélation quand nous découvrîmes en 1966 le disque « The songs of Leonard Cohen » en plein dans la décennie magique du folk et de la pop anglo-saxonne, celle qui a connu, entre autres, « Sgt Peppers lonely hearts club band », « Blonde on blonde » et « Ummagumma ».

À dire vrai, je crois bien que j’ai d’abord entendu ses premières chansons en français, traduites et interprétées par le Néo-Zélandais Graeme Allwright. En l’occurrence, c’était « L’étranger » (The stranger). Un peu plus tard, en vacances en Bavière, j’ai acheté « Songs from a room ».

Le premier disque de Leonard Cohen s’ouvrait sur deux chefs d’œuvre : Suzanne (sur la face 1) et So long, Marianne (sur la face 2). Deux jeunes femmes aujourd’hui lui doivent leur prénom. 

Oh you’re really such a pretty one

I see you’ve gone and changed your name again 

Bruno Groléjac1975.jpg

Dans son troisième album, Songs of love and hate, en 1971, se trouve un autre chef d’œuvre : Famous blue raincoat.

It's four in the morning, the end of December

I'm writing you now just to see if you're better

New York is cold, but I like where I'm living

There's music on Clinton Street all through the evening

Mais le talent de Léonard Cohen ne s’arrête pas à ces trois chansons. Il y a sa voix si grave, si particulière, sa mélancolie, son flegme, son attirance vers la spiritualité, sa période bouddhiste, sa vie à rebondissements, sa jeunesse en Grèce sur l’île d’Hydra, sa passion pour les femmes et ses difficultés avec elles, et ses recueils de poèmes, ses poèmes !

Go by brooks, love

Where fish stare

Go by brooks

I will pass there

 

Go by rivers

Where eels throng

Rivers, love

I won’t be long

 

Go by oceans

Where whales sail

Oceans, love

I will not fail

 

Je n’oublierai pas non plus ses romans, dont The favourite game, que j’avais adoré. 

« Seigneur ! Je viens juste de me rappeler

ce qu’était le jeu favori de Lisa »

Tout cela a marqué profondément notre jeunesse.

Avec le décès de Marianne et la lettre émouvante que Léonard Cohen lui avait écrite et fait lire par un ami commun, c’est une période qui s’achève, une période que nous avons pleinement vécue nous aussi. Une boucle est bouclée…

Le poète canadien, écrivain, auteur et compositeur de chansons, Léonard Cohen, s’est éteint le 7 novembre 2016, à Los Angeles.

Je savais bien que ça arriverait un jour… 

Resquiescat in pace.

24/10/2016

Irritations linguistiques XXXV : français toujours

Entendu dans un téléfilm je ne sais plus où ni quand : « Assis-toi là ». Faut-il rappeler que, pour le verbe asseoir à l’impératif, il n’y a que deux options : soit la forme familière « assois-toi là », soit la forme plus élégante « assieds-toi là ». Si maintenant on confond impératif et indicatif, où va-t-on ? 

J’ai appris l’existence du « Printemps républicain », un mouvement qui rassemble les femmes et les hommes de gauche (pourquoi eux seuls ?) autour de la défense de la laïcité et du pacte républicain. Il a commandé une enquête sur le thème « Qu’est-ce qui fait qu’on est français ? », sujet éminemment intéressant mais que je ne songe pas commenter ici. Ce qui m’a titillé, c’est la façon dont Perrine Cherchève en a rendu compte dans le Marianne du 23 septembre 2016. Sur les neuf propositions de réponse, deux arrivent en tête des suffrages de l’échantillon de 2000 Français de 18 ans et plus : « adhérer aux valeurs de la République » (94 % d’accord et plutôt d’accord) et « parler le français » (92 %). Eh bien, la journaliste cite la première réponse, pas la deuxième, et enchaîne sur les réponses très minoritaires. La question du français, langue de la République, serait-elle sans intérêt pour elle ? 

La Fayette.jpgCaroline Fourest donne des extraits de son livre « Génie de la laïcité » (Grasset, 2016) dans le Marianne du 7 octobre 2016. Elle y cite en particulier un article de deux chercheurs américains William McCants et Christopher Meserole, « The French Connection » (Foreign Affairs), dans lequel ils écrivent : « Le premier facteur (dans l’émergence du djihadisme radical) est (que les terroristes) proviennent d’un pays francophone ou qui a eu le français comme langue nationale » ! Aberrant, répond Caroline Fourest, statistiques à l’appui. Merci les gars, ai-je envie d’ajouter, sympa de la part de notre plus ancien allié, à qui on a envoyé La Fayette quand ça se passait mal là-bas ! À travers cette basse attaque, n’est-ce pas la francophonie qu’on veut toucher, entendue non seulement comme rassemblement de peuples ayant en partage une langue qui résiste (tant soit peu) à l’anglais mais surtout comme une force d’influence prêchant la solidarité, la démocratie et la non-violence (voir ma série de billets sur la francophonie en début 2016) ? 

Charles Dantzig, lui, a écrit dans le Marianne du 23 septembre 2016 un long article pratiquement illisible (je n’en ai rien compris ni retenu), « Halte aux mots toxiques », qui posait pourtant des questions importantes : parle-t-on trop ? écrit-on trop ? et y apportait la réponse suivante : on emploie les mots à tort et à travers ; « guerre », « bobos », « politiquement correct », autant de termes qui perdent leur sens, jusqu’à l’absurde. Là-dessus, je suis d’accord. Mais j’ai sauté directement à la conclusion : « Toute pensée subtile est rejetée. Contre les mots, nous ne la retrouverons que par ceci : les phrases. Et on cessera peut-être de considérer avec condescendance la seule chose qui ait jamais sauvé le monde, la littérature ».