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11/09/2017

"La fortune des Rougon" (Émile Zola) : critique II

Zola est meilleur quand il narre les relations conjugales, l’évolution des caractères ou l’emprise des passions sur les destinées. Ainsi des premiers mois du mariage d’Antoine Macquart et de Joséphine Gavaudan, dite Fine, qui commence bien et tourne rapidement vinaigre : « À partir de ce moment (NDLR : une dispute qui se termine en bagarre entre les époux ivres), les Macquart prirent le genre de vie qu’ils devaient continuer à mener. Il fut comme entendu tacitement entre eux que la femme suerait sang et eau pour entretenir le mari. Fine, qui aimait le travail par instinct, ne protesta pas. Elle était d’une patience angélique, tant qu’elle n’avait pas bu, trouvant tout naturel que son homme fût paresseux, et tâchant de lui éviter même les plus petites besognes » (page 201). On pense à Giono à de certains endroits. 

Au début du deuxième volume recommence la cavale et l’idylle des deux jeunes gens, racontée de façon mièvre et fade : « Miette ne se défendait plus. C’était elle, maintenant, qui collait sa bouche sur celle de Silvère, qui cherchait avec une muette ardeur cette joie dont elle n’avait pu d’abord supporter l’amère cuisson » (page 19). Après les métaphores improbables, les oxymores maladroits. Quant à la cuisson des baisers…

« Elle semblait vouloir épuiser, avant de se coucher dans la terre, ces voluptés nouvelles, dans lesquelles elle venait à peine de tremper les lèvres, et dont elle s’irritait de ne pas pénétrer sur-le-champ tout le poignant inconnu. Au-delà du baiser, elle devinait autre chose qui l’épouvantait et l’attirait, dans le vertige de ses sens éveillés. Et elle s’abandonnait ; elle eût supplié Silvère de déchirer le voile, avec l’impudique naïveté des vierges » (page 19). Sans commentaire…

Plus loin on peut lire : « Sa nature puissante et libre avait le secret instinct des fécondités de la vie. C’est ainsi qu’elle refusait la mort, si elle devait mourir ignorante » (page 20).

Et page 21, voici comment Zola qualifie cette amourette dans les bois et en plein hiver : « Les jeunes gens, jusqu’à cette nuit de trouble, avaient vécu une de ces naïves idylles qui naissent au milieu de la classe ouvrière, parmi ces déshérités, ces simples d’esprit, chez lesquels on retrouve encore parfois les amours primitives des anciens contes grecs ». Les rejetons des riches ne vivraient donc pas eux aussi de naïves idylles ?

Page 75, on y est toujours : « La rivière n’avait plus pour eux qu’une ivresse amollie, un engourdissement voluptueux, qui les troublait étrangement. Quand ils sortaient du bain, surtout, ils éprouvaient des somnolences, des éblouissements. Ils étaient comme épuisés (…). Silvère qui se tenait à quelques pas, la tête vide, les membres pleins d’une étrange et excitante lassitude (…). Ils reprirent leurs longues causeries. Il ne resta dans l’esprit de Silvère, du danger que venaient de courir leurs amours ignorantes, qu’une grande admiration pour la vigueur physique de Miette ».

Sans doute était-ce là à l’époque (la fin du XIXème siècle) les seules choses que l’on pouvait écrire sur le sujet…

04/09/2017

"La fortune des Rougon" (Émile Zola) : critique I

Les amateurs du Club des Cinq, voire d’Arsène Lupin, ne sont guère dépaysés… Mais ceux qui ont été époustouflés par « la Comédie humaine » d’Honoré de Balzac ou enchantés par « Les Misérables » de Victor Hugo ou même ceux qui ont été pris par « Les Boussardel » de Philippe Hériat (roman en quatre tomes de la fin des années cinquante) sont confondus par l’entame de cette saga qui prétendait brosser un tableau de la France des années cinquante (du XIXème siècle)…

Je veux parler de « La fortune des Rougon », d’Émile Zola, premier tome d’une « Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire » intitulée « Les Rougon-Macquart ».

J’ai dans ma bibliothèque, depuis assez longtemps, sous une forme éditoriale disparate, une partie de cette « Histoire », dont le fameux « Au bonheur des dames » qui date de mon année de Terminale et qui est l’un des rares que j’aie lus (ajoutons-y, je crois, Germinal et c’est à peu près tout). Je m’étais dit qu’un jour ou l’autre je commencerais par le début et j’irais jusqu’au bout. Et nous y étions au début de l’été ; j’ai donc lu « La fortune des Rougon ».

Ce premier roman – que j’ai lu en deux volumes dans une belle collection des Éditions de Crémille (Genève, 1991) – est censé nous expliquer l’ascension à partir de rien d’un couple médiocre mais ambitieux du Sud de la France au moment du Coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte (à vrai dire, à la faveur de la confusion qui a suivi ce Coup d’État). Toutes proportions gardées, l’opportunisme de Rougon et de son épouse ressemble à celle du Poissonnard de Jean Dutourd dans « Au bon beurre » : se faire passer le moment venu pour un héros, un homme providentiel.

Autant le dire tout de suite, c’est consternant ; du moins le début, l’historiette entre deux jeunes gens, Silvère et Miette, dont on ne sait si ce sont des enfants précoces ou des adolescents. Extrait : « Au bout d’un instant, Miette frissonna. Elle ne s’appuyait plus contre l’épaule de Silvère, elle sentait son corps se glacer. La veille, elle n’eût pas frissonné de la sorte, au fond de cette allée déserte, sur cette pierre tombale, où, depuis plusieurs saisons, ils vivaient si heureusement leurs tendresses, dans la paix des vieux morts » (page 47). Et c’est ainsi pendant les 75 pages du chapitre I. 

Zola peint ses personnages de curieuse façon, dont il ressort surtout son mépris pour les bourgeois de province. Ses métaphores sont souvent maladroites et déconcertantes. En voici un exemple : « Sa bouche en bec de lièvre (NDLR : celle de M. Isidore Granoux, ancien marchand d’amandes), fendue à cinq ou six centimètres du nez, ses yeux ronds, son air à la fois satisfait et ahuri, le faisaient ressembler à une oie grasse qui digère dans la salutaire crainte du cuisinier… » et plus loin, il écrit : « Tous les habitués du salon jaune, à la vérité, n’avaient pas l’épaisseur de cette oie grasse » ; on comprend, grâce à la répétition de cette bizarre métaphore, que certains au moins ont des traits fins ou une figure émaciée ; mais non : «  Un riche propriétaire, M. Roudier, au visage grassouillet et insinuant, y discourait des heures entières, etc. » (page 136). Soit dit en passant, il y a page 137 une coquille amusante dans le portrait du libraire « aux mains humides, aux regards louches, le sieur Vuillet » : « Cet homme illettré dont l’ortographe était douteuse, rédigeait lui-même les articles de la Gazette avec une humilité et un fiel qui lui tenaient lieu de talent » !

On distingue trois thèmes et trois scènes dans « La fortune des Rougon » : l’aventure sentimentale naïve des deux jeunes gens, la description de la vie des notables à Plassans au fin fond de la Provence (dans laquelle Zola cache mal son mépris pour les invités du Salon jaune) et la « prise de pouvoir » par Rougon à travers quelques péripéties du combat local entre républicains et conservateurs ; en résumé, on a droit à du mauvais Jules Verne, du mauvais Balzac et du mauvais Hugo.

24/08/2017

"Les soleils des Indépendances" (Ahmadou Kourouma) : critique IV

« La politique n’a ni yeux ni oreilles  ni cœur ; en politique le vrai et le mensonge portent le même pagne, le juste et l’injuste marchent de pair (NDLR : j’aurais écrit « de paire »), le bien et le mal s’achètent ou se vendent au même prix » (page 157).

« Le matin était patate douce. Le soleil avait été ensorcelé par les nuages, puisqu’un seul bout de duvet de nuage l’avait pacifié. Le vent soufflait faible comme s’il naissait tout près aux berges des lacs qu’on pouvait apercevoir de la caserne. Et le chant et le vol des oiseaux remplissaient tout l’espace : querelleurs, ils volaient des cocotiers aux plantations de caféiers et s’abattaient en bandes dans les jardins : pluvians, chevaliers, courlis, vanneaux » (page 161).

« Il n’est pas un homme de l’indépendance et jamais il ne te pardonnera d’avoir entré la lame de ton couteau dans la gaine de son sabre » (page 178).

Et le point d’orgue : « N’as-tu rien entendu Fama ? Tu vas à Togobala, Togobala du Horodougou. Ah ! voilà les jours espérés ! La bâtardise balayée, la chefferie revenue, le Horodougou t’appartient, ton cortège de prince te suit, t’emporte, ne vois-tu pas ? Ton cortège est doré » (page 194).

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Ces quelques citations vous ont-elles donné envie de lire « Les soleils des Indépendances » de Ahmadou Kourouma (Le Seuil, 1970) ?