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30/12/2023

"Les irascibles" (C. Bru) : critique I

Les irascibles, c’est le nom de baptême d’un groupe de peintres américains d’avant-garde, dans les années 40, qui font cause commune contre le MET (Metropolitan Museum of Art) de New-York, l’accusant d’écarter systématiquement leurs toiles – celles de l’expressionnisme abstrait – de ses collections et de ses expositions, par conservatisme, voire par anti-modernité. Ces peintres qui révolutionnent la peinture et veulent créer un authentique mouvement culturel purement américain, c’est-à-dire se libérer de l’emprise européenne des Picasso, Duchamp, Mondrian, Kandinsky, Soulages, Matisse, Braque, Bonnard... ont pour nom Pollock, Rothko, De Kooning, Gottlieb, Motherwell, Baziotes, Newman, Still... Ce sont à l’époque des traîne-savates (le succès et les revenus afférents, pour quelques-uns, viendront plus tard – en août 1949 pour Pollock), tentés par les idées progressistes – voire trotskistes – , pas mal imbibés (d’alcool), des individualistes forcenés aux comportements égotistes, et, pour certains, des gens carrément « dérangés ». En fait, artistiquement, ce groupe est hétérogène et les critiques spécialisés distingueront vite des sensibilités et des techniques différentes entre le dripping (Pollock abandonne le pinceau pour des instruments plus communs comme « un bâton, une truelle ou une boîte percée d’où s’échappe une pluie de laque. Parfois même ses doigts seuls ») (page 26), l’automatisme et plusieurs procédés inspirés du surréalisme et de l’art primitif.... Place aux rouleaux, aux éponges de cuisine, aux brosses des peintres en bâtiment, aux peintures achetées dans le commerce...

« Les irascibles », c’est aussi le titre d’un livre très agréable à lire, du journaliste littéraire Cédric Bru (Le Cherche Midi, 2023). La mise en page est belle, la typographie attrayante, le texte sans coquille ni faute d’accord. Le livre, bien construit et à la plume alerte, mêle l’histoire vraie de quelques-uns de ces géants de la nouvelle peinture (il s’attache surtout à Jackson Pollock et à son épouse Lee Krasner) et l’histoire inventée d’un peintre imaginaire, Sam Kopel, qui n’arrive pas à fixer son style de peinture et qui par ailleurs s’amourache d’un jeune poète rencontré dans un bar. Cédric Bru a reconstitué des situations, des dialogues et des « états d’âme » à partir de faits et de personnages réels.

De ce point de vue, il m’a rappelé deux livres que j’avais appréciés, sur des sujets bien différents mais également à cheval sur la biographie (toujours passionnante dès qu’on met le nez dans la vie d’un personnage), l’histoire des idées, l’histoire culturelle et l’histoire tout court : « Trois explications du monde » de Tom Keye (2000) sur les tentatives de rapprocher les sciences de la psyché et celles de la nature (Freud, Jung, Ferenczi, Bohr, Pauli...) et « Loving Franck » de N. Horan (2007) qui raconte le drame de la vie de l’architecte Franck Lloyd Wright (que beaucoup d’entre nous connaissent de nom, grâce à la magnifique chanson de Paul Simon et Art Garfunkel).

C’est la biographie romancée d’un mouvement artistique. En plus des peintres de l’École de New-York eux-mêmes (et de leurs psychiatres !), on rencontre leur maître à tous, Hans Hofman, les critiques qui font l’opinion, Clement Greenberg et Harold Rosenberg, des galeristes, Peggy Guggenheim et Betty Parsons, et aussi des musiciens comme John Cage ou des poètes comme Frank O’Hara (évoqué plus haut). Au total, toute cette époque est très bien rendue, du moins on s’y croit et même on se prend d’un certain intérêt pour ce mouvement artistique révolutionnaire.

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