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10/12/2023

"Ciné-club" (François Sauvay) : critique II

Au total donc, sur 301 pages, les « irritants » (les fameuses « coquilles ») sont peu nombreux dans le livre « Ciné-club » de François Sauvay. Mais trêve de chipoteries, dont je sais qu’elles irritent, justement, beaucoup de personnes auxquelles elles sont destinées (essayez donc dans une discussion quelconque ou sur un réseau dit social, de faire une remarque sur l’orthographe ou la syntaxe... ; je vous le déconseille dans un repas de Noël et encore plus dans un repas d’affaires... les écrivains, eux, peuvent toujours prétendre, sans doute à juste titre, que les coquilles ne sont pas de leur fait mais d’un secrétariat, d’un atelier de composition ou d’un... correcteur !).

On aura compris que tout dans ce livre est américain : les patronymes, les raisons sociales et jusqu’à la démesure, pastiche oblige. Mais on apprend néanmoins quelques termes français, comme, pages 254 et 255, « poteau de barbier » et « virevoltant ». Inutile de chercher dans mon dictionnaire « Hachette de notre temps », je vous donne derechef les explications de Wikipedia :

  • Une enseigne de barbier, enseigne de coiffeur ou poteau de barbier, est un symbole commercial signalant au public la présence d'un salon de coiffure pour hommes, principalement aux États-Unis et dans d'autres pays de culture anglo-saxonne.
  • Un virevoltant ou tumbleweed est, chez certaines plantes, la partie hors du sol qui, une fois mûre et sèche, se sépare de la racine ou de la tige avant de rouler sur le sol au gré du vent, ce qui constitue un cas de migration d’une espèce végétal.

(et on pense au « Feel like a lonesome tumbleweed » de Joan Baez mais c’est une tout autre histoire).

Passons sur le « kiosque achalandé » du haut de la page 258, qui désigne normalement une clientèle nombreuse mais que mon Hachette accepte dans le sens de « offrant un grand nombre de marchandises » sous la mention « moderne et critiqué »... Et attardons-nous sur les « chenets en régule », c’est-à-dire dont la matière est un alliage de plomb ou d’étain et d’antimoine, utilisé comme métal anti-friction. Et sur « l’athanor », ou four à digestion, qui est un fourneau utilisé dans les opérations alchimiques. De forme cylindrique, il permet de maintenir à température constante des amalgames pendant des durées pouvant aller jusqu'à plusieurs semaines ; il apparaît dans l'alchimie médiévale, au XIIIème ou XIVème siècle. Et sur les « hypogées » de la page 291, chambre souterraine où les Anciens enterraient les morts...

04/12/2023

"Ciné-club" (François Souvay) : critique I

Que voici un livre original ! Je parle de « Ciné-club » de François Sauvay, publié chez Champ Vallon en 2022. L’auteur nous propose une suite de chroniques sur le cinéma, de son apparition à la fin du XIXème jusqu’aux années 60, et même un peu plus. Vingt-cinq courts chapitres fourmillent d’anecdotes sur le milieu du cinéma aux États-Unis, c’est-à-dire à Hollywood, et sur ses vedettes. L’auteur raconte ces histoires à la façon d’un journaliste de la presse culturelle (les Cahiers du cinéma, Télérama, etc.), sauf que TOUT est inventé. Et c’est à s’y méprendre tellement le pastiche est crédible, tellement le ton est juste, tellement les événements, les patronymes, les noms de films, le comportement des divas comme des producteurs, et les situations, sont vraisemblables. L’histoire tourne autour d’une petite compagnie de production, Olympic Movies, de son patron Elmer Polack, d’un curieux conseiller en textes sacrés et caution religieuse, Matthieu de Lenoncourt, et d’une pléiade de scénaristes et de stars, plus ou moins éphémères.

Quelle imagination, quelle inventivité ! Comme un musicien qui improvise, François Sauvay multiplie les motifs, les angles d’attaque, les ambiances, les personnages... C’est un régal.

Certaines descriptions sont vertigineuses, comme quand il nous parle d’un film sur un film (c’est-à-dire dont le héros est lui-même un acteur ou un scénariste en train de faire son métier).

 

J’ai noté quelques coquilles, qui sont loin de gâcher le plaisir de notre lecture.

  • page 19 : une répétition malvenue « elle s’était fait remarquer, d’apparitions notables en rôles secondaires remarqués ». Notons avec satisfaction que notre auteur écrit bien « elle s’est fait remarquer... » et non pas comme tant de journalistes malheureusement « elle s’est faite » (le wokisme en l’occurrence n’a rien à y voir !).
  • page 29 : « parmi les acteurs habituels du studio, catalogué jusque-là dans des personnages de cow-boy... ». Je pense qu’il aurait mieux valu écrire « cantonné jusque-là dans des personnages de cow-boy ».
  • page 98 en italique, et aussi pages 133, 167 et 171 : la curieuse expression « department story » semble vouloir désigner un département des scénarios... mais en anglais cela donnerait plutôt « Story Department », voire « Storyboard Department ».
  • page 138 : manifestement il y a un « s » en trop au verbe demander : « Puis je me demandais si la nouvelle qu’elle m’avait confiée était si mauvaise ». « Puis je me demandai », c’est du passé simple (sur dans le contexte où la relative concerne également un événement unique), donc sans « s » ! Un peu plus loin l’auteur écrit à juste titre : « Quand Polly Griffin en sortit timidement, je l’abordai enfin ». Mais, plus loin encore, il écrit : « déconcerté par cette réponse ambigüe, je la laissais s’échapper à nouveau ». Non ! « je la laissai s’échapper », c’est du passé simple (événement unique) et non de l’imparfait (répétition, habitude), donc sans « s ». À vrai dire, j’avais déjà tiqué page 116 : « Elle m’offrit un thé auquel je préférais une Budweiser ». Non, ce n’était pas une habitude chez ce conducteur de tramway entiché de Noreen Venice de refuser des tasses de thé, alors même qu’elle ne lui en a proposé qu’une seule fois. Donc pas de « s » !
    C’est l’inverse page 171 : « alors que je pensai lui administrer une correction » ; le verbe « penser » mérite l’imparfait, donc il faut écrire « je pensais » avec un « s ». Et re page 299 ! « Je serai rassurée si vous me disiez que je vous ai aidé ». La relative est au conditionnel, alors la principale ne peut pas être au futur ; donc « Je serais » avec un « s » qui modifie le mode du verbe (de l’indicatif on passe au conditionnel). La phrase suivante, en revanche, est correcte : « Je serai touchée si vous m’envoyez un exemplaire ».
  • page 153 : « les nombreux incidents qui ont gâché le tournage d’Achille et les Amazones etc. ». Sauf que, à plusieurs endroits page 152 et aussi dans le haut de la page 153, le film s’appelle « Achille contre les Amazones »... y’a une petite erreur.
  • page 155 : « ... plus exactement récit éclaté et mise en abîme ». Le mot « abîme » est écrit avec un « y » au lieu d’un « î ». Rappelons-nous le collège : « le circonflexe de cime est tombé dans l’abîme ».
  • page 173 : l’auteur écrit « presque mal la tête », donc manifestement il faut lire « presque mal à la tête »
  • page 197 : « Telles des proies, ils sont lâchés dans les ruelles désertes. « Telles » ne devrait pas être au féminin puisque le sujet de la phrase principale, c’est « ils ».
  • page 206 : « épluchant les entretiens... de nombreuses incohérences la frappaient ». Cette phrase est incohérente justement ! Comme elle commence par « épluchant les entretiens », sa principale devrait être : « elle a été frappé par des incohérences ». C’était déjà la même chose page 128, quand la relative était « après s’être retrouvés sur la plage » et que la principale commençait par « Lamont lui signifia son congé ».
  • page 226 : « On espère que la suite de sa carrière confirmera ce talent prometteur ! Or, voilà l’article paru dans Hollywood ScreenLand ». Il aurait fallu écrire « voici l’article » puisqu’on va seulement expliquer le problème (« voilà » se rapporte ce qui s’est déjà passé, tandis que « voici » annonce ce qui va se passer).

21/09/2023

"Attaquer la terre et le soleil" (Mathieu Belize) : critique

Quelle déception !

J’avais beaucoup aimé « Notre terre » de Mathieu Belezi (voir mon billet du 31 août 2015), qui racontait la fin de la guerre d’Algérie, vue des deux côtés.

J’avais appris depuis que M. Belezi n’était pas historien et n’avait pas vécu en Algérie mais qu’il avait consacré trois romans à ce thème, pour la raison, semble-t-il, que la littérature ne s’y était pas beaucoup intéressée (?).

J’avais lu aussi le roman de Leïla Slimani, « Le pays des autres », paru en 2020, en partie autobiographique sans doute, qui se passe lui au Maroc à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Je l’avais trouvé moins bon…

C’est dire si je me suis plongé avec impatience dans « Attaquer la terre et le soleil », tout auréolé du Prix du Livre Inter, que NR venait de m’offrir. Un rapide coup d’œil sur l’enregistrement de l’entretien à France Inter, de l’auteur et de quelques membres du jury (présidé sauf erreur par David Foenkinos, Prix Renaudot), ne m'avait pas enthousiasmé ; j’avais eu l’impression que le jury avait surtout récompensé une œuvre « dans l’air du temps » (à savoir, rappeler le mauvais rôle de colonisateur de la France en Afrique …), sachant par ailleurs que les premiers commentaires des débatteurs étaient que « le livre n’avait aucun défaut » et qu’ils avaient été emballés par la forme et le ton du texte. Bon, rien de très motivant, d’autant que la brièveté du roman (153 pages seulement chez Le tripode, avec beaucoup de blancs sur chaque page…) m’avait déjà refroidi.

Le titre d’abord. On peut penser que M. Belezi veut décrire la conquête de l’Algérie, en 1830, comme une lutte pour y introduire l’agriculture sous un soleil de plomb, ce qui va rendre l’aventure extrêmement pénible pour les premiers colons. Le roman est composé de courts chapitres donnant à voir, alternativement, la vie d’une femme et de sa famille arrivées de métropole, et celle d’un militaire dont le chef répète à tout propos : « Vous n’êtes pas des anges ». Quand le narrateur reprend la parole, M. Belezi utilise les italiques.

La forme est déconcertante car la ponctuation est absente, ainsi que les majuscules en début de phrase. C’est sans doute cela qui a tant plu aux jeunes lectrices du jury… Heureusement, les paragraphes successifs sont « indentés », ce qui aère le texte. On a échappé aux tics insupportables d’un Claude Simon (« La route des Flandres », « Histoire »).

Sur le fond, il faut bien reconnaître que les autochtones, bien qu’envahis, ne sont pas présentés comme des enfants de chœur. Comme dans « C’était notre terre », Mathieu Belezi ne recule devant aucune des horreurs de la guérilla (femmes éventrées, etc.). L’armée française n’est pas en reste : représailles, villages rayés de la carte, ripailles, jeunes femmes gardées pour la troupe… Pour être réaliste, oui, c’est réaliste !

Le choléra frappe aussi, avec son cortège d’hommes et d’enfants emportés au cimetière, et des femmes qui pleurent et implorent le Ciel.

Petit à petit, les colons se voient attribuer des parcelles et s’établissent, il y a des mariages, sans que cela n’interrompe ni les assassinats ni les représailles. Et certains ne résistent pas à la peur permanente, aux drames et à la difficulté de vivre… ils renoncent à leur concession et reprennent le bateau pour la métropole.

On ne peut contester à Mathieu Belezi sa maîtrise pour rendre l’horreur et le déchaînement de violence qui ont accompagné cette conquête. Et il est sans doute indispensable d’en rendre compte parce que ce n’était pas écrit dans nos manuels scolaires. Mais d’où vient cette impression que l’on n’apprend pas grand-chose et que le roman aurait pu être situé n’importe où. Peut-être a-t-il manqué à l’auteur une documentation plus fournie ou une intime connaissance des lieux, tels que pourrait les rendre, par exemple, un Boualem Sansal ? Ou alors il a voulu écrire une métaphore de toute conquête ? (Pas celle des États-Unis parce que les Américains se sont empressés de nous endoctriner avec leurs « westerns » !).

Au total, je suis resté sur ma faim et n’aurai pas envie de relire ce roman-reportage.

PS. Le jour de la publication de ce billet (21 septembre 2023), je vérifie dans le calendrier que le prénom de celui que l’on fête s’écrit bien avec deux t. Facétie, ignorance ou négligence de l’État-civil, notre « Mathieu » ne comporte qu’un seul t. Dans le domaine des prénoms aujourd’hui, on ne peut plus s’étonner de rien ni rien déplorer. Cela étant, nom et prénom de l’auteur sont empruntés…