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01/10/2021

"Journal de mes oreilles" (II) (Zoé Besmond de Senneville)

Là commence un autre délire : se replacer dans sa lignée familiale, explorer ses origines et découvrir que son état, somme toute, n’est pas étonnant (« J’ai relevé d’abord des traumatismes dans ma famille, avec toujours les mêmes mots posés dessus (…) Mon nom, c’est un mélange. Il y a des morceaux naturalisés français, des morceaux gardés pour la fierté de la noblesse, des morceaux collés accolés et des morceaux qu’on ne voit pas mais qui viennent de très loin »). Bon, et alors ?

« J’imagine mes grands-mères, il y a cinquante ans. Elles n’étaient pas libres de leurs corps (tiens, elles en avaient plusieurs chacune ?), de leur chemin, de leur sexualité. Je pense par exemple à toutes ces femmes qui devaient avorter clandestinement avec des méthodes qui mettaient leur corps (tiens, elles n’en ont plus qu’un seul chacune ?) en danger. Alors évidemment que mon corps en porte la mémoire » (page 84). C’est le « évidemment » qui est surprenant dans ce paragraphe.

En 2012, Zoé fait une retraite de dix jours, en silence complet et sans moyen de communication. Elle pense ne pas pouvoir tenir mais « J’identifie ma sensibilité, immense, vertigineuse. Il y a une foi qui naît en moi (…) Je rentre sonnée mais transformée » (page 86).

Un ostéopathe intrapelvien (sic !) lui promet quasiment de guérir, si elle le veut vraiment ! Comment peut-on propager de telles choses ? Comment peut-on donner de tels espoirs irrationnels aux autres malades ? Rappelons que l’otospongiose est une atteinte d’un des osselets de l’oreille interne, qui devient progressivement et irrémédiablement incapable de transmettre les vibrations sonores captées par le tympan !

En août 2020, elle écrit et enregistre un texte à destination de ses proches qui n’auraient « rien compris à ce qu’elle traversait ». Elle découpe ce texte en « épisodes » qu’elle publie sur Facebook, Instagram et Whatsapp, et, dit-elle, ce Journal est écouté ! Les encouragements émus se multiplient. Est-ce la première partie de ce livre dont je vous parle ? Ce n’est pas clair. Néanmoins, le réalisme semble enfin s’insinuer dans son esprit : « Je n’ai pas été courageuse, j’ai passé deux ans à pleurer et à insulter des audioprothésistes ! ». Ouf ! Mieux vaut tard que jamais. L’enfant gâté (et trop écouté ?) ouvre enfin les yeux (« M’aimer moi-même avec mon handicap et la grande imperfection de mes oreilles ») ; pas trop tôt, après toutes ces consultations, ces groupes d’écoute, ces gourous rencontrés !

Elle envoie son texte à une radio ; un éditeur lui répond, puis une journaliste de Télérama ! Et cela devient viral. C’est fou ce que c’est simple pour certaines personnes.

Page 99, Zoé attaque un autre chapitre de ses « malheurs » : ses intolérances digestives et ses allergies. Et ses parades : naturopathie et yoga Kundalini. Passionnant.

Page 121, elle s’aperçoit que, quand elle parle de son handicap aux autres, ceux-ci compatissent, cherchent à bien faire, cherchent à l’aider ! Bien sûr, elle est obligée de « faire répéter » et c’est très désagréable, de ne pas entendre aussi, naturellement.

Enfin, page 131, commence la troisième et dernière partie (ouf !) : CRÉER (BORDEL). À la fin, elle écrit à Beethoven… Et moi, je m’arrête, épuisé par ces délires et ces avalanches de mots. Je me dis que c’est idiot d’avoir passé tant de temps à écrire tant de choses sur un livre que j’ai trouvé insignifiant, pleurnichard et incohérent.

Itinéraire d’un enfant gâté ?

29/09/2021

"Journal de mes oreilles" (I) (Zoé Besmond de Senneville)

Imposture !

Rarement ai-je eu l’occasion d’acquérir pour 15 € un livre aussi peu intéressant, aussi narcissique et aussi désinvolte envers ses lecteurs…

Figurez-vous que la belle (l’auteur) avait réussi à se faire inviter par Léa Salamé dans le 7-9 de France Inter (on se demande bien grâce à quels appuis), et c’est ainsi que j’ai entendu parler de ce « récit » publié début 2021. On ne sait ce qui est le plus désolant, de l’opportunisme de l’auteur, du manque de discernement de la journaliste, de la docilité de la chaîne face à un éditeur ou à un papa insistant…

Cela étant, l’entretien était suffisamment bien mené de part et d’autre pour que j’aie envie d’en savoir plus ; j’ai amèrement regretté ces 15 € payés à Flammarion (oui, Flammarion, s’il vous plaît !).

À l’origine du livre, la vraie souffrance d’une jeune femme qui découvre à vingt-cinq ans qu’elle devient sourde et sujette à des acouphènes. La quatrième de couverture, sans doute écrite par l’éditeur, entretient la même ambigüité que Mme Salamé, sur le contenu et la teneur réels du livre, puisqu’on y lit : « Comme Beethoven (rien de moins !). C’est le début d’une bataille et d’une acceptation. Avec grâce, joie, lyrisme, Zoé raconte, cherche à guérir, et s’interroge ». Or ce n’est pas du tout ce que l’on ressent dès les premières pages du livre. Pas tellement de bataille, pas tellement d’acceptation, absolument aucune grâce ni lyrisme… Il y a quelques années le livre d’Emmanuelle Laborit, « Le cri de la mouette », avait au contraire beaucoup ému, d’autant qu’il n’était aucunement « victimaire ». Ce livre n’est pas cité dans la bibliographie de Mme Besmond…

Passons sur le titre, « Journal de mes oreilles »… À notre époque de dévoilement généralisé (si l’on peut dire, mais ce n’est pas mon sujet), qui fait de déballages sur l’intestin ou le vagin de telle ou telle, des succès de librairie, c’est un moindre mal.

Tout commence par la préface due à Estelle Meyer, qui semble être une sorte de gourou pour Zoé, en tous cas celle qui l’a accueillie dans un cercle de femmes, où l’on vise à devenir « des putains de déesses » (sic !). Le texte se veut lyrique et poétique, sauf qu’on apprend que son second prénom, Geneviève, « l’avait fait chier longtemps ». « Écrire pour Zoé, c’est essayer d’écouter le coquillage de l’autre, le grand chant qu’elle déploie ». Plus loin : « pour découvrir toute l’ampleur de celle que vous vous apprêtez à lire ». Bigre, on est effectivement au-delà de Beethoven…

Le cercle a fonctionné un an ! « J’ai vu Zoé danser nue sur son arbre généalogique ». « J’ai rencontré Zoé il y a un an. C’est comme une bourrasque dont le tremblement m’ébranle encore ». Bon, dommage, le film sur la jeune fille en feu est déjà sorti…

Le récit proprement dit commence le 5 mai 2020, et Zoé se réjouit du calme lié au premier confinement dû à la pandémie. Elle se rappelle qu’en janvier 2018, elle s’était résolue à voir des médecins (« ceux que je n’aime pas »), après avoir improvisé des traitements. Verdict du scanner : otospongiose bilatérale (deux oreilles) cochléaire (oreille moyenne). Elle est « en colère » et le médecin « ne lui propose rien », sauf que « un jour, il faudra appareiller ».

C’est très difficile à croire ! Aujourd’hui, cette maladie héréditaire se soigne par la chirurgie (remplacement des « osselets » atteints de l’oreille interne, par des prothèses minuscules). Zoé, elle, demande à avoir des appareils auditifs tout de suite. Elle pleure beaucoup (ça fait des paragraphes et des paragraphes) et règle leur compte aux audioprothésistes (Ils sont accusés de faire la promotion de leur produit dernier cri et très cher, mais elle, que fait-elle avec son bouquin ?).

Elle enfonce des portes ouvertes (au début, c’est très bruyant avec les appareils ; ensuite le cerveau s’y habitue et corrige, etc.). Et chez elle, il y a manifestement beaucoup de portes…

Le langage est à la hauteur : « Quoi ? je dois payer 2000 euros pour ça alors que ça me fait hypermal ça ne rétablit rien j’ai l’air d’une débile tu me vends ta came tu m’as prise pour une conne tu fais du business je suis malade personne ne m’a préparée je ne les supporte pas » (page 28 – heureusement, il n’y en a que 161). Assez souvent notre auteur, modèle d’art, comédienne et poète, se dispense de ponctuation ; ça fait « style », sans doute. Par ailleurs, le livre est truffé d’emplois abusifs de « ce qu’il » au lieu de « ce qui ». Par exemple, page 103 : « Le déni, c’est tout ce qu’il s’est passé avant le diagnostic ».

Elle change d’appareils, et de prothésiste et « l’insulte toujours ». Elle est reconnue travailleur handicapé et indemnisée, elle commence à essayer de lire sur les lèvres (capacité très difficile à acquérir, soit dit en passant)… Enfin, au bout d'un an, ses émotions se tassent, elle ne sent plus ses appareils. Mais pendant l’été qui suit, elle les enlève, ce qu’il ne faut jamais faire. Cette jeune femme semble vraiment très mal suivie, ou alors d’une aptitude sans fin aux caprices… Elle se tourne vers les médecines parallèles, est fascinée par les disparitions de cellules cancéreuses sans l’intervention des médecins (?), se plonge dans la psychogénéalogie et finit par se persuader qu’elle est en chemin vers la guérison ! Mais elle fait une chute de vélo et perd ses appareils (qui étaient non pas autour ses oreilles mais dans son sac). C’est un nouveau délire contre l’audioprothésiste. Quatre pages pour raconter sa recherche des petits objets bleus… Fin du nième épisode page 46.

Page 53, le lecteur commence à saturer car les difficultés de notre narratrice, si elles sont réelles et inspirent naturellement beaucoup de compassion, ne justifient nullement un livre ; rien n’étant « transposé », ce ne peut être de la littérature ; rien n’étant informatif ni recommandable comme comportement, cela ne peut pas servir de reportage ni de témoignage (au contraire, j’ai tendance à penser que le récit ne peut que perturber ou faire paniquer des personnes atteintes du même mal ; c’est quasiment de la désinformation quant aux traitements disponibles). À ma connaissance, bizarrement, aucun ORL ni aucun audioprothésiste n’a été appelé à rétablir un peu de vraisemblance dans son manuscrit – licence poétique permise à « l’artiste », sans doute, ce qui permet de raconter n’importe quoi…

Dans son malheur, mis à part la kyrielle de médecins de toutes sortes (les vrais et les moins vrais) qu’elle consulte à tour de bras (et qui ne la guérissent pas – et pour cause !), elle a la chance (Papa est derrière) de se faire aider par des orthophonistes, un psy, un magnétiseur, un ostéopathe crânien, un auriculothérapeute… (les points de suspension sont de Zoé !). Songez-y : elle en est à sa troisième paire d’appareils en moins d’un an et elle a rencontré cinq audioprothésistes ! Ce qui ne l’empêche pas de dézinguer encore un grand patron qu’elle est venue consulter. Cher État-Providence !

Page 72, le lecteur ne peut plus supporter l’exposé de tant de narcissisme et d’infantilisme. Pour meubler, Mme Besmond intercale des pages de dialogue imaginaire avec son « amour » Oto, comme elle l’appelle, pour se la jouer poète inspiré.

Page 77, son récit est terminé, la seconde partie commence, qui s’intitule « GUÉRIR (PUTAIN) ». « J’ai appris la méditation transcendantale, fait des huttes de sudation, des actes de psychomagie, des séances d’hypnose, de reiki, de magnétisme, des psychophanies, établi mon arbre généalogique… Toutes ces pratiques m’ont guidée vers un chemin spirituel puissant. Un chemin spirituel à mener. Une quête » (page 81).

27/09/2021

Du jamais lu...

On en apprend tous les jours… à condition de savoir distinguer entre le vrai savoir et l’information erronée ou manipulée, ce qui est parfois difficile.

Le « genre » des mots et la syntaxe du français ont été mis en question par les féministes jusqu’au-boutistes il y a quelques années et on a pu voir, comme une traînée de poudre (de maquillage ?), les ravages de l’écriture dite inclusive chez les suiveurs professionnels (en vrac : l’enseignement supérieur, la presse bienpensante, les municipalités « écologistes » et bien sûr les militants « progressistes »). On subit aussi les « auteure », « autrice », « écrivaine », « cheffe de », j’en passe et des meilleures. L’Académie a eu beau se déclarer hostile, puis récemment accepter du bout des lèvres la féminisation des noms de métier et des titres ; M. Édouard Philippe, quand il était Premier Ministre, a eu beau interdire l’écriture dite inclusive dans l’Administration… La guerre de tranchées linguistique autour de la féminisation fait rage, et on sait qu’en France, ce genre de guerre peut être rude.

C’est dans ce contexte que j’ai découvert dans une revue corporatiste datée de mars-avril 2021 un article de Mme Mathilde Larrère, maître de conférences à l’Université Gustave Eiffel (je n’ai pas cru devoir reproduire l’horrible « maîtresse de conférences » commis par le rédacteur de l’article, Mme Sophie Chyrek) et spécialiste des révolutions du XIXème siècle, à propos de son livre « Rage against the machisme » (c’est cela aussi l’intersectionnalité ? l’alliance de la soumission à l’anglais et de la fureur contre les hommes…).

Le rédacteur lui demande quand commencent les luttes des femmes pour l’égalité. Mme Larrère répond que cela date d’avant la Révolution française mais que « cela ne fait pas mouvement ». Et sans transition, elle dit « la féminisation de la langue, que l’on réduit encore à un point médian, en est un bon exemple ». Un bon exemple de quoi ? Quel rapport entre l’avant-Révolution et cette revendication d’aujourd’hui ? Je note en passant qu’elle appelle de ses vœux une féminisation qui aille bien au-delà du gadget du point médian…

Mais l’incise atteint son but puisque la journaliste saisit immédiatement la perche qui lui est tendue : « Comment s’opère la masculinisation de la langue ? ».

Réponse de la maîtresse : « Elle commence au XVIIème siècle par un travail volontaire de l’Académie française, assumé et soutenu par l’État et l’Église, qui ont tous deux intérêt à réduire le pouvoir féminin. Certaines femmes vont bien sûr se dresser contre cette masculinisation de la grammaire et celle des noms de métier qui avaient à l’époque une forme féminine et masculine. Et ce combat va ressortir à chaque fois : pendant la Révolution française, en 1848 et, bien sûr, aujourd’hui. Ce n’est pas une lubie du XXIème siècle ».

Ah bon, la langue a été masculinisée ? Encore un horrible complot sans doute. Je n’avais jamais rien lu de tel… mais comment être convaincu alors que tout le reste de l’article est « militant ». Il ne concerne plus la langue, donc je m’arrête là, mais il est de la même eau : magnifique Révolution de 1789 car elle écoute les femmes ; horrible Empire napoléonien car il instaure le Code civil qui les fait rentrer dans le rang ; magnifique Commune de Paris car « elle ne s’écrit pas au masculin »…