27/04/2017
Petites nouvelles du Front (IV)
Entre temps j’avais attaqué un autre livre d’actualité « Les territoires perdus de la République », sous la direction d’Emmanuel Brenner (pseudonyme, semble-t-il, de Georges Bensoussan, qui signe la postface de l’édition Pluriel de 2015). En fait ce livre est déjà ancien (première édition en 2002) mais il est tellement cité et pris pour référence que j’ai eu envie de le lire.
Écrit par des professeurs, il est d’une grande qualité formelle et se lit d’une traite, bien que les témoignages racontent tous la même histoire (ce qui pourrait a priori être lassant). Le fond est hallucinant : passé la préface, centrée uniquement sur l’antisémitisme, on entre dans la vie scolaire d’aujourd’hui (à vrai dire, d’il y a 15 ans déjà, c’est cela qui donne froid dans le dos), telle que la subissent les professeurs et ceux des élèves qui veulent apprendre. C’est un peu « Derrière les murs » mais sans la bien-pensance ni l’infinie tolérance de son héros : agressions verbales, racisme, haine de la France et d’Israël, tropisme palestinien exacerbé, démission de l’Administration, lâcheté… la liste est longue et monotone. On sort du livre « essoré ».
Parmi les nombreux témoignages, j’ai distingué ceux de Marie Zeitgeber « Tristes banlieues », de Barbara Lefebvre « Des barbarismes à la barbarie », de Arlette Corvarola « L’abandon », de Élise Jacquard « Un cas de dés-école ». À noter aussi la lettre de Jack Lang au personnel de l’Éducation nationale le 2 avril 2002.
Mme Zeitgeber commence par décrire les cadres familiaux dans lesquels vivent de nombreux élèves de son collège de banlieue, collège dont les résultats ne font que chuter. Elle note : « L’avenir de Martine, et de combien d’autres, est corrélé au succès de la concurrence entre la loi des cités et la loi républicaine qui est transmise et représentée par l’école » mais aussi « (Les professeurs) réussissent même souvent à entendre la demande d’amour, d’attention, de reconnaissance, d’autorité, exprimée par des déferlements de violence verbale, voire physique » et « Les défis se renouvellent avec pour enjeu de faire craquer le prof : le faire pleurer en public, le pousser à quitter la classe, à demander l’intervention d’un aide-éducateur, d’un surveillant ou, mieux, du principal ». Au total « Ce ne sont donc pas moins de trois cent cinquante élèves qui vivent sous l’emprise d’une terreur permanente. Une petite minorité impose une loi quasi mafieuse sur l’ensemble de leurs congénères, en dehors du collège mais aussi en classe sous les yeux mêmes des professeurs ». Puis vient le paragraphe sur l’abandon : « De compromis en concession, le collège fonctionne dans le déni des principes qu’il s’est fixés jusqu’à devenir le cadre de situations dramatiques » et celui sur l’analyse : « Mais cette solution (le repli massif sur la culture d’origine) est lourde de conséquences, notamment quand la culture de référence prône la détestation d’une civilisation occidentale qui s’enlise dans la culpabilité et la haine de soi ». Et enfin (je résume) la conclusion : « L’imprégnation de codes extérieurs à l’école, la peur et la lâcheté ont plongé l’institution scolaire dans l’aveuglement et le déni. Faire valoir la liberté des femmes et des jeunes filles, relever les comportements racistes, les propos et les actes antisémites, dénoncer la loi du silence, l’oppression exercée et subie par les élèves, c’est prendre le risque à tout coup de passer pour alarmiste pour le moins, hystérique, fasciste, extrémiste, voire communautariste, mais jamais simplement pour le porte-parole des lois et des valeurs républicaines » (pages 177 à 204).
Tout cela a été écrit en 2002 et tout a continué…
Récemment, le hasard a fait que j’ai retrouvé un article du journal Marianne datant du 12 février 2011 (six ans déjà). C’était au temps de M. Cameron ; il proclamait l’échec du modèle anglais (d’intégration), comme Mme Merkel prononçait à la même époque l’échec total du multiculturalisme, même lorsqu’il se camoufle sous le culte incantatoire du métissage culturel. « Au fond, écrit le journaliste Éric Dior, nombre de dirigeants de l’Europe du Nord conviennent que rien ne peut remplacer le goût de la langue et de la patrie d’adoption ». M. Cameron plaidait contre « l’angélisme d’élites ravagées par une bien-pensance à laquelle elles ne croient même plus ».
Qu’a-t-on fait de toutes ces années qui ont passé ?
07:30 Publié dans Actualité et langue française | Lien permanent | Commentaires (0)
24/04/2017
Petites nouvelles du Front (III)
Entre temps, j’avais regardé « La grande librairie » de France 5, le 13 avril 2017, dans laquelle, comme souvent, François Busnel accumulait flagornerie (pensez donc, c’est pas tous les soirs qu’on cause avec un professeur au Collège de France…) et sensationnalisme (pensez donc, c’est pas tous les soirs qu’on rencontre un écrivain francophone du Maghreb passionné par la langue française et qui n’a jamais voulu écrire en arabe, sa langue maternelle… D’où l’irrépressible envie de M. Busnel de lui demander trois fois si c’est bien normal tout ça, comme s’il fallait toujours renvoyer les gens à leurs origines et voir la trahison partout).
Le plateau, quant à lui, était alléchant : Claude Hagège, notre linguiste-monument national, Tahar Ben Jelloun, que l’on ne présente plus et dont Quarto édite une somme de onze de ses romans, Jean Pruvost, professeur à Cergy, qui présentait son livre « Nos ancêtres les Arabes » sur les (nombreux) mots français d’origine arabe et enfin Muriel Gilbert, correctrice au journal « Le Monde », qui a tiré de son expérience un petit livre intitulé « Au bonheur des fautes », dans lequel elle raconte ses irritations et parfois sa sympathie pour les fautes de ses collègues journalistes.
Je continue à ne pas être d’accord avec Claude Hagège quand il dit que l’anglais n’envahit que superficiellement la langue française car elle ne touche pas à ses structures (syntaxe). C’est être bien optimiste ! Par ailleurs, et c’est compréhensible, le professeur se place du point de vue du linguiste qui observe l’évolution des langues et exclut donc de son analyse des considérations politico-sociologiques comme par exemple cette question que j’ai souvent posée dans ce blogue : qu’est-ce qui pousse tant de Français (des jeunes mais pas uniquement) à s’exprimer à l’aide d’autant de mots venant d’une langue étrangère (et étrangère, elle l’est assurément pour eux !) ? et n’est-ce pas le symptôme d’un malaise et d’un renoncement profonds, qui s’observent dans d’autres domaines ?
Autre thème d’échange : une certaine admiration de nos deux universitaires pour la langue du rap, que je ne partage pas non plus, au motif que ses pratiquants enrichiraient le français par leur créativité.
Beaucoup d’érudition dans ces échanges, de cabotinage aussi et un peu d’humour, ce qui produit une bonne heure de télévision, agréable à écouter.
18/04/2017
Petites nouvelles du Front (I)
Cela faisait longtemps que je n’avais pas parlé de mes lectures dans ce blogue… et pour cause : d’une part les irritations linguistiques m’en empêchaient (voir les trois derniers billets) et d’autre part mes lectures, fort intéressantes et instructives, ne ressortissaient pas à proprement parler du domaine de la littérature.
J’ai ainsi lu le gros pavé d’Éric Zemmour, « Le suicide français » (Albin Michel, 2014), ouvrage fort commenté et à l’origine de nombreuses polémiques il y a quelques mois. Je ne peux pas nier qu’il est intéressant ; on le lit avidement, d’une part parce qu’il est organisé par petits chapitres chronologiques censés décrire des « ruptures » (dans le sens du renoncement et de la faillite d’un modèle) et d’autre part parce qu’il est écrit dans un style journalistique de qualité, avec des titres pleins et intrigants. On dévore donc cette succession de coups de gueule et de coups de sang envers des événements, des personnages, des chansons ou des films, qui ont fait l’histoire contemporaine de notre pays depuis le 9 novembre 1970, jour de l’enterrement du Général de Gaulle, jusqu’au 13 décembre 2007, jour de la signature du traité institutionnel « modificatif » de Lisbonne. Et franchement, on en apprend des choses car c’est extrêmement documenté, plein de détails issus des coulisses ou bien que l’on avait oubliés.
Le ton est volontairement alarmiste, voire désespéré : « La France se couche. La France se meurt » ; « Nos élites (…) somment la France de s’adapter aux nouvelles valeurs. Elles crachent sur sa tombe et piétinent son cadavre fumant » ; « Toutes observent (…) la France qu’on abat ».
L’auteur est un redoutable débateur et l’on reste souvent démuni ou ébranlé par la solidité de ses argumentations. Impossible de résumer 527 pages grand format, on peut seulement en recommander la lecture, ne serait-ce que pour s’exercer à contrer ses thèses quand on ne les partage pas (et aussi pour mesurer l’écart entre ce qu’on lit et ce qu’en ont dit ses collègues-journalistes à l’époque).
Mais je ne résiste pas à l’envie d’en citer deux passages qui résonnent avec les idées défendues (ou pourfendues) dans ce blogue.
D’abord le chapitre « 24 janvier 1981 : Dallas ou le changement d’âme » : « Mais la télévision frappait beaucoup plus fort que le littérature et même que Hollywood (…). Dallas se révéla une redoutable arme de colonisation des esprits, que les Américains appelèrent soft power (…). En France, les parents appelèrent leurs enfants Sue Ellen, Pamela ou même JR. La jeunesse se précipita vers les Mc-Donald’s qui ouvrirent au même moment (…). Des marchands habiles acclimatèrent dans nos contrées jusque-là rétives la fête des fantômes d’Halloween ; lors de leurs procès, les voyous appelèrent leurs juges Votre Honneur. La société française, imprégnée d’une triple culture catholique, révolutionnaire et communiste, s’agenouillait devant les cow-boys texans. Les esprits étaient mûrs pour un grand chambardement (…). Les GI’s, les chewing-gums et le coca-cola, le rock and roll et Hollywood avaient été la première étape essentielle d’une américanisation des esprits qu’avait fort bien annoncée un Paul Morand dans son roman des années 1930 Champions du monde ».
Ensuite, et dans un tout autre ordre d’idées, il faut lire le chapitre « 21 mars 1983 : le passage de la lumière à l’ombre », dans lequel Éric Zemmour explique comment « l’élite de la gauche française » conduisit « comme un chien d’aveugle Mitterrand et la gauche sur des chemins escarpés où ceux-ci ne voulaient pas aller et d’où ils ne reviendraient pas ». Pour la première fois, « l’État français se présenta devant les marchés internationaux pour financer sa dette, alors qu’il avait l’habitude de se tourner vers l’épargne nationale qui avait la réputation justifiée d’être abondante ».
Ce « tournant de la rigueur », cette adoption du libéralisme économique et de la mondialisation financière, nous en subissons encore les conséquences et son avènement à l’époque sert d’argument aujourd’hui pour déstabiliser tout projet de « relance keynésienne ». Quant à la fameuse dette et à la non moins fameuse « tyrannie des marchés », elles occupent toujours une large part des discours tant des politiques que des économistes. Et l’on reste songeur devant ce passage du livre : « C’est l’Europe qui avait précédé le monde et non le monde qui avait subverti l’Europe. Ce fut un quarteron de hauts fonctionnaires français qui imposa cette vision à l’Europe et au monde, contrairement à notre tradition protectionniste (et à nos intérêts nationaux ?) ». Accablant…
Comme on le voit, ce n’est pas le Vél. d’hiv. ni le statut des Juifs sous l’Occupation qui constituent le cœur de cet épais volume.
16:49 Publié dans Actualité et langue française, Économie et société, Zemmour Éric | Lien permanent | Commentaires (0)