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24/11/2014

La littérature est-elle la solution ? (IV)

D’abord, « vivre est plus facile pour ceux qui savent lire, non seulement les renseignements, les modes d’emploi, les ordonnances, les journaux et les bulletins de vote, mais aussi la littérature ». C’est le problème de l’illettrisme, que j’ai déjà évoqué dans un billet.

« La lecture rend un homme complet » a dit Francis Bacon.

« Le conte fait passer le précepte avec lui » dit La Fontaine.

« Outre le plaisir d’une lecture agréable, on y trouvera peu d’événements qui ne puissent servir à l’instruction des mœurs… Chaque fait qu’on y rapporte est un degré de lumière, une instruction qui supplée à l’expérience ; chaque aventure est un modèle d’après lequel on peut se former. » dit l’Abbé Prévost de son roman Manon Lescaut.

 

Ensuite, avec les Lumières et le romantisme, on a attribué une autre vertu à la littérature : c’est un remède qui libère de la sujétion aux autorités.

« La littérature, instrument de justice et de tolérance, et la lecture, expérience de l’autonomie, contribuent à la liberté et à la responsabilité de l’individu ».

« La littérature est d’opposition ; elle a le pouvoir de contester la soumission au pouvoir ; contre-pouvoir, elle révèle toute l’étendue de son pouvoir lorsqu’elle est persécutée ».

« Si la littérature d’imagination peut seule tenir lieu de lien social (à l’époque de la révolution industrielle et de la division du travail), c’est au nom de sa gratuité et de sa largesse dans un monde utilitaire caractérisé par les spécialisations productives ».

« Ainsi la littérature, à la fois symptôme et solution du malaise dans la civilisation, dote-t-elle l’homme moderne d’une vision qui porte au-delà des restrictions de la vie journalière ».

« La littérature a tenu lieu de morale commune au XIXè et au début du XXè siècle, après la religion et en attendant que la science prît le relais ».

« Elle élèvera les peuples à un idéal esthétique et éthique, et contribuera à la paix sociale. C’est ainsi que les grands écrivains ont été embrigadés au service de la nation ».

 

Troisième justification de la littérature : elle corrige les défauts du langage ! Elle fait de la langue commune, une langue propre – poétique ou littéraire.

« Il y a depuis des siècles des hommes dont la fonction est justement de voir et de nous faire voir ce que nous n’apercevons pas naturellement : ce sont les artistes » dit Henri Bergson.

« La seule manière de défendre la langue française, c’est de l’attaquer » écrit Proust à Madame Strauss en 1908.

Vue ainsi, la littérature est supérieure à la philosophie (Marcel Proust, Yves Bonnefoy, Michel Foucault, Roland Barthes…). « La littérature ne permet pas de marcher mais elle permet de respirer » disait Roland Barthes.

Antoine Compagnon, après l’exposé de ces trois attributs de la littérature, évoque, en contrepoint, l’avis de Charles Baudelaire, Gustave Flaubert, André Gide… selon lequel la littérature n’a pas d’autre pouvoir que sur elle-même. Elle solutionnerait ses propres problèmes, sans plus.

Allant encore plus loin, Theodor Adorno et Marcel Blanchot jugeaient la littérature vaine ou même coupable, qui n’avait pas empêché l’inhumain. C’était après Auschwitz…

Ce qui, à la fin du XXè siècle, a pu faire considérer la littérature comme simple plaisir ludique, voire comme l’exercice d’une domination, d’une manipulation, suite à sa longue connivence avec l’autorité.

23/11/2014

La littérature est-elle la solution ? (III)

La littérature, pour quoi faire ?

Revenons à notre guide, Antoine Compagnon.

Sa leçon inaugurale de 18 pages comprend deux parties distinctes : dans la première, il disserte sur la façon dont la littérature a été appréhendée et enseignée au Collège de France : alternance des approches « théorique » et « historique » de la littérature, depuis les premières chaires au XVIIIè siècle jusqu’à Paul Valéry et Roland Barthes. En bon universitaire – et nouvel enseignant au Collège – A. Compagnon se pose naturellement en réconciliation et synthèse de ce mouvement de balancier et ajoute à l’intitulé de sa chaire, la critique.

La deuxième partie est dans notre sujet. Elle s’ouvre par des citations de Marcel Proust : « La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est la littérature… Par l’art seulement, nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre, et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir dans la lune » et d’Italo Calvino : « Il y a des choses que seule la littérature peut offrir par ses moyens propres ».

Or « Le lieu de la littérature s’est amenuisé dans notre société depuis une génération : à l’école, où les textes documentaires mordent sur elle ou même l’ont dévorée ; dans la presse, où les pages littéraires s’étiolent et qui traverse elle-même une crise peut-être funeste ; durant les loisirs, où l’accélération numérique morcelle le temps disponible pour les livres ».

Émile Zola déclarait : « Les chefs d’œuvre du roman contemporain en disent beaucoup plus long sur l’homme et sur la nature, que de graves ouvrages de philosophie, d’histoire et de critique ».

C’était la principale justification de l’acte de lire : apprendre (en se distrayant) et l’origine d’une querelle avec les sciences, que les historiens datent de 1852, quand le ministre de l’Instruction publique institua une bifurcation en classe de quatrième, entre la filière littéraire et la filière scientifique. Et en 1902 la réforme du secondaire fut à l’origine de la marginalisation graduelle des langues anciennes et des humanités classiques au lycée. De nos jours, c’est la culture moderne et la langue française qui sont bouleversées et qu’il faut défendre, dit A. Compagnon.

22/11/2014

Tout homme ouvrant un livre y trouve une aile

Voici du positif ce matin, et cela concerne les enfants et les jeunes, notre avenir.

D’abord le père Hugo (1802-1885), qui au retour d’un bagne qu’il visitait, a écrit :

 

Chaque enfant qu'on enseigne est un homme qu'on gagne.

Quatre-vingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagne

Ne sont jamais allés à l'école une fois,

Et ne savent pas lire, et signent d'une croix.

C'est dans cette ombre-là qu'ils ont trouvé le crime.

L'ignorance est la nuit qui commence l'abîme.

Où rampe la raison, l'honnêteté périt.

Dieu, le premier auteur de tout ce qu'on écrit,

A mis, sur cette terre où les hommes sont ivres,

Les ailes des esprits dans les pages des livres.

Tout homme ouvrant un livre y trouve une aile, et peut

Planer là-haut où l'âme en liberté se meut.

L'école est sanctuaire autant que la chapelle.

L'alphabet que l'enfant avec son doigt épelle

Contient sous chaque lettre une vertu ; le cœur

S'éclaire doucement à cette humble lueur.

Donc au petit enfant donnez le petit livre.

Marchez, la lampe en main, pour qu'il puisse vous suivre.

La nuit produit l'erreur et l'erreur l'attentat.

Notons que ce maître en écriture emploie le verbe « enseigner » à la forme transitive, comme to teach someone en anglais…

Notons surtout que son poème (« Écrit après la visite d'un bagne ») nous ramène à notre sujet « À quoi sert de lire ? » et de quelle manière.

Et remercions Patrick Cohen qui l’a fait lire hier matin pendant son 7-9, sur France Inter.

Ensuite les jeunes ; en tous cas, ceux que j’ai rencontrés autour des doubles croches de « Valdez in the country » ; ils devisaient, avec conviction, sur les œuvres au programme de leur cours  de français. Les unes adoraient « Le Cid », un garçon était plutôt « Maupassant », les quatre s’étaient passionnés pour « L’aiguille creuse » de Maurice Leblanc et la découverte d’Étretat, comme nous-mêmes l’avions fait au même âge, et nos enfants aussi. C'est Jean d'O. qui va être content.

Merveilles de la littérature indémodable et de la jeunesse motivée, qui assure la continuité de l’esprit français et de son amour des grandes œuvres !