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31/12/2022

"Le tombeau d'Helios" (Pierre Magnan) : critique II

Soyons objectif : il y a un trait qui rappelle le Pierre Magnan de ses grands romans. C’est l’emploi de nombre de mots peu connus ou vieillis. J’en fais ici l’inventaire qui se veut exhaustif, et naturellement j’y associe la définition de mon Larousse en deux volumes de 1922.

 

page

 

La bouillie cuprique

9

De la nature du cuivre

Le pailler

10

Cour où l’on met les pailles ; tas de paille

Le poussier

10

Débris pulvérulents quelconques

On s’embronchait dans ses brodequins

27

Placer des tuiles de sorte qu’elles s’emboîtent les unes dans les autres

Un gonfanon de fer

38

Bannière de guerre à trois ou quatre pièces pendantes

Des murs à pariétaires

38

Plantes urticacées qui poussent sur les murailles

Un chantier d’écharnage

41

Action de débarrasser les peaux des chairs qu’elles recouvrent

La sauvagine

43

Canards, bécasses, etc.

Une peau véreuse

43

Qui a des vers

Les fressures

44

Ensemble des gros viscères d’un animal

La sabretache

45

Sac plat qui pend au ceinturon de certains uniformes

Les cimiers

51

Ornement de la partie supérieure d’un casque / d’un arbre

Les éliages

53

Soutirages de vin

Le cordouan

83

Peau de mouton ou de chèvre tannée pour la fabrication des chaussures

Un mégissier

83

Artisan qui mégit les peaux (préparation en blanc)

Champanelle

85

Pas trouvé dans mon Larousse ; il y a bien une place de ce nom à Forcalquier mais si l’on cherche la « salade champanelle » de P. Magnan sur internet, on aboutit invariablement au bourg de Saint Genès-Champanelle, dans le Puy de Dôme, au nord du Cantal… bizarre, non ?

Badassière

85

Pas trouvé dans mon Larousse ; il faut aller sur le site haute-provence-tourisme.com, très esthétique, pour lire cette définition : landes couvertes de plantes aromatiques (fenouil, romarin, thym, sarriette, etc.). P. Magnan écrit : « son parfum piquant de badassière » à propos d’une femme. Par ailleurs, il y a une place de ce nom à Manosque

Sparterie

97

Lieu où l’on fabrique des tissus de spart (feuilles de genêt)

Au revers d’un peloux

99

Terres entraînées par les pluies, du haut des montagnes

Sa taille de stropiat

113

Estropié (mon Larousse précise : vrai ou faux !)

Il est calut !

114

Pas trouvé…

Chevillard

121

Qui fait le commerce de la viande à la cheville

Un tanagra de marbre

121

Petite statuette de terre cuite apparue en Grèce au IVème siècle avant J.-C.

Sidoine ringardait le feu

133

Remuer le foyer avec une barre de fer recourbées pour attiser le feu

Des verres à pastilles

133

Verroteries collées tout autour du verre

Une jurade

133

Un corps de jurats (magistrats municipaux dans le Sud de la France)

Des bosquets de yeuses et de grandes crausdésolées

141

Plaine d’alluvions

De doline en doline

141

Forme d’érosion des calcaires (formant une vallée)

Dégoiser des choses capitales

161

Rire, parler avec volubilité

Un antiphonaire de cathédrale

193

Livre d’église (plain-chant)

La berme

218

Chemin étroit entre un parapet et un fossé

Un pot de misère noire dont les stolonscascadaient jusqu’au sol

241

La « misère noire » est peut-être un cultivar de plante vivace (?)

Bourgeons axillaires de certaines plantes qui s’enracinent toutes seules (comme les fraisiers)

Une porte entée sur la muraille

241

Insérée sur…

D’une frairie à l’autre

257

Fête, divertissement, bonne chère

Église de Forcalquier.jpeg

À noter que Pierre Magnan utilise à deux reprises (et la première fois page 43) l’horrible formule « pour ne pas qu’ils… » que je croyais être l’apanage des années 90 ! En revanche, on a plaisir à lire page 102 cette phrase interrogative : « Que pouvait lui chaloir (…) ? » [je rappelle qu’il s’agit ici du passionnant verbe « chaloir » qui ne s’emploie plus que dans quelques formes interrogatives ou négatives comme « peu me chaut » et « non qu’il m’en chaille »] et, page 132, celle-ci : « Un mistral à décorner les nymphes ». Les nymphes portent-elles donc des cornes ?

Alors, ce verdict ? « Le tombeau d’Helios » est un livre policier facile à lire (pléonasme ?) dont l’intrigue se noue et se dénoue en Haute-Provence, que je ne relirai sûrement pas et que je ne recommande pas (il y a tellement de livres à lire absolument).

30/12/2022

"Le tombeau d'Helios" (Pierre Magnan) : critique I

J’adore Pierre Magnan, mais le disciple de Jean Giono, l’adolescent du Contadour, l’amant de Thyde Monnier, l’auteur d’une passionnante autobiographie qui commence par « L’amant du poivre d’âne », et aussi celui qui, quand la vieillesse fut venue, se retira dans une petite maison avec seulement les vingt-cinq livres qu’il jugeait dignes d’être lus et relus.

Et non pas celui qu’on avait baptisé un temps, « le Giono du roman policier », le créateur du Commissaire Laviolette. D’abord parce que je considère le « polar » comme un art mineur dans le grand concert de la littérature – on laissera le bénéfice du doute à l’œuvre prolifique de Georges Simenon (que je connais trop peu pour en dire quoi que ce soit) et on gardera pour soi sa passion enfantine pour le Rouletabille de Gaston Leroux, pour le Sherlock Holmes de Conan Doyle et surtout pour les mille visages et noms d’emprunt de l’inégalable Arsène Lupin de Maurice Leblanc (passion que l’on partage, quant à ce dernier, avec Jean d’Ormesson, excusez du peu !).

Et donc, ce « Tombeau d’Helios », l’une des huit enquêtes de Laviolette, paru en 1980, ne nous fera pas changer d’avis. Si l’issue reste évidemment incertaine jusqu’au bout – c’est bien le moindre –, si notre auteur, évidemment, brouille les pistes à l’envi, jusque dans le titre (dont la conception fait penser au fameux « Grison d’Arcadie » par sa façon de présenter le sujet sans en rien dire de clair – on comprend à la fin sa signification), le roman n’a franchement d’autre intérêt que de faire passer quelques heures de lecture sans effort : pas d’étude psychologique, guère de style (en tout cas, quasiment rien de ce qui fera le charme de Pierre Magnan romancier), si peu de descriptions de cette Provence qu’il saura magnifiquement peindre ailleurs, une intrigue scabreuse, au dénouement aguicheur à souhait (en 1980, cela devait choquer ou susciter l’incrédulité ou attirer des commentaires graveleux), et bien sûr des invraisemblances, le genre y oblige.

Manosque (septembre 2022).jpeg

L’histoire ? Oh, elle se passe dans la Haute-Provence de Giono, de Magnan et de Lucien Jacques. Plusieurs personnes – un paysan sur son tracteur, un notaire, un tenancier d’auberge pour rendez-vous galants…– meurent  de mort violente, visiblement intoxiquées par un poison contenu dans de petites capsules normalement destinées aux renards surabondants… Il se trouve que ces personnes se connaissaient très bien, depuis quelque quarante ans, et que le Commissaire Laviolette passait par là. On a aussi une cartomancienne, deux belles filles du pays, un artiste-sculpteur, un juge, un substitut, un télégraphiste… et un mystérieux motocycliste, évidemment casqué.

Le style ? Quelconque… sauf en de rares passages, comme celui-ci : « Le camion de tête alla affronter ses phares jusqu’à la margelle de la fontaine aux quatre canons. La lumière crue traversait les cordes d’eau qui surgissaient sans bruit presque au ras du bassin » (page 219) et aussi celui-ci : « Sous les arbres, au sommet du cube, le soupir infime des évents qui expiraient le dernier souffle de l’air chaud, expulsé du moule, répondait au murmure des quatre canons qui déversaient leur eau dans le bassin. La brume traînante qui hésitait au ras de la Durance, gonfla soudain, déborda la vallée, se coula par le lit du Lauzon jusqu’à Sigonce qu’elle investit. Par colonnes qui comblaient les vallons, elle monta vers Bel-Air. Elle lançait contre la façade des tentacules qui occultaient les lumières. Elle investissait les communs et les granges, mais devant les marronniers, elle refluait ».

08/12/2022

"Nature humaine" (Serge Joncour) : critique

C’était le 6 ou le 7 novembre 2022, journées affreuses, j’avais commencé à trier ses papiers, pour mettre de l’ordre et me permettre d’avancer dans les formalités. Assez facile, en fait, car ils étaient empilés ou rangés par catégorie, avec seulement quelques feuilles égarées par ci par là. En bas de l’une d’elles, une liste de courses je crois, je lis quelques mots griffonnés à la hâte : « Nature humaine, Serge Joncour ». Je vois bien qu’il s’agit d’un livre, qui a dû lui être recommandé… Avant de jeter la feuille, séance tenante, je commande l’ouvrage, que je trouverai deux jours après dans la boîte aux lettres. J’en commence la lecture le 1er décembre, je la termine ce jour, 8 décembre 2022.

Il s’agit de plonger le lecteur dans la longue période révolue qui va de juillet 1976 à décembre 1999. Pour ceux qui l’ont connue, le livre rappelle celui de Benoît Duteurtre, qui s’intitule justement « L’été 76 », mais ici sous forme romancée et située dans le Sud-Ouest au lieu de Le Havre. Repassent ainsi devant nos yeux les luttes violentes contre le nucléaire, les prémisses de l’écologie et de l’agriculture respectueuse des équilibres, la désertification des campagnes, l’arrivée des « grandes surfaces » de la distribution, la pression sur le rendement des exploitations agricoles (qui a culminé il y a peu avec « la ferme des mille vaches »), la généralisation du téléphone (fixe), le Minitel (« bijou de technologie »), Tchernobyl et le nuage radioactif, les Socialistes au pouvoir, etc. et l’apothéose des calamités, si l’on peut dire, que constituent les grandes tempêtes de décembre 1999. Pour les plus jeunes, c’est l’égrainement des événements qui ont jalonné la vie de leurs parents et cela peut être une bonne façon de les situer dans le temps (certaines allusions leur resteront absconses…).

Au cœur de l’action, Alexandre et sa famille de paysans, exploitants d’une grande propriété, et un groupe d’activistes, dont la jeune et belle Allemande, Constanze. L’histoire d’amour va naître et prospérer en contrepoint de l’histoire sociale et économique, sans oublier l’affrontement sourd entre gens des villes et gens des champs.

Serge Joncour sait indiscutablement tourner un roman, de telle sorte que son livre se lise facilement et nous tienne en haleine jusqu’au bout des 476 pages de l’édition J’ai lu. Il est organisé en chapitres assez courts en général, chacun étant daté, et avec des retours en arrière et des sauts en avant. Cela étant, inutile d’y chercher de la littérature, c’est comme un vin de soif, il est désaltérant et le plaisir qu’il offre est instantané. J’ai envie de dire « Joncour et Lemaître, même combat ». On peut sans doute leur adjoindre Lévy et Musso, sans reproche aucun à quiconque…

Quant au titre (« Nature humaine »), il faudra nous expliquer… Je n’ai pas vu le rapport ! La photographie de Ben Zank en couverture (deux bras d’homme enserrent de hautes tiges vertes…) ne m’apparaît pas plus adaptée. Pire que cela : en librairie, elle m’aurait dissuadé d’acheter le livre.

Allez pour la route, deux citations, ceux qui ont des oreilles entendront :

« En cinq ans, Alexandre n’avait jamais eu de nouvelles de Constanze, mais pour lui le 24 avril restait un jour anniversaire, une célébration dont lui seul connaissait l’existence, la première nuit où ils avaient couché ensemble. Il se demandait si Constanze, où qu’elle soit, avait retenu cette date mais sans doute qu’elle l’avait complètement oubliée et qu’elle ne se souvenait même pas de leur histoire » (page 246).

« Alors tant pis, cette fois il lui dirait carrément, il lui demanderait d’arrêter de courir le monde et de venir se poser là, cette fois il lui dirait frontalement les choses, il lui dirait qu’il fallait arrêter de courir le monde, arrêter de fuir et se poser, quitte à la surprendre, quitte à la faire douter, il lui dirait qu’il était prêt à ne plus récolter que des fleurs de menthe, de la mélisse et des fleurs d’aubépine, qu’il était prêt à ne plus cultiver que des fruits à coque, des tubercules et du safran, d’ailleurs ils feraient ce qu’elle voudrait de la terre, ils lui en demanderaient peu et le feraient proprement, le plus naturellement du monde (…) Constanze appellera (…) Elle va appeler, et il faudra qu’il lui dise qu’elle est une histoire que le temps n’efface pas, et que même quand elle est loin, qu’elle ne donne pas le moindre signe de vie, le cortège des jours aux Bertranges ne souffle rien d’autre qu’un parfum de patchouli » (pages 475 et 476).

Au total, un livre qui n’est ni à relire ni à recommander. Sachant qu’un tel verdict, évidemment, est très personnel et qu’il y a autant de types de lecteurs que de styles de livres !