Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

15/12/2023

"Ciné-club" (François Sauvay) : critique IV

Dans « Machines à écrire », François Sauvay imagine, en trois sous-chapitres, trois versions successives d’un même scénario de film, et il y imbrique l’ascension d’une obscure secrétaire et sa façon originale de déclarer sa flamme (et de déposséder ainsi une rivale à la fois de son titre de scénariste-vedette et de son amant). 

Au cinéma, les « seconds rôles » sont importants et certains acteurs s’y sont rendus incontournables, par exemple Robert Dalban et son inénarrable « Yes, Sir » dans « Les tontons flingueurs ». Ciné-club nous raconte la longue carrière de l’acteur Victor Green, toute circonscrite à sa façon de prononcer « Ces messieurs »... Tout un art !

Outre le sujet général, évidemment, à savoir les vicissitudes de l’écriture et du tournage des films, deux éléments contribuent à tisser un fil rouge tout au long de ce livre : d’abord certains personnages sont présents du début à la fin (mais pas toujours au premier plan), tandis que d’autres réapparaissent ici et là. Ainsi Verona Stanger donne-t-elle la réplique à Rex Lamont dans la nouvelle « Ni le jour ni l’heure ». On croise aussi plusieurs fois Dorothy Tucker et, bien sûr, le Père de Lenoncourt. Ensuite certaines histoires jettent des clins d’œil aux précédentes. Ainsi, dans « La fausse idole », le narrateur et son amie Midget discutent-ils pendant la projection du film « La part du capitaine », sujet du chapitre précédent. Plus amusant encore est le cas de M. Smith, qui, prénommé Farès, officie comme medium sous le nom de Farouk dans « Ni le jour ni l’heure » mais qui est aussi le nom d’emprunt – ou plus exactement de camouflage – qu’utilisent les amants Margaret et Eddie (le narrateur) dans « Machines à écrire ». 

François Sauvay utilise plusieurs techniques pour ces nouvelles : le témoignage d’un participant, l’interview de deux experts par un journaliste, l’enquête sur un film disparu, des histoires imbriquées (un film dans le film), des retours en arrière bien sûr, un journal retrouvé, des embryons de scénario, des enregistrements magnétiques, un article de revue spécialisée, etc.

Il y a un point que je n’ai pas étudié (comment l’aurais-je pu ?), c’est le choix des patronymes, surtout des personnages secondaires ; par exemple, Simone France, qui assure le rôle de Natacha dans « Le casque colonial » (page 60) ou bien Sophie Falaise, qui traduit l’extrait du journal de Jay Monroe (page 90). Constatant d’une part l’esprit facétieux de l’auteur et, d’autre part, sa connaissance du cinéma (qu’il enseigne), on peut se demander s’il n’a pas glissé ici ou là des références, des citations ou des récurrences signifiantes (les initiales SF... ?).

Au total, dans cette chronique inventée des débuts du cinéma, les actrices sont belles, envoûtantes, souvent sexy ; les metteurs en scène sont passionnés et inventifs ; même les plus falots produisent parfois des chefs d’œuvre ; et, de toutes façons, ils ne résistent pas au charme des susdites ; les producteurs sont près de leurs sous mais pas tant que cela... On nous dira peut-être que la saga est trop belle pour être vraie... Sans doute, puisqu’elle est fausse ! 

La fin du livre, d’une facture bien différente de celle de tous les autres chapitres, est grandiose. C’est une réflexion sur le succès, souvent aléatoire, dans cet art bien particulier qu’est le cinéma, et sur l’impact de l’échec, dont certains acteurs tirent néanmoins parti pour « rebondir » comme on dit aujourd’hui (c’est le cas de Giulia Gibson dans ce dernier chapitre). Il y a surtout, en marge de la quête de l’histoire d’une ancienne star, une aventure sentimentale, celle du journaliste qui, obsédé par Giulia, n’a d’yeux que pour Adriana (ai-je mal lu ? la Belle s’appelle Castellano page 274 et Mancini page 288...) et se rend compte in fine que le bonheur pourrait s’appeler Francesca... Et là je pense au célèbre: « Her name was Magill and she called herself Lil. But everyone knew her as Nancy ».

Au bout de ces quatre chapitres de « critique », que dire en fin de compte du livre « Ciné-club » de François Sauvay ? Eh bien, que c’est un livre original, qui fourmille d’idées et avec lequel on passe de très bons moments ; c’est une sorte d’histoire du cinéma plus vraie que nature ; l’auteur a su, d’un chapitre à l’autre, varier les angles de prise de vue, les péripéties et les destins individuels. Autant dire que je recommande ce livre et qu’il ne me semble pas impossible de prendre encore du plaisir à le relire. 

PS. Je n’en dirai pas autant de l’imprimerie Laballery de Clamecy : j’ai dû rendre à ma libraire l’exemplaire que je venais d’acheter car plusieurs pages étaient noircies par des traînées d’encre. Elle l’a renvoyé et m’en a donné un autre... en meilleur état mais le haut des pages 149, 152 et 155 est grisé. Cela n’empêche pas la lecture cependant.

Les commentaires sont fermés.