Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

04/12/2024

"La colline inspirée" (Maurice Barrès) : critique I

Quel livre ! Quel roman ! Quel style !

« La colline inspirée », publié en 1913, est considéré comme le chef d’œuvre de Maurice Barrès. 1913, c’est l’époque de l’incomparable Marcel Proust (« Du côté de chez Swann »), de Romain Rolland (« Jean-Christophe »), de Roger Martin du Gard (« Jean Barois », vingt-sept ans avant « les Thibault »), de Louis Pergaud (« Le roman de Miraut, chien de chasse », juste après « La guerre des boutons »), de Jules Romains (« Les copains », vingt ans avant « Les hommes de bonne volonté »), de Alain-Fournier (« Le Grand Meaulnes »), de Charles Péguy (« L’argent »), de Ernest Renan (« Souvenirs d’enfance et de jeunesse ») et aussi, dans la catégorie des romans populaires, « Rouletabille chez le Tsar » de Gaston Leroux.

En 1912, c’était « Le bouchon de cristal » de Maurice Leblanc et « Les dieux ont soif » d’Anatole France... L’année d’après ce sera « Les caves du Vatican » d’André Gide.

Quelle époque ! et un an avant la déclaration de guerre... ; c’étaient là des écrivains qui savaient écrire et des œuvres aujourd’hui un peu oubliées mais qui valent que l’on s’intéresse à elles. C’est ce que je fais, après avoir écumé en partie la production des Hussards (Michel Déon and co).

Il y a un trait d’union entre ce roman et ma « Suite de Vézelay », et Barrès le donne dès sa première page : « Il est des lieux qui tirent l’âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toute éternité pour être le siège de l’émotion religieuse. L’étroite prairie de Lourdes, entre un rocher et son gave rapide ; la plage mélancolique d’où les Saintes-Maries nous orientent vers la Sainte-Baume ; l’abrupt rocher de la Sainte- Victoire, tout baigné d’horreur dantesque, quand on l’aborde par le vallon aux terres sanglantes ; l’héroïque Vézelay, en Bourgogne ; le Puy-de-Dôme ; les grottes des Eyzies, où l’on révère les premières traces de l’humanité ; la lande de Carnac, qui parmi les Bruyères et les ajoncs dresse ses pierres inexpliquées ; la forêt de Brocéliande… ; le Mont-Saint-Michel, qui surgit comme un miracle des sables mouvants ; la noire forêt des Ardennes, tout inquiétude et mystère, d’où le génie tira, du milieu des bêtes et des fées, ses fictions les plus aériennes ; Domrémy enfin, qui porte encore sur sa colline son Bois Chenu, ses trois fontaines, sa chapelle deBermont, et près de l’église la maison de Jeanne. Ce sont les temples du plein air. Ici nous éprouvons soudain le besoin de briser de chétives entraves pour nous épanouir à plus de lumière. Une émotion nous soulève ; notre énergie se déploie toute, et sur deux ailes de prière et de poésie s’élance à de grandes affirmations ». 

Carte Saxon-Sion.jpegLa colline inspirée de Barrès, ce n’est pas Vézelay comme je le croyais mais Saxon-Sion, situé en Lorraine, entre Nancy et Épinal, non loin de Vézelise et Charmes-sur-Moselle (ville dans laquelle Barrès termine son roman en 1912).

Pour Barrès, et pas uniquement pour lui, c’est un lieu mythique. Encore aujourd’hui, surmontée d’une monumentale statue de la Vierge Marie, la colline est valorisée en tant que lieu de mémoire.

 Colline inspirée-vue de la plaine.JPG

Cliché CERPA, D. Brion, 2010 

L’écrivain, très attaché à sa région natale et à la France, s’empare d’une histoire invraisemblable mais réelle : celle de Léopold Baillard et de ses deux frères. Ces derniers se mettent en tête de fonder en haut de la colline une sorte de communauté chrétienne, qui s’oppose rapidement au Clergé local et à Rome par son appréhension très personnelle du dogme. Une première fois ruinés, ils ne s’avouent pas vaincus et adhérent à l’Œuvre de la Miséricorde, mouvement quasi-sectaire fondé par Eugène Vintras (1807-1875), qui prétendit être la réincarnation du prophète Élie.

21/01/2024

Sus aux Hussards

C’est d’abord intrigué par son titre que j’ai lu « Salut au Kentucky » de Kléber Haedens. Cet auteur faisait partie d’un groupe d’écrivains des années 50 et 60 à qui l’on avait donné le surnom de hussards. Il se composait de Kléber Haedens donc, de Michel Déon, d’Antoine Blondin et surtout de Roger Nimier qui était censé en être le chef de file.  Par parenthèse, notons que leurs contemporains s’appelaient Michel Butor, Alain Robbe-Grillet et Nathalie Sarraute et avaient voulu, sous l’emblème aussi vague qu’ambitieuse de « Nouveau roman », ajouter à la prestigieuse littérature française, des textes sans histoire ni personnages. Si l’on ne lit plus beaucoup les Hussards aujourd’hui, que dire des gourous du Nouveau Roman ? Tombés dans les oubliettes...

Le premier que j’ai lu, non pour découvrir l’école des Hussards mais parce qu’il avait écrit sur la Grèce en y ayant vécu, et que j’étais fasciné par ce pays et sa culture, le premier que j’ai lu donc, ce fut Michel Déon. J’ai beaucoup aimé son « Balcon de Spetsaï » (1961) et le « Rendez-vous de Patmos » (1971), et moins ses autres livres : « Je ne veux jamais l’oublier » (1950), « Un souvenir » (1990), « Tout l’amour du monde » (1955), « La montée du soir » (1987). Il me reste à lire évidemment le célèbre « Taxi mauve » (1973) et l’histoire du « Jeune homme vert » (1975-1977), sans compter « Les trompeuses espérances » (1956), « Les gens de la nuit » (1958), « Un déjeuner de soleil » (1981). Michel Déon a beaucoup écrit et sans doute un peu trop...

Le livre de Kléber Haedens, « Salut au Kentucky », je l’ai lu parce que, en ayant hérité, j’étais intrigué par le titre (que l’on ne comprend qu’à la toute fin). L’itinéraire de Wilfrid commence dans une ville de province en 1869 ; c’est plaisant et même amusant. Une bonne partie du livre raconte les amours successives et contrariées du héros et aussi une sorte d’ascension sociale ; de ce fait, le style en moins, il nous fait penser à Balzac ; mais « j’y trouve un goût » de Boris Vian, comme dirait l’autre, à cause de la langue directe et pleine d’humour que Kléber Haedens utilise et qui est, semble-t-il, la marque de fabrique des Hussards. À noter que Sacha Guitry et René Benjamin souhaitaient que le Prix Goncourt 1947 fût décerné à ce livre (C’est Jean-Louis CURTIS qui l’a eu, pour Les Forêts de la nuit, publié chez Julliard).

Me prenant au jeu mais n’ayant pas sous la main « Le hussard bleu » (1950), le roman de Roger Nimier le plus connu, j'ai lu « Les enfants tristes ».  Sans pouvoir l’expliquer vraiment, j’ai eu l’impression que ce roman en trois parties était typique des œuvres de l’après-guerre (je pense aux « Nouveaux aristocrates » de Michel de Saint Pierre, par exemple). C’est une description plutôt déprimante de la vie et des relations entre des jeunes gens d’un milieu aisé, pour la plupart dilettantes et anticonformistes... Je n’y ai pas trouvé beaucoup d’intérêt.

Je viens de commencer un troisième livre de l’équipe des Hussards : « Un singe en hiver » (1959) d’Antoine Blondin, connu pour sa passion du Tour de France cycliste. Encore un titre mystérieux que le cinéaste Henri Verneuil a conservé pour son film sorti en 1962 avec Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo. J’avoue qu’au bout de 50 pages je n’avais pas encore reconnu le sujet du film, pourtant célèbre... ni bien compris où l’auteur voulait en venir. 50 pages plus loin, je me demandais si je ne lisais pas une sorte d’étude psycho-sociologique passionnante sur l’amitié mais surtout sur les ravages de l’alcoolisme, la difficulté de résister à l’accoutumance, la difficulté de résister à l’envie de replonger. À suivre...

15/12/2023

"Ciné-club" (François Sauvay) : critique IV

Dans « Machines à écrire », François Sauvay imagine, en trois sous-chapitres, trois versions successives d’un même scénario de film, et il y imbrique l’ascension d’une obscure secrétaire et sa façon originale de déclarer sa flamme (et de déposséder ainsi une rivale à la fois de son titre de scénariste-vedette et de son amant). 

Au cinéma, les « seconds rôles » sont importants et certains acteurs s’y sont rendus incontournables, par exemple Robert Dalban et son inénarrable « Yes, Sir » dans « Les tontons flingueurs ». Ciné-club nous raconte la longue carrière de l’acteur Victor Green, toute circonscrite à sa façon de prononcer « Ces messieurs »... Tout un art !

Outre le sujet général, évidemment, à savoir les vicissitudes de l’écriture et du tournage des films, deux éléments contribuent à tisser un fil rouge tout au long de ce livre : d’abord certains personnages sont présents du début à la fin (mais pas toujours au premier plan), tandis que d’autres réapparaissent ici et là. Ainsi Verona Stanger donne-t-elle la réplique à Rex Lamont dans la nouvelle « Ni le jour ni l’heure ». On croise aussi plusieurs fois Dorothy Tucker et, bien sûr, le Père de Lenoncourt. Ensuite certaines histoires jettent des clins d’œil aux précédentes. Ainsi, dans « La fausse idole », le narrateur et son amie Midget discutent-ils pendant la projection du film « La part du capitaine », sujet du chapitre précédent. Plus amusant encore est le cas de M. Smith, qui, prénommé Farès, officie comme medium sous le nom de Farouk dans « Ni le jour ni l’heure » mais qui est aussi le nom d’emprunt – ou plus exactement de camouflage – qu’utilisent les amants Margaret et Eddie (le narrateur) dans « Machines à écrire ». 

François Sauvay utilise plusieurs techniques pour ces nouvelles : le témoignage d’un participant, l’interview de deux experts par un journaliste, l’enquête sur un film disparu, des histoires imbriquées (un film dans le film), des retours en arrière bien sûr, un journal retrouvé, des embryons de scénario, des enregistrements magnétiques, un article de revue spécialisée, etc.

Il y a un point que je n’ai pas étudié (comment l’aurais-je pu ?), c’est le choix des patronymes, surtout des personnages secondaires ; par exemple, Simone France, qui assure le rôle de Natacha dans « Le casque colonial » (page 60) ou bien Sophie Falaise, qui traduit l’extrait du journal de Jay Monroe (page 90). Constatant d’une part l’esprit facétieux de l’auteur et, d’autre part, sa connaissance du cinéma (qu’il enseigne), on peut se demander s’il n’a pas glissé ici ou là des références, des citations ou des récurrences signifiantes (les initiales SF... ?).

Au total, dans cette chronique inventée des débuts du cinéma, les actrices sont belles, envoûtantes, souvent sexy ; les metteurs en scène sont passionnés et inventifs ; même les plus falots produisent parfois des chefs d’œuvre ; et, de toutes façons, ils ne résistent pas au charme des susdites ; les producteurs sont près de leurs sous mais pas tant que cela... On nous dira peut-être que la saga est trop belle pour être vraie... Sans doute, puisqu’elle est fausse ! 

La fin du livre, d’une facture bien différente de celle de tous les autres chapitres, est grandiose. C’est une réflexion sur le succès, souvent aléatoire, dans cet art bien particulier qu’est le cinéma, et sur l’impact de l’échec, dont certains acteurs tirent néanmoins parti pour « rebondir » comme on dit aujourd’hui (c’est le cas de Giulia Gibson dans ce dernier chapitre). Il y a surtout, en marge de la quête de l’histoire d’une ancienne star, une aventure sentimentale, celle du journaliste qui, obsédé par Giulia, n’a d’yeux que pour Adriana (ai-je mal lu ? la Belle s’appelle Castellano page 274 et Mancini page 288...) et se rend compte in fine que le bonheur pourrait s’appeler Francesca... Et là je pense au célèbre: « Her name was Magill and she called herself Lil. But everyone knew her as Nancy ».

Au bout de ces quatre chapitres de « critique », que dire en fin de compte du livre « Ciné-club » de François Sauvay ? Eh bien, que c’est un livre original, qui fourmille d’idées et avec lequel on passe de très bons moments ; c’est une sorte d’histoire du cinéma plus vraie que nature ; l’auteur a su, d’un chapitre à l’autre, varier les angles de prise de vue, les péripéties et les destins individuels. Autant dire que je recommande ce livre et qu’il ne me semble pas impossible de prendre encore du plaisir à le relire. 

PS. Je n’en dirai pas autant de l’imprimerie Laballery de Clamecy : j’ai dû rendre à ma libraire l’exemplaire que je venais d’acheter car plusieurs pages étaient noircies par des traînées d’encre. Elle l’a renvoyé et m’en a donné un autre... en meilleur état mais le haut des pages 149, 152 et 155 est grisé. Cela n’empêche pas la lecture cependant.