13/10/2021
"La France n'a pas dit son dernier mot" (Éric Zemmour) : critique (II)
Deuxième constat : le récit n’est pas ce qu’en ont dit les médias ni ce qu’en disent ses adversaires politiques, nombreux, en ce début d’automne 2021, à six mois de l’élection présidentielle. Essentiellement, on lui reproche sa « transgression » sur le rôle de Pétain pendant l’Occupation, sa supposée misogynie (le fameux pamphlet « Le Premier sexe »), sa harangue pour des prénoms « français » (caricaturée en projet de « rebaptiser tous les mal-prénommés ») et ses convictions anti-immigration de masse (caricaturées en projet de « remigration »). C’était prévisible mais horripilant. Passons sur la principale et ridicule critique de M. Laurent Ruquier qui s’est obnubilé sur le nombre de « dîners en ville » que raconte Éric Zemmour… Il y en a beaucoup en effet – son réseau est étendu et il en tutoie la plupart des membres – mais étalés sur quatorze années ! Et on peut comprendre qu’un journaliste politique ne convoque pas ses interlocuteurs dans son bureau mais les rencontre aux moments et lieux où ils sont disponibles, à savoir au cours des repas. M. Ruquier s’est étranglé aussi parce qu’il avait lu, page 19, « Mon triomphe médiatique à CNews n’arrange pas mes affaires »… et évidemment, cela n’arrangeait pas non plus les mesures d’audience de M. Ruquier…
Il en a fait des tonnes également à propos de la phrase suivante, extraite du chapitre « Leur suicide, ma victoire » consacré à son invitation à « On n’est pas couché » du 2 octobre 2014 : « son metteur en scène, un jeune éphèbe qui, si j’en crois le portrait élogieux qu’en fit Ruquier, avait du génie du seul fait qu’il était gay » (page 189). Stricto sensu, cela signifie que le portrait de L. Ruquier (dont É. Zemmour ne reproduit pas le texte mais que L. Ruquier s’est bien gardé de rappeler) était creux et attribuait les qualités du jeune homme uniquement à son orientation sexuelle (que nous n’avons pas à connaître et qui ne nous importe pas, soit dit en passant). Donc É. Zemmour, littéralement, ne prend pas parti, ne donne pas d’avis sur l’artiste en question, et se contente de reproduire ce qu’il a retenu de l’intervention de L. Ruquier. Donc mauvais procès, plutôt ridicule. Mais il est vrai que É. Zemmour, à son habitude, joue parfaitement de son habileté rhétorique pour laisser entendre que…
Et à côté de ces attaques de mauvaise foi, peu ou pas d’argumentations sur le fond. Du moins jusqu’à présent ; le débat avec Michel Onfray, le 3 octobre 2021, a contrario, a permis une confrontation d’analyses argumentées.
Le récit n’est pas non plus ce que certains prétendent qu’ils auraient voulu qu’il soit : un programme électoral. Il s’agit de comptes rendus d’entretien avec la plupart des responsables politiques actuels, de « confidences » sur tel ou tel, de réminiscences sur ce qui l’a enchanté dans le monde d’avant et de portraits de ses très nombreux interlocuteurs, parfois féroces (les portraits) : Serge July, Julien Dray, François Bayrou, Alain Minc, Dominique Baudis, Jean-Luc Mélenchon, Michel Noir, Nicolas Sarkozy, Jean-Christophe Cambadélis, Gérard Longuet, Christophe Guilluy, Hughes Dewavrin, J.-F. Copé, Xavier Bertrand, Christian Vanneste, J.-L. Borloo, Yann Moix, J.-M. Le Pen, Daniel Keller, Alain Madelin, Jean-Claude Mailly, Jacques Toubon, Max Gallo, Gilles Kepel, Patrick Kron, Charles Pasqua, Boualem Sansal, Régis Debray, Frédéric Mion, Nicolas Dupont-Aignan, Emmanuel Todd, Cédric Lewandowski, Édouard Balladur, Pierre Bédier, Gilles Clavreul, Laurent Wauquiez, Marine Le Pen, Patrick Devedjian… comme on le voit une écrasante majorité d’hommes « de droite » selon la catégorisation traditionnelle. Le moindre intérêt de ces comptes rendus d’entretien n’est pas de découvrir l’écart – parfois le grand écart ! – qui existe entre les avis et convictions privés et les déclarations publiques (voir les chapitres sur J.-F. Copé, X. Bertrand et Y. Moix par exemple).
07:00 Publié dans Actualité et langue française, Économie et société, Essais, Histoire et langue française, Littérature, Livre, Société, Zemmour Éric | Lien permanent | Commentaires (0)
11/10/2021
"La France n'a pas dit son dernier mot" (Éric Zemmour) : critique (I)
Le dernier livre d’Éric Zemmour, « La France n’a pas dit son dernier mot » (Rubempré, 2021) est un peu la suite de « Le suicide français » (2014) et de « Destin français » (2018) et, si l’on se limite aux titres, on peut penser que c’est le retour de l’espérance ou du moins de l’envie de ne pas baisser les bras : le pays se serait suicidé, son destin serait donc la disparition mais, en fait, non, il veut (peut) redresser la tête. Que cette « suite éditoriale » soit la conséquence ou au contraire le fondement d’une ambition politique (présidentielle en l’occurrence) est une discussion qui n’a pas sa place dans ce blogue. Je veux simplement, comme d’habitude, rendre compte d’une lecture et commenter les points qui m’ont intéressé ou déplu.
Premier constat : ce livre est construit comme un journal, contrairement aux précédents ; c’est le récit chronologique des échanges que le journaliste politique a eus avec des gens en vue depuis 2006 et jusque décembre 2020, mis à part la longue introduction et bien sûr la conclusion, plutôt brève.
- Sur la forme, c’est « Choses vues » de Victor Hugo, auquel il se réfère explicitement.
- Sur le fond, c’est la substance de ses deux ans de chroniques sur la chaîne CNews, dans l’émission « Face à l’info » de Christine Kelly. Ses auditeurs fidèles ne seront pas surpris ; ils trouveront ici écrit le développement de ses analyses à l’antenne, ainsi que ses principales références (« Les origines de la France contemporaine » de H. Taine, « Le choc des civilisations » et « Qui sommes-nous ? » de S. Huntington, A. Tocqueville, « Les Illusions perdues » de H. de Balzac, « Qu’est-ce qu’une nation » d’Ernest Renan, « Kaputt » de Malaparte, « L’éloge des frontières » de Régis Debray, « La semaine sainte » de Louis Aragon).
18:22 Publié dans Actualité et langue française, Économie et société, Essais, Histoire et langue française, Littérature, Livre, Société, Zemmour Éric | Lien permanent | Commentaires (0)
03/10/2021
Irritations linguistiques LXVIII
L’Union européenne (et non l’Europe comme on nous le dit trop souvent – on peut être européen et être opposé à l’Union européenne telle qu’elle a été faite par les libéraux et les marchands. Plus exactement, on est de toutes façons européen, c’est un fait) se mêle de tout, c’est bien connu.
Il y a donc un dispositif européen qui a conduit à l’expression écrite FALC, à savoir « Facile à lire et à comprendre ». C’est une façon d’écrire qui a pour but de faciliter la compréhension pour les publics souffrant de difficultés de lecture (handicap mental, déficience intellectuelle et, plus gênant, non-francophones). L’idée est d’utiliser des phrases courtes, des mots simples, avec une mise en page aérée.
L’encart paru dans le journal de la MACIF (janvier 2021) indique que de plus en plus d’informations gouvernementales ou administratives, comme les recommandations liées à la pandémie COVID, existent maintenant en version FALC.
On peut approuver cet effort pour se faire comprendre de tous et faciliter la vie de personnes handicapées. Et après tout, « utiliser des phrases courtes, des mots simples, avec une mise en page aérée » est le b-a-ba de la communication par l’écrit (dans la vie courante, nul besoin de s’exprimer comme Marcel Proust). Mais on peut aussi craindre une nouvelle attaque (évidemment bienveillante) contre la langue et la façon de l’écrire. Ici on simplifie, alors que l’écriture dite inclusive en rajoute ! On est cerné…
Et malheureusement, cette simplification (qui pourra parfois supprimer les nuances que le français excelle à rendre) intervient dans un contexte de baisse extrêmement inquiétante du niveau des jeunes Français : vocabulaire pauvre, ignorance des règles de la syntaxe, disparition du mode subjonctif et du passé simple de l’indicatif, confusion entre le futur et le conditionnel, etc. Elle pourrait donc être un moyen de reconnaître, voire de favoriser et de pérenniser, les clivages (et la facilité) : la langue des Classiques pour l’élite, le FALC pour les autres. Si tu ne viens pas à la langue, la langue ira à toi, en somme. N’est-ce pas déjà le cas ?
Voici l’exemple donné par le journal : au lieu d’écrire « nul ne peut faire l’objet d’une discrimination à raison de son origine, de son apparence physique ou de son orientation sexuelle, s’il souhaite accéder à un établissement », on écrira « nous avons tous le droit d’être accueillis dans un établissement sans faire de différence ». Mauvaise pioche ! D’une part la nouvelle formulation embraye d’emblée sur le « droit à », démagogique et démobilisateur, et d’autre part elle n’a aucun sens ! C’est l’établissement qui ne doit pas faire de différence, et non pas la personne « qui a le droit » et sera accueillie. Or le sujet est commun aux deux parties de la phrase... L’enfer est pavé de bonnes intentions.
De façon amusante, je suis tombé, en écrivant ce billet, sur la page 79 du Marianne du 3 septembre 2021 traitant d’une n-ième recherche (en test-beta) de Google : commander son téléphone par ses expressions faciales (hausser les sourcils, ouvrir la bouche, sourire, lever les yeux (au ciel)…). Et voici ce qu’écrit le journaliste Nicolas Carreau : « Au départ, et comme souvent, ce nouveau prodige technologique était destiné aux personnes à mobilité réduite. Mais c’était oublier une nouvelle fois la fainéantise des valides (NDLR : voir plus bas le validisme), qui se rueront sur cette nouveauté pour économiser un peu de forces supplémentaires ». Donc, effectivement, à quand le FALC pour tous ?
À l’opposé, je me suis régalé en lisant la présentation, dans le Figaro magazine du 16 octobre 2020, du livre « Le grand quizz de la littérature française » (100 pages, 7,90 €) : « Le français est une langue d’une richesse inépuisable. La diversité de son vocabulaire permet d’exprimer toutes les nuances d’une idée ou d’un sentiment. Mais l’on peut aussi choisir de jouer sur l’ambiguïté et s’amuser, par exemple, avec le sens figuré d’une expression. Sans oublier le rôle de la ponctuation, qui, avec l’ajout ou le déplacement d’une simple virgule, modifier complètement le sens d’une phrase. Bref, la langue française peut être un jubilatoire terrain de jeu pour tout un chacun et plus encore pour les écrivains ! ». Tout est dit.
Ah, le vocabulaire, parlons-en !
Le vocabulaire abscons des minorités (ou plus exactement de leurs représentants plus ou moins autoproclamés qui essaient de tenir le haut du pavé) nous envahit depuis quelques années : genré, cis-genre, trans, non-binaire, intersectionnel, racialisé, queer, woke et wokisme, indigénisme, décolonialisme, validisme (ou capacitisme)1, essentialisation, privilège blanc, care, ethniciser, politiquement correct, quand on ne nous inflige pas les termes anglais : cancel culture, gender studies, postcolonial studies, racial studies, Black Feminism…, et sans parler de l’abus du suffixe « phobie » (qui désigne étymologiquement « la peur de » et qui est maintenant mis à toutes les sauces) : homophobie, transphobie, islamophobie, handiphobie, grossophobie (sic !), etc. On sait que le mot, s’il s’impose, impose l’idée. Lire l’article de Xavier de la Porte et de Rémi Noyon sur « Ces débats qui fracturent l’université » (l’islamogauchisme) et la « Confrontation Roudinesco-Laugier », tous deux dans l’Obs du 25 février 2021. Hallucinant !
Pour terminer, quelques citations tirées de l’entretien du journal Marianne (numéro du 3 septembre 2021) avec l’écrivain Sylvain Tesson, qui vont bien dans le sens de ce billet : « Pourquoi le progressisme public s’en prend-il à la langue, en rendant les enfants des écoles analphabètes, en trafiquant l’orthographe, en martyrisant la langue, en moralisant l’emploi de certains mots, en faisant croire qu’on changera les choses en changeant les mots ? C’est tout à fait logique. L’époque s’en prend à la langue parce que la langue est un espace de liberté, de salutation à la beauté en même temps qu’un écho du passé.
Les autorités modernes me proposent d’user de ma liberté dans des sphères où cela ne m’intéresse pas d’en user : changer de sexe, parler la langue que je veux, user de l’orthographe comme je l’entends, avoir un enfant sans les inconvénients de la vie avec un autre que moi-même. Parallèlement l’époque réduit la liberté dans l’intervalle où elle m’est précieuse : me déplacer, m’exprimer, prendre des risques. Je ne veux pas être émancipé ni de mes aïeux ni de mon passé ni de mon sexe ni de mon héritage culturel ni de ma langue ».
1Validisme (ou capacitisme) : « système de valeurs qui place la personne valide, sans handicap, comme la norme sociale. Les personnes non conformes à cette norme doivent, ou tenter de s’y conformer, ou se trouver en situation inférieure, moralement et matériellement, aux personnes valides » (d’après wikipédia).