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10/12/2016

Bonne fréquentation (III)

Décembre commence en flèche : le jeudi 8 décembre 2016 a connu un nouveau record de fréquentation du blogue, 33 visiteurs uniques !

L'Europe ne compte plus que pour 90 % dans le lectorat.

Si cet engouement continue, la fréquentation du dernier mois de l'année 2016 va établir un nouveau plus-haut (comme disent les boursicoteurs), dépassant largement celle de novembre.

Merci à tous, continuez !

08:49 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0)

08/12/2016

Langue, pouvoir, enseignement

Au tout début du blogue « Le bien écrire », l’un des tout premiers commentaires que je reçus fut, en substance, que la langue (française en l’occurrence) était fasciste. Je connaissais (de loin) l’avis terrible de Barthes sur le sujet mais je n’avais pas imaginé sur le coup que, peut-être, mon lecteur y faisait allusion sans malice. Au contraire, je l’ai pris pour moi, sachant qu’effectivement les premiers billets du blogue étaient plutôt de type « normatif », voire moralisateurs : après tout, un lecteur ne me connaissant pas, pouvait très bien penser que je lui faisais la leçon, que je lui disais « ce n’est pas bien de s’écarter du français classique » et que j’étais l’un des représentants d’une élite arrogante voulant faire marcher tout le monde au pas et parler chacun comme Voltaire. Et je me suis dit sur le moment que le blogue commençait bien mal… Mais ce fut la seule et unique note discordante, alors je l’ai oubliée. 

Il y a quelque temps je suis tombé sur un article de Laurence Marie dans la revue Labyrinthe qui parlait du livre d’Hélène Merlin-Kajman « La langue est-elle fasciste ? Langue, pouvoir, enseignement » (Seuil, 2003). Madame Merlin est (ou était) professeur de littérature française à l’Université Paris III et spécialiste du XVIIème siècle. Auteur de « La dissertation littéraire » (Seuil, 1996), elle a constaté « un désaveu de la langue classique par ceux-là mêmes qui sont censés l’enseigner ». Qui sont donc les intellectuels qui ont suscité ou accompagné ce mouvement ? 

Michel Foucault d’abord dans « L’ordre du discours » (Gallimard, 1970), puis Roland Barthes, qui a écrit cette phrase célèbre et terrible : "la langue est (...) tout simplement fasciste ; car le fascisme, ce n'est pas empêcher de dire, c'est d'obliger à dire". Et enfin Pierre Bourdieu qui définit la langue comme "le support par excellence du rêve de pouvoir absolu" et qui soutient que le classicisme, relayé par le système scolaire, serait l'organe de reproduction d'un pouvoir confisqué par la classe dominante.

Bon, défendre une certaine qualité de la langue, que ce soit son orthographe, sa syntaxe, voire son style, non seulement ce ne serait pas bien mais en plus ce serait manifester un souhait de domination de classe... Loin de moi l'idée de ferrailler à distance avec des adversaires tels que Foucault, Barthes et Bourdieu ! J'ai simplement envie de faire remarquer qu'utiliser et donc préserver un langage commun, cohérent, compréhensible, clair et en plus esthétique, cela sert à tout le monde, dans les échanges quotidiens aussi bien que dans le milieu professionnel. C'est faire preuve d'égards envers ses interlocuteurs. Et ce qui se conçoit bien s'énonce clairement. Sans doute les francophones qui se voient reprocher (gentiment) de commettre telle ou telle faute, en sont-ils fort marris et même vexés parfois. Mais les règles s'apprennent, elles sont à la portée de tout le monde. Et quand on perd au tennis, face à plus fort que soi, imagine-t-on de lui reprocher une domination de classe ?

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Mme Merlin établit un parallèle entre les classiques (Malherbe, puis Vaugelas et d'autres) et les modernes (nos contempteurs de la langue française au XXème siècle) ; les premiers "codifient le langage pour détacher les Français du passé tumultueux des guerres de religion" ; les seconds leur reprochent de "défendre les intérêts d'une nouvelle société d'honnêtes gens, (...) d'asseoir la tyrannie d'une élite". Mais pour elle, le purisme "classico-baroque" n'est pas vecteur de totalitarisme mais de civilité. En fait elle met au jour une symétrie entre les deux mouvements, l'un voulant "purger le français de sa violence", l'autre "le débarrasser du fascisme qui lui serait congénital". Elle considère donc que tous les deux entendent "confier à la langue la mission de fonder une société nouvelle en lui donnant une forme contraire à la forme du gouvernement politique" et s'appuyant sur "une même certitude qu'en la langue une liberté pouvait poindre, susceptible d'entamer radicalement une domination idéologique, là romaine et ecclésiale, ici capitaliste et bourgeoise".

Dans sa conclusion un peu embrouillée, la journaliste Laurence Marie note qu'en 2003, Luc Ferry dans sa "Lettre à tous ceux qui aiment l'école" associait étroitement l'apprentissage de la langue et la civilité. Et d'écrire : "On ne peut condamner plus clairement la pédagogie progressiste. L'heure du retour à la règle aurait donc sonné". On peut en douter quand on regarde treize ans après la dégradation continue de la performance des élèves et collégiens en dictée. Les pédagogistes sont toujours là, aux manettes. Et Cécile Ladjali continue elle aussi à déplorer que l'apprentissage insuffisant des fondements de la langue ne laisse que la violence à beaucoup de jeunes pour s'exprimer (voir Mauvaise langue). 

 

 

05/12/2016

"Comment peut-on être français ?" (Chahdortt Djavann) : critique II

« Mon arrivée à Paris fut une fête (…). On pouvait à loisir se promener où l’on voulait quand on voulait ? Aucune police des mœurs ne décidait à votre place de ce qu’il vous était loisible de dire ou de faire ? Il faut avoir connu les rigueurs de l’obscurantisme pour apprécier à leur juste valeur les joies simples de la vie quotidienne, dont ceux qui n’en ont jamais été privés, à mesure qu’ils en perdent la saveur oublient la nécessité. Marcher tête nue sous la bruine d’automne ou au premier soleil du printemps, prendre un verre à la terrasse d’un café, faire la queue à la porte d’une salle de spectacle en bavardant avec ses voisins sans considération de leur sexe, se laisser aller, chantonner, rêver, prendre le bras de celui qui vous plaît et, pourquoi pas ? l’embrasser en public sans gêne particulière : toutes ces attitudes, tous ces gestes qui paraissent naturels aux jeunes Parisiennes d’aujourd’hui sont impensables dans le pays d’où je viens, le pays de la peur et de la honte (…). Les femmes ne naissent toujours pas libres dans les pays musulmans. Elles restent soumises à la nécessité de leur condition, établie par les dogmes. Les fillettes sont souvent voilées dès l’âge de six ans car, aux yeux des religieux, il n’est jamais trop tôt pour priver les gens de la liberté. » (page 156). 

Le passage à la forme épistolaire fait basculer le roman et l’oriente, une fois de plus, dans une autre direction. Car, dans ses lettres à Montesquieu, Roxane décrit et dénonce le cauchemar imposé par les mollahs au peuple iranien. Dix ans après la publication de ce livre « Comment peut-on être français ? », c’est toujours d’actualité, malheureusement. 

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Roxane raconte l’histoire de sa famille et, au-delà, de son pays : « Pendant plus de cinquante ans, de 1925 à 1978, des réformes et des évolutions de tout genre ont balayé les lois féodales qui avaient régi la société iranienne durant des siècles. L’Iran a connu un essor important et beaucoup de nouveaux riches ont grimpé sur les collines d’Alborze, au nord de Téhéran, et se sont installés dans des villas (…). Le voyage de l’Iran à Paris n’était pas simplement un déplacement dans l’espace et un changement de pays mais surtout un voyage dans le temps. La preuve : nous sommes en l’an 2000 en France et en Iran en 1379. Comment peut-on vivre en 1379 en l’an 2000 ? Les mollahs ont tout falsifié dans ce pays, le temps et l’histoire, même les actes de naissance des Iraniens, même le calendrier. Sur les photos d’identité, toute femme, toute fillette est voilée, et sur le passeport de tout Iranien, la photo de Khomeini, le mollah des mollahs, apparaît en filigrane sur toutes les pages (…). Lorsqu’ils ont usurpé le pouvoir, nous étions en 2538, selon la datation qui partait de la création de la dynastie des Sassanides et de la fondation de Persépolis. Les mollahs ont rembobiné la marche du temps et nous ont ramenés en 1357, selon la datation qui partait de la création de l’islam et du départ de Mahomet de Médine vers La Mecque » (pages 171 et 172). 

Roxane a un oncle d’Amérique, qui s’appelle Sam (évidemment) et qui vient leur rendre visite : « Le séjour de la famille de l’oncle Sam (…) m’a permis de comprendre les avantages qu’il y avait à ne pas comprendre la langue de sa famille. Comme il était déjà trop tard pour que je ne comprisse pas le persan, je me suis dit que, quand je serai grande, j’irai moi aussi à l’étranger, loin, et apprendrai une autre langue (NDLR : il y a ici l’une des rares fautes de français de l’ouvrage ; une faute « bien française » ! C’est évidemment le conditionnel qu’il aurait fallu employer : que, quand je serais grande, j’irais moi aussi ; la faute vient de la confusion entre les styles de narration direct et indirect). (…) À l’époque, pour être honnête, je croyais que ce serait l’anglais. Mais aujourd’hui, je préfère que ce soit le français » (page 191). 

Page 217, je retrouve des souvenirs personnels : « Tous les dimanches, à l’exception des jours de grand froid ou de pluie torrentielle, Roxane se levait de bonne heure. Elle allait au Luxembourg. Elle se préparait un sandwich royal : une demi-baguette fraîche garnie de feuilles de salade, de tomates coupées en rondelles, de fins cornichons, et, bien sûr, de deux tranches de jambon (NDLR : savourez le bien sûr…). (…) Elle emportait son viatique préféré, À la recherche du temps perdu – le temps perdu, Roxane savait ce que c’était –, ainsi que son compagnon de toujours, son Micro-Robert ». N’est-ce pas un miracle qu’une jeune Iranienne, traumatisée par ses années de jeunesse sous le règne des mollahs, porte aux nues l’œuvre qui est comme la quintessence du génie littéraire français, et qu’elle la lise, comme tous les étudiants du Quartier latin que nous avons été, sur un banc du Luco, armée d’un sandwich ? 

« C’est une chose bien étrange : dans ce même moment de notre histoire où certains hommes s’emploient à triompher des maladies jusqu’ici invaincues, à visiter les astres ou à reproduire l’énergie du soleil, d’autres ne se soucient que du voile des femmes ; ils se demandent quel tissu, quelle couleur, quelle longueur seraient aptes à mieux dissimuler la chevelure des femmes, de quel pied, le droit ou le gauche, il faut entrer dans les toilettes, et s’il est permis de manger une volaille sodomisée… » (page 266).

Que n'a-t-on lu Djavann plus attentivement en 2006 ! Ses mots résonnent aujourd'hui de cruelle façon : "(...) Il ne manque pas de mollaks, comme vous dites, pour les pousser dans cette voie, et quelques-uns sont même partis faire la guerre qu'ils appellent Djihad en Afghanistan. Les malheureux ! S'ils avaient la plus petite idée de ce qu'est un régime religieux, je pense qu'ils rougiraient de prétendre échapper aux duretés de l'exclusion par les folies de l'aliénation. Je crois bien que, s'ils jugeaient les pays qui leur servent de modèles et d'inspirateurs à l'aune de leurs exigences lorsqu'ils jugent celui où ils vivent, ils se persuaderaient aisément que leur avenir n'est pas ailleurs et qu'ils ont mieux à faire, ici, que de veiller à la vertu de leurs sœurs faute de les égaler à l'école" (page 247).

Envahie par la nostalgie, tiraillée par ses souvenirs, écartelée entre deux cultures si différentes, isolée, seule, Roxane va de plus en plus mal. Les lettres à Montesquieu ne suffisent plus à adoucir son mal-être.

Le drame est proche. « Être arrêté sans avoir rien fait est si familier aux Iraniens que l’univers kafkaïen est leur lot quotidien. Nuit et jour, il y a des situations tout droit sorties des romans de Kafka dans les rues de l’Iran » (page 274). 

Je ne dirai rien des derniers chapitres ; le conte de fées bascule dans l’horreur ; on comprend l’itinéraire de Roxane, pourquoi et comment elle est arrivée à Paris, pourquoi et comment elle ne peut surmonter son traumatisme initial, pourquoi et comment la névrose s’est installée, et on espère qu’elle va réussir à en triompher, un jour, sans en être complètement sûr.

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J’ai été épaté par l’excellence de la construction de ce roman, qui brouille les pistes et ne cible son vrai sujet qu’à sa moitié. Par la qualité de sa langue aussi, deuxième langue seulement de son auteur. Par l’intensité et l’actualité de son sujet. On comprend le choix de Chahdortt Djavann de le présenter sous la forme d’un roman, alors que c’est un cri de douleur et protestation, un témoignage, un livre militant pour la liberté et contre l’oppression religieuse. Seul le titre m’a dérouté, et d’ailleurs induit en erreur ; je pensais qu’il s’agissait d’un livre sur la langue française ou, au moins, sur le mode de vie français… Bien sûr, c’est une allusion à Montesquieu mais cela induit une sorte de malentendu sur le vrai sujet du livre. 

À lire et à recommander !