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15/10/2020

Irritations linguistiques LXVII

Je viens de retrouver un article de « La Tribune », sous la plume de Michel Cabirol, daté du 28 juin 2017. Il concerne l’ancienne Direction des Constructions navales. Son PDG, Hervé Guillou, tenait vraiment beaucoup au changement de nom de son groupe en dépit du manque d'enthousiasme de son conseil d'administration. Fini donc DCNS, place à Naval Group, un nom anglo-saxon. Certains administrateurs de l'État (Direction générale de l'armement et l'Agence des participations de l'État) auraient évoqué un manque de transparence, voire de déloyauté sur la méthode de la direction de DCNS.

"Nous avons besoin d'un trait d'union entre notre passé et notre vocation, la mer et les bateaux", a expliqué Hervé Guillou à des journalistes.

Avant Hervé Guillou, plusieurs grands patrons du secteur ont souhaité changer le nom de leur groupe pour « impulser une nouvelle dynamique » : Thales (ex-Thomson CSF), Airbus (ex-EADS), Safran (ex-Snecma et Sagem), Nexter (ex-GIAT Industries), ODAS (ex-Sofresa). Pour Naval Group, le coût de cette opération va s'élever à près de trois millions d'euros, dont les deux tiers seront nécessaires pour le changement de la signalétique du groupe et un tiers pour la communication.

On pense aussi à Vivendi, Véolia, ENGIE et tant d’autres…

Pour Hervé Guillou, « DCNS » n'évoquait rien à l'étranger, ni chez les jeunes. "Notre société manquait de lisibilité à l'international et chez les jeunes quand on cherchait à recruter de nouveaux talents". Avec Naval Group, c'est "simple, international et intelligible dans toutes les langues" (surtout en anglais !, NDLR), a pour sa part estimé la directrice de la communication de Naval Group, Claire Allanche.

"La création d'une marque forte, fédératrice, incarnant en un seul mot notre vocation et notre héritage, forgé au cours de 400 ans d'innovation navale, répond à deux défis majeurs : d'une part, accroître notre rayonnement à l'international, pour développer notre leadership et conquérir de nouveaux marchés dans un contexte de durcissement du paysage concurrentiel ; d'autre part, attirer les talents et fidéliser nos collaborateurs est un enjeu essentiel pour garantir, dans le domaine naval, le renouvellement des compétences critiques nécessaires au soutien durable de la souveraineté de la France et de ses partenaires", a ajouté le patron du nouveau Naval Group, ce qui est une façon emphatique, beaucoup moins concise, de dire la même chose.

Bref, c’est toujours le même baratin ; on dépense des millions pour du superficiel, en se justifiant par la nécessité de répondre à la concurrence, d’attirer les jeunes, d’améliorer son image, etc. ; bref tout est bon pour donner du lustre à une réformette, qui cache en fait une impuissance (Google et Amazon se sont-ils demandé si leur marque « parlait » aux clients du monde entier ?) et parfois un souhait de faire oublier le passé (avec un nouveau nom, on redémarre à zéro).

Quelle est donc cette mésestime de soi – tellement française – qui fait que l’on recherche sans cesse un vernis anglo-saxon ?

D’autant que le pouvoir d’évocation d’un nom est très variable selon les gens ; Éric Zemmour mentionne chaque fois que « ENGIE » le fait penser aux Rolling Stones et à rien d’autre…

Dans l’économie mondialisée libre-échangiste, où la concurrence est effectivement féroce et où tous les coups semblent permis, on peut néanmoins comprendre que les David gaulois cherchent à exister face aux Goliaths d’Outre-Atlantique et d’ailleurs… mais il y a pire, il y a l’américanisation de l’intérieur, celle qui ne répond à aucune menace concurrentielle, celle qui n’est que soumission et vassalité volontaires !

Ainsi la Gendarmerie Nationale – dont la mission régalienne s’exerce en situation de monopole (pour l’instant…) – vient-elle de créer une nouvelle section baptisée « Cold cases » qui sera chargée de reprendre l’analyse des affaires classées sans avoir été élucidées ; l’impact des séries télévisées américaines est ici flagrant : on utilise le vocabulaire que les gens sont supposés avoir intégré, abreuvés qu’ils sont de feuilletons policiers bricolés industriellement à Hollywood. En fait, on considère que les gens ne comprendraient pas une autre terminologie (par exemple : « affaires classées »). Je tiens cette information du bulletin de France Inter le 11 octobre 2020, à 8 h 30, bulletin au cours duquel le nouveau nom a été martelé dix fois, afin qu’on se le mette bien dans la tête et qu’on ne risque pas de le franciser (auquel cas, les policiers d’élite concernés se sentiraient sans doute dévalorisés…).

05/10/2020

Les mots français à la mode XVI

Les citoyens français ont découvert dans un discours de M. Emmanuel Macron de l’été 2020, l’expression « État profond », sans bien sûr savoir ce qu’il recouvrait. C’est un concept de science (?) politique qui décrit des situations où le pouvoir démocratiquement élu se heurte à des résistances venant de l’Administration ou de la connivence entre une partie de cette Administration et des intérêts particuliers. L’économiste Jacques Sapir indique dans son article de Front populaire n°2 (septembre 2020), en page 11, que l’expression serait attribuée au Premier Ministre turc Bülent Ecevit et décrirait la situation de la Turquie dans les années 1960-1980.

Ici on connaissait « La France profonde », avant que M. Raffarin n’ose parler de « France d’en-haut, France d’en-bas », ce qui avait, il faut bien le noter, le mérite de la pertinence et de la franchise. Je ne sais pas pourquoi, l’expression me fait plutôt penser à la « gorge profonde » (deep throat) qui rôdait derrière le scandale du Watergate (sous Nixon).

Bref, j’ai l’impression que le concept va surtout servir aux politiciens qui trouveront là un bouc émissaire commode, excusant leur inaction ou leurs échecs. Mais il est vrai qu’en France, l’Administration et ses hauts fonctionnaires, inamovibles, « regardent passer les ministres » et résistent à leur velléités de changement (l’exemple de Bercy semble caricatural, à tel point que, pour abandonner la politique néolibérale de la France, qui dure depuis 1983, il faudrait sans doute remplacer tout le personnel de tous ses services centraux…). Au contraire, aux États-Unis, ils partent, en principe, dans les cartons de leurs ministres respectifs (mais il paraît que ce n’est pas si net)…

On avait « communautarisme », qui évoquait la désastreuse tendance de certaines « communautés » à vivre repliées sur elles-mêmes, loin des lois de la République, et de privilégier donc l’identité religieuse, ethnique, d’origine, de couleur de peau, etc., alors que la République ne reconnaît que des citoyens, ayant les mêmes droits et les mêmes devoirs. Le problème du mot, c’est qu’il y a des « communautés » qui ne gênent personne (communauté de vue, communauté enseignante, communauté réduite aux acquêts, communauté nationale, etc.). Alors M. Macron, sans doute à juste titre, a préféré appuyer là où ça fait mal et utiliser le mot séparatisme, qui est beaucoup plus fort. En effet, peut-on accepter que des groupes « se séparent » et vivent en marge de la République, et avec leurs propres lois ?

« Clivant » est un mot nouveau puisqu’on ne connaissait pas d’adjectif attaché à « clivage » et surtout transposé dans le domaine de la communication et du comportement. En fait ce n’est pas tout à fait exact : le Larousse universel de 1922 indique que « cliver » vient de l’allemand kliebenet signifie « fendre un corps minéral (ardoise…) dans le sens naturel de ses couches ». Il signale aussi l’existence de l’adjectif « clivable ». L’usage moderne est donc assez pertinent, surtout qu’il rend bien l’idée de « séparer » en profitant de fissures pré-existantes (entre les groupes humains, à l’intérieur des partis politiques, etc.). Il me semble néanmoins que l’étoile de ce néologisme pâlit…

Sans doute pour lutter contre l’amateurisme ou le but uniquement lucratif  de certains organismes de formation, l’État a élaboré un référentiel qui permet d’habiliter les sérieux et de recaler les opportunistes : France Compétences (anciennement RNCP – Répertoire National des Certifications Professionnelles). Il y a des niveaux, des documents à élaborer et à faire valider, des audits, etc., dans une construction qui fleure bon la qualité, l’assurance-qualité et la sacro-sainte uniformisation européenne (unités de valeur, credits). Parmi ces documents : le syllabus.

Syllabus (Larousse universel en deux volumes, 1922) : mot latin signifiant « sommaire ». À l’origine, c’est l’énumération des points décidés dans un ou plusieurs actes de l’autorité ecclésiastique (par exemple une Bulle d’un Pape). Cela correspondrait à nos « relevés de conclusion » modernes. À rapprocher peut-être de  l’executive summary des Anglo-Saxons qui est une synthèse concise, un résumé d’un document ou d’une étude, à destination des dirigeants qui, c’est bien connu, n’ont le temps de rien. Manque de chance les Pontes de la formation ont choisi ce terme pour désigner les « plans de cours » qui sont désormais exigés (à juste titre) des enseignants dans tous les organismes qui souhaitent être agréés. Et comme il n’y a pas qu’un syllabus à élaborer, on parle de syllabi…

18/09/2020

Irritations linguistiques LXVI

Voici ce que j’ai reçu hier, via Les Échos :

Entrepreneur Coaching Day.jpg

« À plusieurs, on est toujours plus fort ! Aussi la Région Île-de-France se mobilise pour les entrepreneurs et se transforme, le temps d'une journée, en véritable « Maison des Entrepreneurs ».

Au programme :

  • Des séances de coaching avec des entrepreneurs aguerris
  • Un espace regroupant toutes les aides régionales destinées à soutenir les entreprises
  • Des master classes sur des thèmes pratiques
  • Des keynote pour assister aux témoignages d'entrepreneurs inspirants
  • Un espace de networking pour développer votre réseau

 Rendez-vous le samedi 3 octobre au siège de la Région Île-de-France, en présence de sa présidente, Valérie Pécresse ».

Comme vous le voyez, l’envahissement par le charabia franglais ne faiblit pas !

Autre chose : « d’initiative maladroite en retour de service bien pensant » (le titre est de moi). Lu dans le Figaro du 18 septembre 2020, sous la plume de Pierre Lepelletier :

«  Si nombreux dans l'opposition estiment qu'Éric Dupond-Moretti ne parvient pas à s'imposer en politique, l'ancien avocat a prouvé mercredi qu'il n'avait rien perdu de sa rhétorique. Lors de l'examen en hémicycle à l'Assemblée nationale du projet de loi sur la réforme des conditions de saisine du Conseil économique, social et environnemental (CESE), le ministre de la Justice a sèchement recadré la députée LR, Nathalie Porte.

Cette dernière, élue du Calvados, a soumis un amendement qui vise à inscrire dans la loi la nécessité d'un français correct pour pouvoir saisir le conseil. L'amendement a déjà été jugé défavorable dans un premier temps par Erwan Balanant, le rapporteur LREM du projet de loi. « Je trouve cela assez cocasse, mais aussi discriminatoire. On a des gens qui ont parfois des problèmes d’orthographe, ça peut arriver », a-t-il souligné, évoquant, pour illustrer son propos, le cas des députés. « Je ne suis, par exemple, pas le plus brillant en orthographe », a indiqué le rapporteur.

Le Garde des Sceaux a ensuite pris le micro, et déroulé : « Pardonnez-moi, Madame la députée, je suis très choqué par cet amendement. Je voudrais vous dire, mais je ne vais pas m'étendre là-dessus, que quelqu'un qui m'est très proche, et qui a la même nationalité que la nôtre, est allé un an à l'école et qu'elle n'écrit pas le français comme vous », a-t-il raconté. « Je pense en particulier à ma mère qui a quitté son pays d'origine pour fuir la misère et elle est arrivée dans ce grand pays », a évoqué Éric Dupond-Moretti.

Avant d'enfoncer le clou : « Je voudrais également vous dire que vous avez présenté votre amendement, et que vous avez dit : “Il devra-t-être.” Il y avait un “t” de trop, et pourtant, votre amendement, nous l'examinons». Imparable ».

Convenez que tout cela est pathétique !

Qu’un député de nos jours ressente le besoin de proposer un amendement pour exiger un « français correct » semble saugrenu mais il n’est que de lire ce qui s’écrit autour de nous pour constater qu’en effet la langue française est malmenée et parfois massacrée sans vergogne par nombre de nos concitoyens.

Que le rapporteur de la commission brandisse aussi sec le mot (à la mode) qui tue, « discrimination », est consternant. Jusqu’où ira-t-on (avec un t !) dans la bienpensance, la complaisance et le misérabilisme ? Ce n’est pas tout : il se croit obligé de proclamer son faible niveau en orthographe ! Lui, un élu de la République, lui qui fait les Lois !

Que le Garde des Sceaux se dise « très choqué » par l’initiative est étonnant. Réagissant à un événement grave (violences, attentat…), il n’aura plus beaucoup d’adjectifs à sa disposition pour exprimer ses sentiments…

Qu’il nous resserve la tarte à la crème moderne des origines modestes est la cerise sur le gâteau ! À croire qu’ils ont tous une mère « femme de ménage » ou immigrée ; M. Darmanin et même M. Onfray ne sont pas avares de ce genre de confidences « spontanées »…

Conclusion : oui, il y a urgence à ré-enseigner l’orthographe (qui, par étymologie, est obligatoirement « correcte ») ; oui, vouloir l’imposer dans les conditions de saisine du CESE est mal à propos mais n’a absolument rien de choquant ni de « discriminatoire » ; oui, rapporteur et Garde des Sceaux auraient mieux fait de se taire.