Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

09/01/2017

Irritations linguistiques XXXIX : attitude, attitude, est-ce que j'ai une gueule d'attitude ?

L’inversion inconsidérée (et inutile) du substantif et de son adjectif épithète est très à la mode ; c’est censé « faire anglo-saxon », donc moderne. 

Dans un magazine trimestriel d’entreprise consacré à la santé au travail et à la sécurité, je note :

  • sur la page de garde du numéro 172 de décembre 2011, en très gros caractères : « Nucléaire attitude »,
  • puis en page 19 : « Total respect ».
  • Bis repetita dans le numéro 174 de juin 2012 : « Électrique attitude ».

Dans la rubrique « Bien être » du mensuel du même grand groupe, numéro 12 d’avril-mai 2014, ce grand titre : « La positive attitude » (le décalque de la formulation anglo-saxonne va jusqu’à l’article « La », parfaitement inutile en français). 

Comme d’habitude, le snobisme et le « modernisme » effrénés de ces journalistes et communicants se conjuguent avec une ignorance crasse de la langue anglaise et des subtilités de la traduction, maintes fois dénoncées par l’inénarrable Jean Dutourd (voir mes billets consacrés à l’homme à la pipe).

Churchill.jpg 

Ainsi trouve-t-on dans ce même article sur la nécessité de voir le verre à moitié plein, une citation de Winston Churchill, l’homme au cigare qui haïssait le sport : « Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté ». Faut-il rappeler une nième fois que l’opportunité caractérise ce qui est opportun (qui arrive à point nommé, qui est souhaitable), alors que l’anglais opportunity signifie une occasion, un événement ?

Voici encore quelques (mauvaises) nouvelles du front. En avril 2016, on apprenait que Aéroports de Paris devenait "Groupe ADP" et créait la marque commerciale "Paris Aéroport", avec la justification suivante : "plus facile à lire pour la clientèle internationale" (Le Revenu, n°1373, 22 avril 2016)... Quelle révolution ! Bravo les stratèges et les communicants de cette entreprise publique qui rêve d'être privatisée (du moins ses stratèges et ses communicants) ! La raison sociale "Aéroports de Paris" était trop pertinente, trop simple, trop claire, sans doute trop française ; il leur fallait en changer pour montrer qu'ils agissaient et qu'ils étaient modernes. "Groupe ADP" est peu clair, laconique, peu explicite, nul, mais ne martyrise pas la langue française, au contraire de "Paris Aéroports" qui, sur le modèle aberrant de "France Télécom", adopte un ordre des mots anglo-saxon. En français, cela se dit "Aéroports Paris", comme "soupe-minute" (et non pas minute-soupe) et comme "Deutsche Telekom" en allemand. Toutes ces mauvaises plaisanteries linguistiques n'enrichissent que les cabinets de comm. Quant aux responsables qui lancent des réformes aussi courageuses, combien sont-ils payés ?

Eh bien, le même hebdomadaire nous le dit sans vergogne en page 5. En 2015, le dirigeant de Accorhotels (sans espace ni accent circonflexe) a gagné 3,95 millions d'euros (+2 %), celui de Kering (quel joli nom !) 3,5 M€ (-35 %), celui de L'Oréal 9,15 M€ (+12,6 %), celui de LVMH 9,53 M (+51,3 %), celui de Publicis (plus exactement de Publicis Group, comme c'est plus joli en anglais) 3,92 M (+38 %), etc. Quant à savoir à quoi ces personnes utilisent leurs gigantesques revenus, aucun journaliste ne s'y intéresse.

Dans la même veine mais en pire : Marianne nous apprenait le 11 novembre 2016 que Air France voulait créer une nouvelle compagnie à bas coût (et donc à bas prix ?) qui s'appellerait Boost, dans le cadre du plan "Trust Together" (avec deux majuscules s'il vous plaît).

 

05/01/2017

Irritations linguistiques XXXVIII : ils jouent, donc il gagne

Je continue sur le jeu – et plus particulièrement sur les courses de chevaux – car, fait du hasard, je viens de retrouver un article de la revue L’Entreprise, daté d’octobre 2009 et consacré au Directeur général de ZEturf (site fondé en 2001), à l’époque où s’achevait le monopole du PMU. 

Ce Directeur répondait au beau patronyme de Rohan-Chabot et au prénom devenu célèbre depuis, au masculin (Emmanuel) après avoir connu une certaine vogue au féminin (Emmanuelle). Je ne sais pas si sa société de pari en ligne existe toujours mais peu importe. Son entretien avec la rédaction valait son pesant de cacahuètes, surtout d’ailleurs les questions du journaliste Ronan Chastellier. Jugez-en. 

Q. « Le facteur chance, c’est comme dans le bizness ? »
R. «  (…) avec les paris en ligne, c’est devenu un big bizness ».
 
Q. « Vous avez connu aussi des big problems ? »

Q. « Les jeux d’argent sur internet, c’est toujours borderline? »

(Vous noterez que ce journaliste écrit comme les gens parlent, c’est-à-dire qu’il ne connaît plus l’inversion du verbe et du sujet de la forme interrogative…).

Q. « Et ZEturf en chiffre d’affaires, c’est le jackpot ? »


(à une autre question, en français celle-là) R. « Ce qui exploserait notre business model».

(Faut-il rappeler que le verbe « exploser » est intransitif ?).

Courses de chevaux.jpg

 

Pour conclure, une question et une proposition :

Pourquoi les journalistes écrivent-ils comme cela ? Ce snobisme (ou ce laisser-aller) leur rapporte-t-il tant que cela ? Dire que les Écoles de journalisme proposent aux professionnels des formations (coûteuses) pour apprendre à écrire… 

Une première étape de reconquête serait de mettre systématiquement en italiques et / ou entre parenthèses tous les termes anglais (récents), pour bien mettre en évidence, comme si c’étaient des citations, qu’ils ne font pas partie de la langue française, qu’ils ne sont là que de passage, pour faire « savant » ou pour intriguer, une appogiature.

02/01/2017

Irritations linguistiques XXXVII : je joue, donc tu gagnes

L’autre jour, j’entends une dame à la radio qui nous dit « bla bla bla… ils ont eu ça en direct », et aussitôt, craignant qu’on ne la comprenne pas, elle corrige « en live »…

Il y avait déjà eu les rollers, le skate board, le kite surf, j’en passe et des encore pire. Voilà-t-y pas qu’on nous invente aujourd’hui le fat bike, pour rouler dans la neige ! Tous ces marchands (de matériel, de loisirs, d’abonnements divers et variés) n’arrêtent pas de mettre sous nos yeux d’enfants perpétuels, de pseudo-innovations, de fausses nouveautés et d’inutiles modes (une année, les jambes des pantalons sont larges ; l’année d’après, elles sont étroites…). Si ce n’était que cela ; après tout, c’est leur métier et leur moyen de subsistance ; les consommateurs que nous sommes n’ont qu’à être moins badauds et moins nigauds. Mais ils se croient obligés, aidés par ces perroquets de la publicité et du journalisme (ceux que Michel Serres appellent « les collabos », d’après mon commentateur du 30 décembre 2016), de les affubler de noms anglais (ou plutôt américains). Il est vrai que ces derniers en inventent tous les jours des gadgets… Seul espoir pour nous autres – mais il est peu enthousiasmant – croire au théorème de René Étiemble, à savoir que les noms franglais disparaîtront avec les objets qu’ils désignent, le plus vite possible. 

J’en étais là dans les irritations linguistiques quand je me suis penché sur l’article d’Étienne Thierry-Aymé dans le Marianne du 2 décembre 2016, intitulé « La folie retrogaming », dont l’incipit était le suivant : « Sous le sapin, les consoles vintage risquent de piquer la vedette aux derniers gadgets high-tech. Après les tee-shirts vintage, les portables préhistoriques, les ordinateurs old school, les jeans déchirés et les vinyles pleins de poussière, la mode du retrogaming bat son plein ». Ça commençait bien. 

Passons sur les hors d’œuvre (le design des jeux vidéo, des consoles plug and play revisitées…) et regardons les encarts : « LA PLUS SHOW-OFF », « LA PLUS SEVENTIES », « en différentes tailles (classic, compact, mini) » (en quoi cette graphie anglaise de « classique » fait-elle avancer le smilblic ?), « une version pocket » (en quoi cette graphie anglaise de « poche » fait-elle avancer le smilblic ?), « flash-back sur les années 80-90 », « pas de jeu vidéo sans joystick », « un stick d’arcade », 

Pour être honnête, je dois signaler que ce journaliste utilise l’expression « tout-en-un » parfaitement bienvenue, alors qu’on aurait pu craindre un franglicisme que, naturellement, je n’écrirai pas. 

Jeu vidéo.jpg

Reste, pour parler un peu du fond, que plus de la moitié des Français déclaraient en 2015 (non pas leurs revenus) mais qu’ils étaient adeptes réguliers de jeux vidéo (à comparer avec les 20 % du début des années 2000). Qu’ont-ils donc, tous ces Français, à jouer comme des enfants ? 

Fin 2016, le chiffre d’affaires du secteur aurait atteint 3,4 milliards d’euros, rien qu’en France.