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06/06/2019

"Ce que savait Maisie" (Henry James) : critique III

Ne soyons pas trop critique : la construction des phrases et de certains raisonnements attribués en général à Maisie fait penser à la démarche d’un mathématicien ou sinon d’un féru de mathématique, du genre de Lewis Carroll : « Mais quelques heures suffirent à faire comprendre à l’enfant que si elle n’était ni dans l’un ni dans l’autre de ces deux endroits, elle était du moins partout ailleurs » (page 243).

Notons en passant cette coquetterie de traducteur académisable : « durant cette couple de jours » (page 243). Voici ce que nous dit le TILF :

  • Ensemble de deux animaux réunis occasionnellement. « Six oboles, prix d'une couple de colombes » (CHATEAUBRIAND, Rancé, 1844, p. 132).
  • Ensemble de deux choses réunies occasionnellement et, p. ext., un petit nombre. « Une couple d'œufs.  Une couple de chapons (Ac.).  « Amour » paraîtra, ... dans les environs d'avril, ... Il y manque encore une couple de cent vers (VERLAINE, Corresp., t. 3, 1887, p. 90). Mon indisposition, quoique fréquente, ne dure jamais plus d'une couple d'heures, trois tout au plus (BARRÈS, Voy. Sparte, 1906, p. 128).

Notons encore un oubli du subjonctif après « bien que » : « bien qu’il aurait peut-être mieux valu pour moi qu’elle le fût » (page 400), faute non réitérée un peu plus loin : « bien qu’il tâchât de la maîtriser » (du verbe tâcher et non du verbe tacher).

Quant à notre ami, le mot « tout », il est parfaitement utilisé (page 401) :

« Les yeux de Maisie s’ouvrirent de nouveau tout grands » car, signifiant « entièrement », il est invariable. On pourrait se demander si « grand », signifiant ici « grandement » ou « en grand » ne devrait pas être traité de la même manière.

Dans Babelio, plusieurs contributeurs fournissent des analyses intéressantes de ce livre, la plupart du temps admiratives, et en général focalisées sur le sort de la pauvre Maisie, petite fille ballotée entre ses parents divorcés. Bizarre de s’apitoyer sur un personnage de roman… Mais pas d’analyse du style – de l’humour anglo-saxon en particulier – ni de la langue. Et de l’humour pourtant, il y en a (et l’on revient à Joseph Connolly), par exemple quand James, page 121, explique par syllogismes qui est avec qui.

L’europhilie et même la francophilie de Henry James transparaissent dans le roman. Outre que les quelques semaines passées en France par nos héros sont décrites comme une dolce vitaau milieu d’êtres courtois et raffinés (y compris les chauffeurs), quels sont les cours les plus importants que devra suivre Maisie quand elle sera chez Mme Beale ? « La littérature française et l’histoire sainte » (page 163).

Que dire au total de ce livre ? Il est à garder et à recommander, peut-être pas à relire.

04/06/2019

Plus dure fut la chute : fréquentation en baisse, encore

La fréquentation du blogue « Le bien écrire » a baissé pour le deuxième mois consécutif : - 42 % !

Nous sommes revenus à 86 visiteurs uniques sur le mois de mai 2019, alors que mars avait vu un pic à 180 environ (- 49 %)…

Bien sûr, « en mai fais ce qu’il te plaît », bien sûr il y a eu les élections européennes, bien sûr j’ai publié ce mois-là plus de « critiques » de livres que de constats désabusés sur l’état de la langue ou de suppliques pour que l’on retrouve une langue riche, pertinente, précise, élégante et agréable à lire…

Il y a eu, dans l’ordre chronologique inverse, « Ce que savait Maisie », « Le Guépard », « Macron, un mauvais tournant », mais aussi « Les mots français à la mode » et « la féminisation du français »… Allez savoir ce qui attire les lecteurs et ce qui les repousse ou les laisse indifférents…

Les continents continuent à dériver : - 15 points pour l’Amérique du Nord (à 23 % du lectorat), récupérés par l’Europe,  et + 3 points pour l’Afrique (à 3,5 %), les autres restant insensibles au blogue (0 %).

Ainsi va l’actualité et l’infidélité des publics.

En juin mes lecteurs fidèles connaîtront mon point de vue sur quelques romans de la première moitié du XXème siècle et mon enthousiasme pour « Où en sommes-nous ? » et pour « J’ai tiré sur le fil du mensonge ».

À vos lunettes !

09:29 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0)

03/06/2019

"Ce que savait Maisie" (Henry James) : critique II

Mon second commentaire, comme je l’ai dit, tient à l’écriture, au style. Comme l’idée est d’exposer la succession des événements tels que vus par un enfant, on pense immédiatement à l’étalon de mesure que représente  « La vie devant soi » de Romain Gary. Dans ce roman goncourtisé, la langue, savoureuse, est vraiment celle du héros, enfant de banlieue. Dans le livre de Henry James, rien de tout cela : c’est le narrateur qui parle ; aucun mot d’enfant mais plutôt un langage alambiqué, dont on ne sait pas si c’est du Henry James ou une traduction exécrable.

Quoiqu’il en soit, cela rend laborieuse la lecture des deux tiers du roman ; il m’est arrivé fréquemment de relire plusieurs fois la même phrase, et parfois sans réussir à la comprendre !

Par exemple : « Maisie accepta ce point de vue avec un émerveillement stupéfait », « elle devait beaucoup s’en souvenir », « une espèce d’étrangeté terrible » (page 91). Ou bien : « Tout l’incident revécut pour lui dans un nouvel accès de gaieté », « avec un petit sursaut qui était comme une soudaine prise de possession de son bonheur présent », « et pour se montrer gaiement rassurée, elle répliqua » (page 106). Ou bien : « Tant de choses lui paraissaient hors d’usage qu’elle ne partait jamais sans leur en faire espérer beaucoup d’autres ; et toute hérissée de calculs, elle semblait éparpiller autour d’elle les remèdes et les promesses » (page 111). Ou bien : « Et Madame sourit à Mr Perriam avec ce charme que sa fille lui avait souvent entendu reconnaître chez papa par des joyeux messieurs qui espéraient obtenir de lui ce qu’ils appelaient de l’avancement » (page 118). Outre que j’aurais écrit « de joyeux messieurs » ou bien « des messieurs joyeux », que veut donc dire cette phrase ? Où est le sujet, où est le complément ?

« La fidélité de Mrs Wix à Madame s’effondrait sous le poids de ces visites » (page120). « (Sa considération) ravissait l’objet de sa courtoisie au septième ciel de la béatitude, et son orgueil s’exprimait par d’anxieux murmures » (page 123).

« Mrs Beale ne put que lui octroyer une vague pitié » (page 154).

« puis, bien entendu, il se convulsa de rire » (page 179).

« (…) on eût dit qu’il venait de mettre le feu du bout de son allumette au gauche et bizarre souvenir de vieilles promesses, de vieux scandales, de vieux devoirs, à la vague conscience de ce qu’il avait possédé d’elle, et de ce que, si les circonstances avaient été complètement différentes – que diable – elle aurait encore pu lui donner » (page 219).

« L’effroi stupéfait qu’aurait pu lui inspirer l’abandon où Sir Claude semblait laisser Mrs Beale était corrigé par la vieille règle toujours en vigueur, l’étrange système qui faisait que si Mrs Beale ne pouvait plus entrer ou sortir sans lui faire penser à Sir Claude, le trait le plus remarquable de ce nouvel avatar de Sir Claude était au contraire de paraître complètement indépendant de Mrs Beale » (page 242).