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10/02/2015

"Bien à vous" et autres cocasseries

HB nous a signalé, via un réseau social professionnel, un article déjà ancien de Marie-Joseph Bertini (Libération du 17 janvier 2007) qui décortique le sempiternel "Bien à vous" ou "Bien à toi" qui orne la péroraison de nos courriels, ou plutôt des courriels ou missives de certaines personnes.

L'auteur, spécialiste de communication, prétend que, comme les formulations préhistoriques "veuillez agréer…", "salutations distinguées" et "sentiments les meilleurs" et comme la plus récente "cordialement", cette nouvelle formule signifie en fait l'inverse de ce que l'on ressent, à savoir : aucune cordialité, aucun sentiment, aucune considération, etc.

À notre époque d'individualisme forcené, c'est quand même "gonflé" de prétendre à "une dépossession de soi tout entière tournée vers l'autre et sa satisfaction espérée"…, qui est censée être traduite par le "bien à vous".

Certes ! Les formules de politesse - et la politesse tout court ? - ont toujours été tant soit peu de l'hypocrisie mais, en même temps, un moyen de "huiler" les rapports sociaux.

Le phénomène le plus nouveau est peut-être qu'avec la généralisation et la banalisation des outils numériques, tout le monde utilise la même formule "bateau", sans plus se préoccuper, comme auparavant, de choisir la plus adaptée (ou la plus hypocrite) selon que l'on s'adresse à un puissant ou à un misérable...

 

Sinon, quoi de neuf ? des perles et du langage passé à l'eau de Javel...

J'ai entendu mille fois :

- "C'est moi qui l'a fait installer" (sur France 2, le 9 janvier 2015, à propos d'une cuisine),

- "C'est moi que je fais le cours aujourd'hui" (là où j'étais en vacances),

- "le souking" (idem, pour dire "flâner dans les souks"),

- "les filles, ils viendront plus tard" (rien à voir avec le Carlton),

- "le mistral est prévu de se renforcer demain" (sur France 3, le 7 février 2015),

- "obnibuler" (Fabrice Lucchini, le Divan de France 3 le 3 février 2015),

- "être en capacité de…" (le Président !),

et ce matin, dans la Presse : "les flics ont été rafalés".

La vie est belle, kôa !

09/02/2015

Dis pas ci, dis pas ça (XXIV)

Paon.jpg

 

Au mot « sublimer », vous constatez donc que l’on arrive à la lettre S, l’Académie nous livre cette tirade que je recopie, ne sachant pas comment faire mieux : « Les mots perdent leur force s’ils sont mal employés. La publicité recourt volontiers à l’emphase et donne ainsi l’impression de n’avoir pas confiance dans les mots ordinaires, à moins que ce ne soit dans les produits qu’elle vante et qu’elle se croit obligée de parer des plumes du paon ». Tout est dit ; c’est la subversion made in Quai Conti.

 

J’adore les nuances et les connotations. Le français est idéal pour cela. Voyons les deux phrases suivantes :

« C’est le plus jeune conseiller qui a été élu maire » (la relative est à l’indicatif) et « C’est le plus jeune conseiller qui ait été élu maire » (la relative est au subjonctif). Dans la première, on constate que c’est le plus jeune qui a été élu ; dans la seconde, on souligne qu’on n’a jamais élu un conseiller plus jeune comme maire.

 

Le subjonctif dans la phrase relative, d’une façon générale, sert à indiquer la virtualité, la réalisation non certaine : « Connaissez-vous quelqu’un qui puisse m’aider ? » et a contrario « Je connais quelqu’un qui peut vous aider ».

Dans la correspondance, on écrira « pour faire suite à » lorsqu’on se réfère à une lettre qu’on a écrite soi-même antérieurement ; et on écrira « en réponse à » dans les autres cas.

« Je reviens de suite » n’a pas de sens car « de suite » signifie « l’un après l’autre ». On dira « Je reviens tout de suite ».

08/02/2015

Amnésie

Il y a plus grave que le snobisme, la paresse ou l’envie de paraître dans l’extension du domaine du franglais. Il y a l’ignorance (je n’ose imaginer : du mépris…) de ce qui a existé auparavant.

J’y pensais en écoutant une émission radiophonique sur les promesses du numérique.

La journaliste a commencé par les data miners, censés exercer un nouveau métier ; mais quel nouveau métier ? depuis l’arrivée de l’informatique, dans les années 60, cela s’appelle l’analyse des données. L’école française s’y est illustrée avec Benzécri, entre autres.

Les méthodes et techniques ont progressé sans doute mais c’est bien toujours d’analyse des données qu’il s’agit.

Bis repetita avec les gros volumes de données, que la journaliste appelle le big data, comme elle parlerait d’un big Mac

Nouveaux métiers ? Bof… On ne s’étonne pas que la plomberie et la boucherie n’aient plus la cote chez les parents.

Vu comme cela, le langage procèderait donc comme une remise à zéro régulière des « connaissances », oubliant ce qui a été, ce qui a fait, le quotidien et la performance de milliers de gens dans le passé, de façon à « vendre » comme du neuf ce qui n’est souvent qu’un prolongement, un développement de l’ancien.

En science, il y a bien sûr des ruptures, des découvertes qui tranchent par rapport à ce qui existait ; mais elles sont rares. La recherche se fait après avoir absorbé les apports des précurseurs.

Dans l’art, on sait bien que tous les novateurs ont fait leurs classes en « bûchant » sur leurs prédécesseurs.

Avant la Recherche, Marcel Proust a écrit plusieurs pastiches, dans lesquels il s’exerce, avec brio, à écrire à la manière de ses aînés. Il pensait qu’on ne peut se former qu’en imitant d’abord des maîtres. Pas de tabula rasa donc. Et cela m’étonnerait que Picasso ou Monet aient prétendu faire autre chose que Ingrès ou Le Brun… Autrement oui mais non pas autre chose.

 

Eh bien, dans la langue courante, il semble que cela soit différent ; on éprouve le besoin de nommer sans cesse de façon différente des choses déjà connues.

C’est bien ce constat qui a présidé à l’écriture du Petit Dico franglais-français d’Alfred Gilder : redire comment on appelait et comment on peut toujours appeler des choses ou des concepts que l’on veut nous faire croire neufs.

 

À la place de teen-ager, A. Gilder suggère jeunette, midinette, choupinette, nymphette, cadette ou benjamine, poulette, pucelle, jouvencelle, adolescente ou ado, tendron, , décagénaire ou quinzagénaire selon les cas, et réciproquement, jeunot, damoiseau, puceau, jouvenceau, éphèbe, cadet ou benjamin, novice, blanc-bec, béjaune.

Pour éviter l’horrible weight watchers, il propose au choix : scrute-balance, garde-la-ligne, affineur de silhouette, coupe-faim, maigromanie, etc.

Sa créativité semble infinie ; ainsi, pour off the record, trouve-t-il : hors micro, hors antenne, en aparté, officieusement, en privé, hors compte rendu, huis clos, de vous à moi, et j’en passe.

Il est pas riche le français ?

Il n’y a qu’à se baisser pour ramasser des mots à la pelle.

Et le problème, c’est qu’à force de ne plus se pencher, l’amnésie nous guette.