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27/11/2014

Écrivains contemporains et langue française (V) : Jacqueline de Romilly

L’académicienne Jacqueline de Romilly, (1913-2010), première normalienne à l’École de la rue d’Ulm et helléniste de renom, lauréate du Concours général la première année où les filles pouvaient concourir, agrégée de lettres, docteur ès lettres, première femme professeur au Collège de France, première femme membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, a publié en 2007 « Dans le jardin des mots » (Éditions de Falloix).

En voici quelques extraits.

« Ainsi l’habitude veut que l’on lie les mots entre eux par la prononciation (…). Des fautes de liaison peuvent donc être graves (…). Peut-on imaginer de dire mes_amis sans faire de liaison ? peut-on parler d’un_homme sans la faire ? (…). Je comparerais volontiers ceux qui massacrent les liaisons et les mettent au petit bonheur, à ceux qui sont atteints d’ataxie locomotrice. Oui, c’est là une maladie… ».

« Trouver le mot juste n’est point un snobisme mais le goût de la précision ».

« Les bizarreries apparentes de notre langue s’expliquent, comme celles qui concernent les racines mêmes des mots, par l’histoire de la langue ».

« Les lectures, les connaissances pêchées ici ou là, tout contribue à cet enrichissement des mots. Même nos souvenirs personnels, même ceux de conversations, de mots entendus, de paysages aimés. Il faut d'abord employer les mots correctement, ensuite les reconnaître dans leur histoire même, et enfin, s'entraîner à percevoir, à l'usage, toutes les résonances poétiques que peut leur apporter ce retentissement secret ».

J. de Romilly incarnait une conception exigeante et humaniste de la culture. Elle a laissé une œuvre considérable sur Athènes d’où « tout est sorti brusquement » : la philosophie, l’histoire, la tragédie, la comédie, les sophistes. « Je regrette que l’on n’œuvre pas suffisamment pour ce qui développe la formation de l’esprit par la culture, par les textes et l’intimité avec les grands auteurs, perdant ainsi un contact précieux avec ce que les autres ont pensé avant nous ». « Pourquoi tirerait-on davantage d’une rencontre avec n’importe qui, que d’un tête-à-tête avec Andromaque ou Hector ? ».

L’historien grec antique Thucydide était l’un des « hommes de sa vie ». elle a beaucoup travaillé aussi sur Homère, Eschyle et Euripide.

Voici le titre de sa thèse de doctorat, sur Thucydide : Ο Θουκυδίδης και ο αθηναϊκός ιμπεριαλισμός : Η σκέψη του ιστορικού και η γένεση του έργου / Jacqueline de Romilly · μετάφραση Λύντια Στεφάνου · επιμέλεια Κώστας Τσιταράκης. - 4η έκδ. - Αθήνα : Παπαδήμας

Pour elle, le grec ancien devrait être accessible à tous. Et elle a souffert énormément depuis quelques dizaines d’années de voir l’étude de cette langue décliner (Hélène Carrère d’Encausse).

Comment débute une telle carrière ?

En 1934, elle a 21 ans, sa mère, la romancière Jeanne Malvoisin, lui offre une édition bilingue – grec et latin – de Thucydide, en sept volumes, en lui disant : « Ce serait bien que tu fasses un peu de grec pendant les vacances ». Avis aux amateurs de jeux vidéo et aux accros des séries américaines…

Jacqueline de Romilly a consacré un livre à sa mère, en 1977 : « Jeanne ».

 

Source : le Figaro, 19 décembre 2010.

26/11/2014

Ah, les chers anges...

Hier soir, je participais en tant qu’invité à la réunion plénière d’un club d’investisseurs providentiels…

Vous voyez de quoi il s’agit ? Non ?

En fait, c’est moi qui les appelle par leur nom français ; eux, ils se disent business angels, ça fait plus sérieux sans doute. Dans le monde de brutes sans foi ni loi qui est celui des affaires, il y aurait donc, d’après les Américains, de petits anges aux poches profondes… Les Français, du moins leurs lexicographes, voient plutôt l’intervention de la Providence, c’est affaire de hiérarchie céleste.

Il y a donc des gens qui sont prêts à financer, de leurs deniers durement gagnés, des projets innovants portés par des entrepreneurs plus ou moins jeunes, qui n’ont, en vérité, qu’un seul point commun, leur façon de s’exprimer.

Hier, on nous parlait de bouteilles d’eau quasiment médicinale, apte à diminuer l’acidité de notre appareil digestif, et d’une machine capable de faire un mojito, ou un autre cocktail, en trente secondes…

Et c’est là que j’ai souffert : comment croyez-vous que ces personnes pleines de fougue et de conviction ont présenté leur projet ?

Mais à grand renfort de management day to day, de pitch, de like sur internet, de start-up bien sûr, de crowdfunding, de focus sur le business, de community manager, de mapping de l’innovation, de first to market advantage, de leasing, de marketing, de reporting, de lease back, de deal, tout cela n’étant pas toujours un simple problème de cash

Ainsi va la vie des affaires en France, avec la gestion à assurer au jour le jour, avec des coups de cœur sur internet, des gazelles et des jeunes pousses, du financement participatif, une focalisation sur le chiffre d’affaires, des animateurs de communautés virtuelles, une cartographie de l’innovation, l’avantage d’être le premier sur le marché, du crédit-bail, de la mercatique et de la reddition de comptes, de retour de location, d’accord et de négociation, le tout sans forcément de gros sous…

 

Au même moment, je recevais sur mon téléphone le programme musical d’un piano-bar des environs… bourré de coquilles, de fautes d’orthographe et de phrases bancales, sans compter pas mal de majuscules intempestives « à l’anglaise ». Mon sang ne fait qu’un tour : je proteste auprès de l’émetteur.

L’émetteur était une émettrice, Veronika B. qui m’explique que, n’étant pas française, elle ne sait pas faire autrement que compiler tels quels les textes que lui envoient ses collègues (ce qui donne une idée de la langue écrite de chez nous, en l’occurrence chez les musiciens). Et de me proposer de corriger l’annonce.

J’ai dit que j’étais désolé et que bien sûr, j’allais corriger son texte, ce qui sera ma contribution au programme musical du mois.

 

Je m’y colle tout de suite, dès que j’aurai publié ce billet.

25/11/2014

La littérature est-elle la solution ? (V)

Quant à lui, A. Compagnon revient à Calvino et à son éloge de la littérature, irremplaçable mais en s’interrogeant tout de même sur la place qu’elle peut préserver face ou à côté des nouveaux moyens de connaissance et de loisir : cinéma, médias…

Ce n’est plus aujourd’hui LE mode d’acquisition privilégié d’une conscience historique, esthétique et morale. La pensée du monde et de l’homme PAR la littérature n’est pas la plus courante.

Mais elle offre un moyen de préserver et de transmettre l’expérience des autres, ceux qui sont éloignés de nous dans l’espace et le temps ou qui diffèrent de nous par les conditions de leur vie. Elle nous rend sensibles au fait que les autres sont très divers et que leurs valeurs s’écartent des nôtres.

La littérature déconcerte, dérange, déroute, dépayse plus que les discours philosophique, sociologique ou psychologique, parce qu’elle fait appel aux émotions et à l’empathie.

Ce n’est pas que nous trouvions dans la littérature des vérités universelles ni des règles générales, non plus que des exemples limpides.

La littérature nous apprend à mieux sentir , et comme nos sens sont sans limites, elle ne conclut jamais mais reste ouverte comme un essai de Montaigne, après nous avoir fait voir, respirer ou toucher les incertitudes et les indécisions, les complications et les paradoxes qui se terrent derrière les actions.

La littérature est un exercice de pensée ; la lecture, une expérimentation des possibles.

Toutes les formes de la narration, dont le film et l’histoire, nous parlent de la vie humaine. Le roman le fait pourtant avec plus d’attention que l’image mobile et plus d’efficacité que le fait divers car son instrument pénétrant est la langue, et il laisse toute leur liberté à l’expérience imaginaire et à la délibération morale, en particulier dans la solitude prolongée de la lecture.

Et la littérature  - roman, poésie ou théâtre – m’initie supérieurement aux finesses de la langue et aux délicatesses de l’entretien, voire du badinage.

Elle est concurrencée dans tous ses usages et ne détient de monopole sur rien, mais l’humilité lui sied et ses pouvoirs restent démesurés.