13/04/2017
Irritations linguistiques XLIX : délire lexical IV
Dernier billet de la série : Julie de Los Rios nous parle des ados et du marché dans le Marianne du 3 mars 2017. La thèse, bien connue, est la suivante : « Irresponsabilité programmée du consommateur, lequel ne fait qu’accomplir le plan du néocapitalisme qui conquiert ainsi un immense et nouveau marché ».
Un encart est intitulé : « Sportswear siglé pour graines de champion sponsorisé » et la légende de la première photo : « Lookés ». On évoque dès l’entrée, pour les dénoncer heureusement, les corn-flakes, les young athletes d’une multinationale du sport, ses best-sellers, ses sneakers… Ça commence bien !
La Julie ne recule pas devant un jeu de mots : « Cosméto écolo pour nymphettes biotiful » et mentionne le slogan censé aller avec : « No petrol, just beauty ». L’encart « repas rapides » n’échappe pas au fast-foods ni au burger, tandis que celui des « écouteurs pop » se limite aux youtubeurs, aux top models (tiens…) et aux motifs tie & dye.
L’encart « Smartphones » est un passage obligé, qui bizarrement ne nous inflige que « photo ficha » (compromettante), addiction (néologisme d’origine anglaise), « demeurer au top ».
Au rayon « personnalisation des objets fétiches », on trouve VIP et émojis (avec un « é » s’il vous plaît). Cela reste raisonnable ; il est vrai que l’on y parle des sacs Lancel… À celui de la mode pour bébés mannequins, ça l’est moins : les enseignes « New Look », « Wasted, le label de streetwear français (sic !) », les lignes de vêtement « Teen Model », les sweats et autres tee-shirts, tout y est.
Il y a un encart « Lingerie cool », une marque française (sic !) « Mina Storm », des dessous « en coton bio Stretch », un live chat pour conseiller nos baby dolls, un message bien intentionné « Fly with your own wings ».
Eh bien voilà, on est arrivé au bout… C’était pas pire que d’habitude !
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10/04/2017
Irritations linguistiques XLVIII : délire lexical III
Je continue ma série de billets consacrés à la langue de la mode ou, plus exactement, au vocabulaire de certains journalistes quand ils parlent des modes dans leurs rubriques « Société ».
Mes lecteurs connaissent déjà Valérie Hénau (voir mon billet du 3 avril 2017). Dans le Marianne du 10 mars 2017, elle s’attaque au « marketing du pop féminisme » (sic !). Sur le fond, et brièvement – car ce n’est pas le fond qui nous intéresse ici – elle a le droit de juger « l’inanité d’un mouvement (NDLR. : le féminisme) à sa capacité à être récupéré par le marché ». (NDLR. : inanité, caractère de ce qui est inutile, vain). En quelques paragraphes aux titres pleins (le pop féminisme est un tee-shirt à 500 € ; le pop féminisme est une pub tartouille ; le pop féminisme est une petite fille pontifiante ; le pop féminisme est un mascara ou un cours de yoga ; le pop féminisme est une fille à poil), elle veut démontrer que ce féminisme-là s’est dissous dans les gadgets, le superficiel et surtout les prétextes pour vendre toujours plus (« s’approprier le langage, l’imagerie et l’énergie du féminisme en le vidant de toute culture politique »). C’est malheureusement le sort de nombre de causes qui ont été récupérées par les publicitaires et les marchands du Temple (le meilleur exemple en est l’écologie). Elle écrit, lucide : « Comme nouveau moyen de lever les oiselles, en tout cas, cela semble marcher aussi bien que le coup du bébé chien »
Mais, une fois de plus, ce genre d’article est un ramassis de formules prétendument accrocheuses car vaguement américaines ; en un mot le lecteur doit affronter un déluge de franglais, avec pour seule consolation le constat que d’un texte à l’autre les mots, tous d’apparence anglaise, ne sont jamais les mêmes et que donc, selon le théorème d’Étiemble, ils disparaîtront sans crier gare avec l’objet même ou la mode qu’ils désignent.
Dès l’accroche on subit « les tee-shirts bavards » et « les jet-setteuses en Louboutin ». Puis ce sont les giboulées : body-shaming, féminisme cupcake, newsletter, best-seller global, en front row entourée de people, « The future is female », la Fashion Week, un sweat inspiré, le greenwashing, un vrai rêve no gender, les #mybeautymysay, un peu black, le #morethanabum, les femmes sont beaucoup plus que leur look, blonde fan de shopping, punch line : sois ta propre définition de la beauté, dans leur boîte mail, variante pour teenagers de la newsletter, des tee-shirts Beautiful et Hero, très genrés, une vidéo a fait le buzz, dix mille likes en une heure, soul cycling, boxe-yoga comme un supplément de capacitation, s’exhiber en body, poster des Instagram, réifiée par le désir des hommes, leur slut walk attitude, la vilaine fille bad ass à string rose, gadget girly, le dernier chic millénial dans les pays anglo-saxons, de façon assez gore !
Notre journaliste n’est pas dénuée d’autodérision involontaire puisqu’elle note, à propos des tee-shirts à slogan comme « Girls want to have fun » ou « I am a Barbie girl » : « en anglais, c’est toujours mieux ces trucs-là » ! Avec empowerment, elle touche au sublime : « en français, capacitation ou empouvoirement, autant dire que personne n’en parle ainsi » !
À noter aussi quelques bizarreries lexicales de l’époque comme « une fille hypermaigre et pas très raccord avec le sujet » et « tout le monde pense que les filles doivent juste être jolies ».
La coupe est pleine.
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06/04/2017
Parler français sur les chantiers III
Mes lecteurs me pardonneront, j’en suis sûr, de revenir une deuxième fois sur la fameuse Clause Molière qui, imposée dans les marchés publics, vise à exiger une connaissance minimale du français de la part des ouvriers qui travaillent sur les chantiers de nos villes et campagnes, pour des raisons de sécurité (inutile d’imposer des normes et de bannir des pratiques dangereuses si les principaux intéressés ne les comprennent pas et ne peuvent pas les appliquer).
Et j’y reviens parce que je suis tombé sur un article de Guy Konopnicki intitulé « En pierre de Molière » dans le Marianne du 17 mars 2017. Il n’est pas précisément de mon avis mais l’objectivité m’oblige à mentionner ses arguments, qui sont intéressants.
En guise d’introduction, le journaliste ironise sur la « francitude » de Molière, argument facile : « Molière était le protégé d’un roi de France né de mère espagnole, affublée d’un titre d’Autriche. La scène se passait à Versailles, où l’on érigeait alors moult édifices, en faisant venir des ouvriers parlant les divers idiomes des provinces et même des langues parlées au-delà des Alpes ». Et alors, comme dirait l’autre ? À cette époque-là, ni les États-Unis ni l’Union européenne n’existaient, la France dominait l’Europe et attirait les meilleurs ouvriers d’art, qui ne devaient pas tarder à apprendre notre langue (je le suppose).
Ensuite, c’est rare de sa part, notre pourfendeur de toute mesure protectionniste, assène un argument fallacieux, selon lequel les régions et les départements pratiquant la Clause Molière ne privilégieraient que les entreprises françaises… Et alors ? Qu’est-ce qui empêche n’importe quelle entreprise, française ou non, d’employer des ouvriers parlant français ?
Puis, glissement sémantique, Guy Konopnicki ne parle plus que d’obligation faite à des travailleurs d’être « aptes à la lecture des consignes de sécurité ». Cela change tout ! N’étant bilingue ni en anglais ni en allemand, je m’estime personnellement parfaitement capable de « lire » des consignes de sécurité dans ces deux langues, et même, en m’appliquant un peu, en espagnol ou en italien, voire en roumain !
Perfide, notre journaliste demande si, actuellement, les chantiers publics ou non, mettent en danger la vie d’ouvriers qui ne peuvent pas lire les consignes. Sans commentaire… Et de se demander « comment les Italiens, les Portugais, les Polonais ont pu survivre aux métiers qu’ils exercent en France depuis plus d’un siècle » (NDLR. J’en ai connu quelques-uns, ils parlaient tous le français…).
De fil en aiguille, il en vient à se demander s’il s’agit de privilégier les travailleurs étrangers issus de pays membres de l’Organisation internationale de la francophonie, donc « essentiellement ceux du Maghreb et de l’Afrique noire, auxquels il conviendrait d’ajouter les réfugiés de Syrie ». (NDLR. J’ai entendu très peu de réfugiés syriens dans les médias s’exprimer en français… Et l’on sait que la présence de la France et l’enseignement de sa langue en Syrie régressent depuis longtemps).
À la suite de quoi, à partir d’un argument que je n’ai pas compris : « Les entreprises françaises bénéficiant d’une priorité, au nom d’une clause de langue, ne peuvent reprendre le même critère pour embaucher leurs ouvriers », l’article devient politique (affrontement élus régionaux de droite / gouvernement de gauche). C’est donc ici que s’arrête mon billet.
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