15/07/2024
Irritations linguistiques LXIX
Déjà la messagerie électronique (mél.), après des dizaines d’années à désapprendre la langue écrite par la faute du téléphone, avait porté un coup assez rude à l’orthographe en remettant devant leur feuille blanche (ou plutôt leur clavier) des millions de Français… mais alors que dire des fameux « réseaux sociaux » ! Même dans des messages (des « billets ») très courts (puisque c’est leur principe, et leur avantage aux yeux de tous ces gens pressés), les « fautes d’orthographe » pullulent ; même dans un réseau comme LinkedIn, censé être professionnel et donc sans doute « éduqué », voire « cultivé ».
Je me fais un devoir (et non un plaisir comme certains semblent le penser !) de rétablir « en commentaire » dans le réseau les formules correctes. Et c’est l’occasion pour moi de renouer dans ce blogue avec l’une de mes suites de billets favorites : mes irritations linguistiques (le soixante-neuvième épisode), et de dresser un florilège des « fautes » les plus courantes, sans verser ni dans l’académisme ni dans la névrose obsessionnelle !
À tout seigneur tout honneur : les verbes pronominaux. Il est en de plusieurs sortes mais voyons celle qui pose problème à nos journalistes en herbe du quotidien, à travers un exemple facile à retenir : « Lady Chatterley s’est donnée à son garde-chasse » et « Madame H. s’est donné pour but de végétaliser Paris ». Quelle différence ? Dans le premier cas, on peut remplacer « s’est donné » par « a donné elle », ce qui fait qu’il faut accorder le participe passé avec le sujet (féminin), donc on écrit « s’est donnée ». Dans le second cas, la substitution donnerait « a donné À elle », donc on n’accorde pas car « elle » n’est pas un complément d’objet direct.
J’avoue qu’il y a une difficulté supplémentaire quand le participe passé est suivi d’un infinitif ! Car dans ce cas, le « s’ » est complément d’objet direct de l’infinitif, et donc pas d’accord ! On aimerait en conséquence ne pas lire, sous la plume d’Hugo Clément, journaliste, animateur et producteur : « Ce jour où toute l’équipe de #Sur le front s’est faite arrêter et embarquer en Australie » ! (il faut remplacer mentalement « s’est fait arrêter » par « a fait arrêter elle »).
Plus sophistiqué en quelque sorte, plus classe vu de l’élite, plus « start up Nation », l’irrésistible « définitivement » en traduction de « definitely » ! Rappelons que ce terme anglais signifie « vraiment »… On est donc chagriné de lire sous la plume de l’excellente Annick : « Dans 80 jours, ce sera définitivement plus simple ».
Beaucoup plus fréquente, sans aucun snobisme ni aucune provocation, la confusion généralisée entre le futur et le conditionnel. Lisons par exemple Xavier D. à propos des dernières élections législatives : « Si je ne m’intéressais qu’à mes intérêts économiques, je voterai Macron ». Mauvaise pioche ! C’est un conditionnel, donc on met un « s ». Et aussi : « Je serais là ! Bonne journée » (Philippe). Erreur sur le « s » ou alors il manque une partie de phrase (par exemple : « si j’avais vraiment envie de venir »…). Et encore Christian M. qui écrit ce matin : « j’aimerai bien savoir quel aurait été la réaction de Narcisse à la place de Trump??? ». Ouh là là ! Pas de majuscule en début de phrase, pas de « s » au verbe aimer, pas de féminin à « quelle » en accord avec « réaction », pas de blanc insécable avant « ? », deux « ? » inutiles ! Tout faux (en non pas Tous faux, voir plus loin…).
Heureusement on lit souvent aussi : « Je pense que je pourrais y participer (si quoi ?) » (Gilles) et « Si vous m’acceptez, je pourrai participer » (Stéphane). Et c’est évidemment correct. Dans le second cas une phrase comme « Si vous m’acceptiez, je pourrais participer » aurait eu quasiment le même sens, sauf que, utilisant les modes Subjonctif et Conditionnel à la place de l’Indicatif, l’auteur aurait laissé subsister un flou sur sa participation, même après l’acceptation envisagée…
En résumé : « futur = pas de « s » + prononciation « é » + événement certain », alors que « conditionnel = avec « s », prononciation « è », événement possible sous condition ».
Plus subtile, il y a aussi la confusion entre « tout » et « tous » ; par exemple, dans les phrases « tout bronzés » et « tous bronzés », les deux mots n’ont pas le même statut ; « tout » est un adverbe, que l’on peut remplacer mentalement par « entièrement » ; il est donc invariable…
Quant à « tous bronzés », cela signifie évidemment qu’il n’y a pas un gars qui ne soit pas bronzé.
Pour clore (provisoirement) cet inventaire, je mentionne cette manie des journalistes, quand ils parlent des forces de police, qui consiste à employer les mots « effectif » et « personnel » comme s’ils désignaient des individus. Or ce sont des « collectifs ». Il est donc aberrant de dire « cinq cents effectifs (ou personnels) vont être déployés » ! Disons plutôt « cinq cents policiers » ou « cinq cents agents de police ».
Et quelle est donc la réaction des personnes que l’on corrige (poliment, précautionneusement) ? Quelques-uns le prennent très mal et ripostent par un « vous n’avez que cela à faire ? » ou bien « intéressez-vous plutôt au fond »… Mais je dois dire que la plupart du temps, les réactions sont courtoises et positives ; du « désolé, c’est un lapsus » au « merci beaucoup, j’ai appris quelque chose ». Preuve que, malgré l’américanisation, malgré le snobisme qui en découle, malgré les renoncements de beaucoup d’établissements scolaires… le Français chérit sa langue (maternelle ou non) et l’orthographe qui en est la manifestation la plus spectaculaire, avec sa logique implacable et ses exceptions merveilleuses qui « confirment la règle ».
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