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01/05/2017

Petites nouvelles du Front (V)

Voyons aujourd’hui, dans « Les territoires de la République », le texte de Barbara Lefebvre, « Sur un climat de démission » (pages 205 à 211).

« Depuis une vingtaine d’années, l’idée d’une école démocratique où tout doit faire l’objet de débat, discussion, négociation, a été validée par une lecture néfaste de la loi d’orientation de 1989 : l’élève devenu l’enfant au cœur du système a été considéré comme l’égal de l’adulte enseignant ou encadrant » (page 206). « Oser avancer que l’acte d’apprendre exige une démarche de volonté chez l’élève, est odieuse pour certains enseignants ou chefs d’établissement qui fondent prioritairement leur rapport aux élèves et à leur métier sur un registre affectif induisant la politique de l’excuse » (page 207). « Au lieu d’encourager la seconde génération – principalement issue de l’immigration nord-africaine des années 1950 – (…), la société bien-pensante (gauche caviar et droite camembert) les a appelés à cultiver a contrario leur différence, en glorifiant des dimensions caricaturales de leur culture d’origine ou de cité » (page 208). Association d’idées gratuite : voir l’insistance avec laquelle François Busnel renvoie Tahar Ben Jelloun vers ses origines et sa langue maternelle dans « La grande librairie » (cf. mon billet du 24 avril 2017).

« (…) Notre école est devenue un lieu où cohabitent des communautés ethniques et religieuses, un lieu où on ne rassemble plus des élèves français mais des enfants nés en France s’identifiant prioritairement selon leur confession ou l’origine étrangère de leurs géniteurs (…). Ce champ laissé ouvert a été investi à la fin des années 1980 par les ennemis de la laïcité et de son universalisme, cette désertion a permis notamment l’explosion raciste et antisémite à laquelle nous assistons impuissants depuis plusieurs années » (page 209).

« L’antiracisme transformé en idéologie politiquement correct s’est comme retourné contre son objet : au lieu d’intégrer à un espace commun (la nation républicaine à la française), elle a accentué les différences en enfermant chacun dans un rôle stéréotypé (le beur, le black…). Dernière échappatoire en date : la discrimination positive. On sait que l’affirmative action n’a pas fonctionné aux États-Unis, pourquoi ne pas essayer ce ratage en France, nous suggèrent certains ? » (page 210).

Et Barbara Lefebvre de conclure : « Soit on décide d’y réaffirmer les principes et les valeurs fondatrices d’une République qui (…). Soit on décide de céder à la facilité consistant à déléguer une part conséquente de la souveraineté nationale à des groupes politico-religieux divers (…) ». Dès 2002, elle envisage la pire de ces deux options et écrit « alors nous n’aurons décidément rien appris de Munich… » (page 211).

Et donc, qu’avons-nous fait depuis 15 ans ?

Comme dirait l’autre : peut-être est-ce une explication ?

27/03/2017

"Les Misérables T1" (Victor Hugo) : critique des spécialistes

Après mes billets de critique « personnelle » sur « Les Misérables », j’ai voulu savoir ce qu’en pensaient les spécialistes de littérature et j’ai rouvert de vieux manuels de classe, mais des années 30 et 40, pour m’extirper du modernisme.

Plus précisément, il s’agit de deux livres de Ch.-M. des Granges : « Morceaux choisis des auteurs français » et « Les romanciers français : 1800-1930) chez Hatier.

Dans ce dernier livre, le plus ancien, l’auteur écrivait ceci : « En 1845, Hugo commença la rédaction d’une œuvre énorme, Les Misérables, dont les dix volumes virent en 1862. Il donnait ainsi au public la grosse épopée populaire qu’Eugène Sue avait manquée, non par faute d’imagination, mais par défaut de style ». « Dans ses œuvres romanesques, aussi bien que dans les autres, Victor Hugo se place exactement à l’opposé du réalisme. Il n’y a pas un seul personnage vrai parmi ces colosses taillés à grands coups de hache. La composition est médiocre : elle est entravée par des digressions interminables (sic !), inspirées par quelque souci encyclopédique et par le désir d’exercer une influence sur la vie sociale et politique. Mais la puissance des descriptions permet en bien des endroits d’oublier les imperfections de la technique ».

Quant aux personnages des Misérables, ils ont pour lui « des traits grossis, dépourvus de nuances, et très propres à frapper l’imagination de ce grand public que Victor Hugo ne dédaignait pas d’atteindre ». On ne sait trop si c’est un compliment ou une critique… 

En conséquence de quoi, que choisit-il comme extrait dans ce manuel destiné à l’éducation littéraire des chères têtes blondes d’avant-guerre ? D’abord l’examen de conscience de Jean Valjean après qu’il eut volé quarante sous à un enfant, qu’il baptise « Vers la lumière » (Ière partie, livre II, chapitre XIII dans l’édition Delagrave) ; ensuite le fameux épisode de la bataille de Waterloo, « Le chemin creux d’Ohain » (IIème partie, livre I, chapitre IX). 

Dans l’autre manuel, Ch.-M. des Granges oublie le Hugo romancier pour n’étudier que le poète. « Hugo prosateur est encore un poète épique ». Et de citer un autre épisode de Waterloo, qu’il baptise « Charge de cuirassier » (IIème partie, livre I dans l’édition Hetzel). À noter que le fameux « Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! morne plaine ! » se trouve dans le recueil poétique « Les châtiments » et non dans « Les Misérables ». 

Et c’est tout ; notre critique est déjà passé à A. de Vigny.

13/03/2017

"Lac-aux-Dames" (Vicki Baum) : critique

J’avais récupéré ce livre je ne sais où ; il traînait depuis longtemps sur une étagère de « livres divers » et de livres réputés, à tort ou à raison, « pour enfants » (Henri Troyat, Hector Malot et d’autres). Engagé depuis peu dans une douloureuse opération de vente ou de cession de livres lus ou sans intérêt pour moi, j’hésitais à m’en séparer sans l’avoir lu ni même savoir qui l’avait écrit.

Sur internet, très peu de choses sur Vicki Baum… C’était une Autrichienne des années 20-30, émigrée aux États-Unis et écrivain de son état (« Grand hôtel », « Sang et volupté à Bali »…). Sur « Lac-aux-Dames », publié en 1927 sous le titre allemand « Hell in Frauensee », peu de choses également, même dans les sites littéraires. La brièveté et la sévérité des notices et des commentaires (« Livre décalé et sans grand intérêt », « À part cela, l'eau du lac est froide, le temps capricieux et le livre ... ennuyeux (…). On ne perd rien en ne lisant pas ce livre (…). Disette intellectuelle pour le lecteur ») disent assez l’opinion communément répandue : écrivain de second rang, roman daté et pour midinettes. Un lecteur déclare qu’il n’a pas pu dépasser la trentième page, un autre que l’indigence de la traduction l’a dégoûté de persévérer…

Lac-aux-Dames Samoens.jpg

Diantre… j’étais quand même attiré par mon vieil exemplaire du n°167 du Livre de poche à la couverture naïve représentant un plongeoir sur une mer vert-bleu, avec dessus un athlète blond en maillot de bain blanc minimaliste tenant au bout d’une sorte de canne à pêche une jeune fille à bonnet blanc dans l’eau, tandis que tout autour, comme un essaim, quantité de jeunes femmes à bonnet, nageaient, plongeaient, barbotaient et que l’une d’elle, à moitié cachée sous un parasol de plage mais callipyge, laissait voir son postérieur, ses jambes de mannequin et ses mollets pris dans les lacets noirs et haut noués de ses ballerines…

Le roman était sous-titré « Roman gai d’amour et de disette » et sa traductrice (de l’allemand) Hélène Chaudoir ; à part cela, aucune mention ni de la date de publication ni de l’auteur du dessin de la couverture ; ni préface ni postface ni notice biographique ; comme disaient les Tontons, c’est du brut…

Jeune femme Lac-aux-dames.jpgEt j’ai lu le roman d’une traite, je me suis pris au jeu de cette histoire qui finit bien, d’un jeune ingénieur qui, en attendant une lettre providentielle qui devrait le faire riche, se fait maître-nageur le temps d’un été dans une station balnéaire de montagne et devient, malgré lui, la coqueluche de tout ce que la clientèle de vacances compte d’éléments féminins ; c’est le roman d’un été, le roman d’une découverte de la séduction et de l’amour, le roman d’un choix difficile, des hésitations du cœur et du corps, et l’on s’y abandonne avec plaisir, sans croire un seul instant que l’on tient un chef d’œuvre.

Le roman est construit comme un triptyque, comme une dissertation « thèse, antithèse, synthèse », à savoir « découverte-repérages, dépression, rédemption », matérialisée par les changements météorologiques : la chaleur de l’été, qui aiguise les élans et permet les leçons de natation, la pluie et les brouillards qui accompagnent une sorte de descente aux enfers, avec la confusion des sentiments, les trahisons et la perte de tout espoir, et enfin une sorte de printemps qui renaît après les heures sombres et permet toutes les espérances de bonheur.

 

La traduction est effectivement calamiteuse (je préfère dire cela que d’incriminer l’auteur, que je n’ai pas lue dans sa langue maternelle). Le texte regorge, surtout dans sa première moitié, de formules hasardeuses ou saugrenues, de qualificatifs impropres : « à travers les fenêtres ruisselantes du compartiment » (deuxième phrase du roman, page 5), « les pousses encore gouttantes de la vigne vierge », « l’eau qui lui mordit les doigts d’un froid subtil », « Hell avait des dents de nègre » (on excuse cette formule, écrite à la fin des années 20…), « Le coup d’œil (…) était agréable et cependant un peu désillusionnant », etc.

Et malgré tout, on s’intéresse à cette histoire simple racontée sans fioritures, qui a le mérite de rendre très bien le charme suranné des lieux de vacances d’autrefois, les intermittences du cœur et les difficultés de la vie quand on ne mange pas tous les jours à sa faim.

Le lac est un élément central du roman ; il manque d’engloutir notre champion de natation dès son arrivée, il rythme par sa température et ses caprices ses possibilités de travailler et donc de gagner de quoi manger, il est le vecteur de ses échappées vers le « pays des tulipes » où règnent sa fidèle amie et sa mère neurasthénique, il menace, il enchante, il est l’objet quotidien des préoccupations des vacanciers. Bizarrement, bien avant Hell, le lieu s’appelle « Lac-aux-Dames » (et non pas le lac aux dames…), cadre idéal pour écrire l’histoire d’un harcèlement, non pas d’une beauté féminine par des mâles déchaînés, mais d’un jeune homme blond bien balancé et musclé par des donzelles de tous âges enamourées.

Mais en définitive, qu’est-ce qui m’a attiré dans ce roman bien tourné mais au style quelconque ? L’ambiance ! Et plus précisément celle de « la Montagne magique » (de Thomas Mann) : la vénération germanique pour la nature, les vacances saines et sportives, la vie confortable dans les hôtels de luxe d’avant-guerre, les jours qui passent toujours pareils, l’attente (d’un rendez-vous, du retour du soleil, d’une lettre…), une sorte de fatalisme...

Oui, j’ai apprécié « Lac-aux-Dames » et je peux le recommander à ceux qui veulent passer un bon moment – meilleur qu’avec Musso ou Lévy en tous cas. Quant à le conserver dans sa bibliothèque… non.

PS. En allemand "hell" signifie "clair et "Heller" veut dire "denier" (bien trouvé pour quelqu'un qui n'a pas le sou).